09 La personnalité

La recherche de la vérité

07 Imagination et originalité
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À L’ÉTUDIANT :

Tous, nous pensons, si l’on entend par là que chacun de nous assemble des idées et formule ensuite des jugements. Mais pensons-nous toujours par nous-mêmes ?

Nos jugements ne sont, la plupart du temps, que l’expression à peine démarquée de ceux qui ont cours dans notre entourage. Nous ne les avons ni critiqués, ni adoptés volontairement.

Celui qui a pensé, ce n’est pas nous, mais un ami, un écrivain, un orateur, un journaliste, dont nous ne sommes que l’écho plus ou moins conscient.

Pourtant, il importe au plus haut degré de savoir penser par soi-même. Cela importe, non seulement au savant qui tente de découvrir les lois de la nature, ou au moraliste, à l’historien, qui cherchent à dégager le vrai parmi les multiples opinions humaines, mais a chaque individu.

Cela vous importe à vous, pelmanistes, plus qu’à tous autres, pour vous frayer votre chemin dans la vie, autant que possible sans vous tromper et sans vous laisser tromper.

Penser par soi-même est une nécessité constante pour l’homme d’affaires, l’industriel, le commerçant, qui se heurtent professionnellement à des problèmes toujours nouveaux, du moins en partie. Mais ce n’est pas une moindre nécessité pour tout le monde.

On risque de payer cher une méprise fondée sur une erreur d’interprétation. Ceux qui s’élèvent au-dessus de la médiocrité ambiante, ceux qui  » arrivent  » sont ceux qui pressentent les événements et s’y préparent, tirent parti des circonstances, les modifient à leur avantage, les suscitent même pour mieux les exploiter ou pour s’en défendre à temps, au lieu de les subir passivement ou de réagir à l’improviste et trop tard.

Cette maîtrise relative du monde extérieur s’obtient en pensant correctement, c’est-à-dire en suivant des règles éprouvées. Règles très simples, car des gens au jugement droit, qui n’ont pas appris la Logique, les appliquent d’instinct, sans en connaître le mécanisme.

Mais ils peuvent aussi, avec la même bonne foi, se tromper par ignorance.

Combien plus clairvoyant et plus sûr, le jugement de celui qui sait les erreurs à éviter et les règles à appliquer !

 

LEÇON VIII

I. Les problèmes de la vie

Qu’est-ce que penser ?

1. Nos leçons antérieures vous ont fourni quelques éléments de réponse à cette question.

Si vous voulez vous créer une situation et que vous en cherchiez les moyens, vous pensez. L’intérêt, sur lequel notre leçon II a attiré votre attention, est le principe moteur de la pensée.

À l’appel de votre intérêt, images et idées surgissent en vous selon les lois d’association spontanée soit par contiguïté, soit par ressemblance : la leçon V vous a montré comment votre imagination brode sur le canevas que lui fournit votre mémoire.

Comment ordonner les connaissances acquises ? la leçon vi vous a donné à ce propos des préceptes.

Comment assagir l’activité, souvent capricieuse, de l’imagination, décrite à la leçon

Vii ? vous allez trouver ici des règles.

Elles vous serviront à trier, à filtrer pour ainsi dire ces petites inventions que sont vos opinions, pour atteindre par elles ce qu’on peut appeler des vérités, au moins provisoires et toujours sujettes à vérification.

C’est résoudre un problème.

2. S’intéresser à un sujet, voilà le point de départ. trouver, agencer des idées pêle-mêle, c’est le traintrain de la pensée vague qui se complaît dans une activité sans but précis.

Mais la pensée consciente et volontaire ne se confond pas avec cette sorte de rêverie sans objet déterminé, qui va n’importe où, n’importe comment. Quand vous sentez le besoin de réfléchir, c’est qu’un problème se pose et qu’il faut lui trouver une solution précise et pratique.

Une grande diversité se manifeste à cet égard, suivant les conditions de vie, comme suivant les esprits. Bien des gens vivent leur vie, accomplissent les obligations de leur métier sans éprouver souvent le besoin de penser.

D’autres, par disposition naturelle, aperçoivent partout des difficultés, et tentent de les surmonter. Les médiocres, les routiniers prétendent que s’évertuer ainsi pour des idées c’est  » chercher midi a quatorze heures « ,  » couper les cheveux en quatre « ; ils allèguent sottement, paresseusement, qu’il ne faut pas  » s’en faire « .

Mais qui donc prépare ou réalise un progrès quelconque, si ce n’est ces chercheurs dont la vocation consiste à innover, à découvrir des questions complexes là où la plupart n’aperçoivent rien que de tout simple ?

L’oscillation d’un lustre, la chute d’une pomme, faits coutumiers que nous considérons avec indifférence, furent pour Galilée, pour Newton, deux problèmes passionnants dont les solutions géniales permirent la découverte du double mouvement de la terre et des lois de la pesanteur.

Les gens qui s’élèvent vite, ou qui vont loin, soyez sûrs qu’ils ne se sont pas laissés vivre, qu’ils ne se complurent pas à rêvasser.

Ils ont conçu le travail non comme la nonchalante  » présence  » à un atelier ou dans un bureau, non comme simple routine, mais comme matière à initiative. Ils ont défini comment, par une série de progrès partiels, ils pourraient parvenir à un certain degré de perfectionnement, et ils ont abordé tour à tour la réalisation de chacun de ces progrès partiels.

Un mathématicien dirait qu’ils ont mis en équations les conditions de leur succès, puis résolu tour à tour ces équations.

Quand les événements susciteront sous vos pas une difficulté, reportez-vous à la présente leçon. Vous y trouverez la façon de poser le problème pour qu’il s’avère soluble ; par suite. La manière de vous tirer d’affaire vous apparaîtra plus clairement et avec plus d’évidence.

Bilan des problèmes.

3. Les divers problèmes que nous impose la vie sont au fond les mêmes pour chacun de nous quoique nous ne les apercevions pas tous avec la même netteté ; ils gravitent autour de ces deux nécessités : agir, et par conséquent bien connaître pour bien agir.

Les conditions de la vie humaine ne permettent à personne de rester impunément inerte, passif devant les événements. Se résigner quand on peut agir, c’est jeter de bonnes armes sans combattre.

Un but est avant tout : maintenir, gagner sa vie. Il ne s’atteint que si l’on travaille, si l’on s’ingénie, si l’on fait à propos œuvre d’initiative.

Et il est évident que, pour ne point peiner en vain, il faut connaître : connaître le milieu, les hommes, le travail, et aussi ce que nous négligeons volontiers : nous connaître nous-mêmes.

Tout cela n’est pas moins nécessaire pour le succès d’une entreprise que pour celui d’un individu. Toute entreprise reflète en effet la personnalité de son créateur.

Dressons, en bref, le bilan des problèmes qui se présentent d’eux-mêmes.

A. Les problèmes d’action.

4. Ce sont les premiers qui se posent :

A) quels buts, proches ou lointains, généraux ou particuliers (problèmes de finalité pouvons-nous nous proposer d’atteindre ?

B) quels moyens convient-il de mettre en œuvre pour atteindre ces buts ? comment agencer le travail (problèmes d’organisation) ? Comment gérer les biens mobiliers ou immobiliers problèmes de gestion), de façon que le meilleur rendement soit constamment obtenu des ressources dont on dispose ?

Ce sont là des problèmes de méthode. Il se pose enfin des problèmes de discipline :

Comment assurer son autorité sur ses subordonnés, et sur soi-même ? beaucoup de patrons, de chefs, en effet,  » voient  » ce qu’il faudrait faire, mais ne l’exécutent pas et sont même impuissants à le faire exécuter complètement.

B. Les problèmes de connaissance.

5. Ils aident à résoudre les précédents.

A) problèmes d’information générale et de documentation technique. Des connaissances étendues sans spécialité approfondie, c’est dilettantisme, non capacité réelle. De la spécialisation étroite sans information générale, c’est souvent compétence bornée et impuissante.

Posséder à la fois une culture générale et de la technicité est indispensable à qui veut connaître quelque chose à fond, même dans un rayon étroitement limité.

B) la connaissance, pas plus que le succès, ne peut nous être infusée. D’ailleurs, tout ne s’enseigne pas, ne s’apprend pas, ni dans les écoles, ni même dans les ateliers d’apprentissage.

Le savoir qui accroît la valeur d’un homme, de son entreprise, c’est surtout celui qu’il a acquis par son effort propre et non en emmagasinant le savoir d’autrui. D’où les problèmes de recherche.

C) nous parvenons à trouver de-ci, de-là, les éléments de la vérité, de notre vérité.

Mais cette vérité nous ne la découvrons jamais toute faite ; nous avons à l’élaborer. Et, même si d’autres l’ont fixée avant nous, jamais nous ne la posséderons si nous ne la faisons pas nôtre par la réflexion et le jugement.

Or, juger c’est toujours comparer. Les problèmes non plus de connaissance simplement enregistrée, mais de compréhension personnelle sont des problèmes de comparaison.

Comment, après l’énumération de tous ces problèmes, n’avoir pas l’impression qu’il est compliqué de vivre suivant ses désirs et de se tirer d’affaire ici-bas ? Eh oui ! Aussi combien de gens échouent parce qu’ils se fourvoient !

Ils ont cru que réaliser leur destinée, c’était tout simple, qu’il suffisait de se laisser vivre au jour le jour. Sans chercher plus loin, disent-ils, des millions d’hommes avant nous ont bien vécus.

Pelmanistes, vous ne raisonnerez pas ainsi. Par millions, certes, ont traîné et traînent encore leur existence les incapables et les médiocres ; mais votre idéal est tout autre, puisque vous êtes venus à nous.

Ignorer les problèmes, ce n’est pas les supprimer ; au lieu de se mettre en mesure de triompher des difficultés, on se laisse abattre par elles sans défense, car on ne les aborde pas à bon escient.

Or, nous marchons pour la plupart à l’aveuglette jusqu’à ce que nous rencontrions un obstacle qui nous force à réfléchir et qui ne peut être surmonté sans préparation.

Psychologie, science, logique.

6. Voici, cher pelmaniste, une distinction qui va peut-être vous paraître abstraite. mais elle est nécessaire, ne fût-ce que pour nous entendre sur le sens exact de trois mots dont il arrive qu’on use singulièrement.

Justes ou faux, nos jugements relèvent de la psychologie, qui analyse la façon dont ils se produisent. Si la manière dont nous pensons fourmille de lacunes, d’erreurs, de confusions, c’est parce que nous ignorons d’une part la réalité, de l’autre les règles de la pensée correcte : les philosophes appellent la première la matière ou le contenu de la pensée, les secondes la forme de la pensée.

La connaissance des lois qui régissent les choses s’appelle la science. La connaissance des règles de la pensée correcte s’appelle la logique.

Nous n’avons pas ici à traiter de la science, ou plutôt des sciences. Mais nous déclarons que toute profession suppose une compétence appropriée. Cette compétence exige, outre du savoir-faire, une part de savoir-connaître, c’est-à-dire de savoir tout court.

Par contre les préceptes de la logique, infiniment plus simples et d’essence plus générale que les lois de la science, vont faire de notre part l’objet de quelques développements.

II. Comment traiter logiquement les problèmes de la vie en quoi consiste l’erreur

7. Quoi de plus important, ami pelmaniste, que de saisir une fois pour toutes les diverses causes de l’erreur ?

N’est-ce pas la meilleure façon de se mettre à même de les éviter soyez comme l’automobiliste qui, dans une descente, aperçoit sur une pancarte :  » Tournant dangereux « , et manœuvre en conséquence.

Nous résolvons souvent nos problèmes  » au petit bonheur « .

8. Par une après-midi ensoleillée, z. est sorti faire une promenade avec x. et y.

Depuis deux jours le temps avait été entrecoupé d’averses. Les trois amis se demandèrent s’il fallait emporter leurs parapluies.

X. Prétendit que l’on pouvait avoir confiance dans le beau temps, les prévisions de son journal étant favorables.

Y. Assura que le moyen d’éviter la tombée de la pluie consistait à se nantir de riflards, parce que, disait-il,  » quand on n’en prend pas, il pleut toujours « .

Z. Crut pouvoir mieux décider que les autres en consultant le baromètre, qui lui annonça un  » temps orageux « . Pourtant les promeneurs ne reçurent pas de pluie, car les nuages ne s’amoncelèrent pas sur leur parcours.

X. S’en était remis à l’autorité, avec sa foi absolue en la compétence du service météorologique d’un grand quotidien.

Y. S’était montré naïvement superstitieux, malgré son apparence d’ironiste.

Rendons cette justice à z. Qu’il avait mieux raisonné que les précédents ; pourtant l’événement démentit ses prévisions.

Chacun d’eux avait fait fonds sur un préjugé, mais il y a des degrés dans la qualité des préjugés.

Z. Avait adopté le moins mauvais, il méritait d’avoir raison ; mais il ne pouvait prévoir si la totalité des circonstances devant déclencher le « temps orageux » serait réalisée pendant leur promenade. Il avait considéré une probabilité comme une certitude.

Classification des erreurs.

9. Autant de sortes de problèmes, autant de variétés d’erreurs. les causes les plus fréquentes d’erreur sont les facteurs irrationnels, les préjugés de sentiment. nous venons d’en donner un exemple. mais il existe bien d’autres sources de méprises.

A. Les facteurs irrationnels.

10. Il ne faut pas écarter sans examen les préjugés que nous possédons, car certains ont leur utilité : sans eux nous ne jugerions point, nous ne penserions pas. Penser, c’est trouver, à tort ou à raison, les éléments de la solution d’une énigme dans des idées préconçues. Si vous avez une serrure à ouvrir, il vous faut une clef, mais on peut essayer beaucoup de trousseaux de clefs avant d’en trouver une qui fasse jouer le pêne.

Nos préjugés ne sont souvent que l’effet de nos sentiments. Nous sommes portés à reconnaître toutes les qualités aux gens que nous aimons, à prêter tous les défauts à nos ennemis.

Tel se fait « rouler » dans les affaires, parce que sa vanité le voue à être la proie des flatteurs, comme le corbeau de La Fontaine ; tel autre manque de « cran » par excès de méfiance. Tous deux ont déformé les choses, l’un les modelant sur ses désirs, l’autre sur ses craintes.

La paresse d’esprit, elle aussi, favorise l’éclosion de préjugés. Beaucoup de convictions simplistes n’ont pas d’autre origine.

Une agence de fonds de commerce n’arrivait pas à trouver preneur pour un magasin de chaussures que l’on cédait pourtant à fort bon compte. Deux firmes de la même spécialité ayant fait faillite dans cette rue, il était de notoriété publique qu’un tel commerce n’y pouvait prospérer.

Pourtant, un bottier, ayant constaté la proximité d’un square, ouvrit avec grand succès dans cette boutique un magasin de chaussures pour enfants. Il réussit où ses prédécesseurs routiniers avaient échoué, conformément au préjugé admis.

Ajoutons que souvent les gens jugent des choses plutôt selon leur façon d’agir sur elles, que selon ce qu’elles sont essentiellement.

Georges C., avait l’étoffe d’un brillant avocat ; les circonstances l’ayant fait devenir représentant de commerce, il ne conçut jamais les affaires que comme des occasions de plaider devant le client à gagner.

Quand il eut à placer tour à tour des cuirs, puis des produits alimentaires, enfin des machines-outils, il s’en tint toujours aux mêmes arguments généraux pour obtenir des commandes très différentes répondant à des conditions particulières. Il négligea d’apprendre la technique de chacune de ces spécialités : omission inconsciente qui lui nuisit considérablement.

De même, tel homme politique n’était qu’orateur et a voulu agir en législateur ; tel autre, exclusivement juriste, a voulu traiter des questions économiques. Leur incompétence s’est ainsi étalée au grand jour.

B. L’erreur pratique : les actions manquées.

11. De quelqu’un qui malgré son travail a gâché sa vie, qui n’a pu acquérir ou qui a perdu une bonne situation, on peut dire qu’il s’est trompé. Il a suivi une fausse piste ou trébuché contre un obstacle qu’il aurait pu prévoir et éviter.

Ce sujet, prendre la direction de sa vie, est d’importance capitale, mais comme il est familier aux Pelmanistes, nous pouvons nous borner ici à de rapides indications. Les actions manquées se produisent dans l’un — ou dans plusieurs — des cas ci-après :

1 ° pas d’idée d’avenir, pas d’idéal, pas de but.

2 ° pas d’intérêt profond et durable pour ce que l’on entreprend.

3 ° pas de persévérance. Combien abandonnent par versatilité ou par lassitude une affaire qu’ils eurent le mérite de bien lancer ! Combien d’autres la délaissent par découragement, au premier obstacle sérieux qu’ils rencontrent !

Ils s’imaginent que le succès se conquiert très vite alors qu’il exige généralement des années d’effort continu.

4 ° pas de décision assez rapide : dans chaque affaire il y a des moments opportuns qui passent et ne reviennent pas.

5 ° pas de moyens pour réaliser la fin présomptueusement rêvée : pas d’idées fécondes, d’aptitudes, d’argent.

Que d’inventeurs se désespèrent de n’avoir pas les fonds, ou telles autres ressources matérielles, tels soutiens qui leur permettraient d’exploiter leur invention, faute de comprendre qu’ils en pourraient trouver s’ils savaient inspirer confiance !

Mais, inspirer confiance exige lucidité d’esprit, ténacité, valeur morale, assurance et bonne tenue extérieure. Il convient toujours d’avoir pour soi non seulement des qualités solides, mais jusqu’aux apparences de ces qualités.

6 ° pas de travail pour mettre en œuvre les moyens dont on dispose. C’est la grande lacune des paresseux, qui voudraient bien que le travail se fît… sans eux.

7 ° pas de méthode, pas d’ordre pour sérier les phases du travail, inventorier ses moyens, les adapter au but, les faire converger vers lui.

8 ° pas de préparation ou préparation trop hâtive ; non-observance des conditions matérielles et économiques.

Celui qui veut éviter l’échec doit posséder ces facteurs de la réussite que nous venons de considérer : but, intérêt, persévérance, décision suffisamment rapide, moyens appropriés, travail, méthode, préparation.

Ils sont tous également indispensables. Quel aveuglement que d’incriminer la chance, quand on a négligé de mettre dans son jeu ces huit atouts ou qu’on n’a pas pu y parvenir !

C. L’ignorance.

12. Bien des erreurs sont le fait d’une simple ignorance, ou connaissance insuffisante du sujet. Tel juge avec la dernière rigueur l’auteur d’un crime passionnel, alors que les circonstances du drame lui demeurent en partie inconnues et qu’elles seraient de nature à le disposer à l’indulgence s’il les connaissait.

Faute de connaître, et, ce qui est pire, pour s’être entêtés à ne pas vouloir connaître les procédés modernes de culture, bien des paysans continuent, par routine, à se contenter d’un rendement médiocre, au lieu de bénéficier, grâce à de meilleures façons culturales, d’un rendement supérieur. Un artiste peintre, pour enfin gagner de l’argent, monte une savonnerie en se conformant strictement aux indications que donnent les ouvrages spéciaux sur cette industrie : faute de savoir-faire professionnel, faute d’expérience technique personnelle, il échoue.

D. Les erreurs d’induction.

13. Considérons maintenant ce qui est imprudences de la pensée, plutôt que simples ignorances. Certains raisonnement appelé induction y donne lieu fréquemment. Il consiste à admettre que la nature obéit toujours aux mêmes lois, c’est-à-dire qu’il faut toujours les mêmes faits pour aboutir aux mêmes résultats et que les individus d’un même type ont tous en commun certains caractères.

Cette manière de raisonner peut donner lieu aux erreurs suivantes :

1 ° la généralisation illégitime. Qu’une féministe extravagante s’habille en homme et proclame l’égalité intégrale des sexes, et cela donne prétexte à certains d’affirmer que toutes les féministes sont des déséquilibrées qui cherchent seulement à « singer » les hommes.

Beaucoup de gens s’imaginent qu’il fait toujours chaud dans les pays du midi, toujours froid dans ceux du Nord. Ce simplisme peut se manifester soit que l’on conclue du général au particulier, soit que l’on conclue du particulier au général.

Ainsi certains supposent étourdiment qu’une règle n’a pas d’exception. Croyant tous les méridionaux bruns, tous les septentrionaux blonds, ils s’étonnent par exemple de voir une Provençale blonde ou une Danoise brune.

Presque tous les moralistes et la plupart des théoriciens politiques ont cru étudier réellement les hommes en dissertant sur l’homme en général, sorte de type conventionnel, artificiel, au lieu de distinguer la diversité des races et des cultures humaines réellement existantes.

Une autre forme particulière de ce simplisme consiste à négliger les différences de temps. Quand on parle des Républiques de la Grèce ancienne, on les évoque volontiers comme si elles avaient été du même type que les nôtres.

Inversement, certains politiciens voudraient à toute force juger la révolution russe actuelle sur le patron de la Révolution française de 1789.

Dans l’appréciation des actes humains, l’opportunité doit intervenir comme facteur important : par exemple, il est sensé, en période de vacances, de retarder une excursion pour cause de pluie ; mais, en temps normal, on serait sans excuse si l’on n’allait pas à son bureau pour semblable motif.

2 ° la spécification illégitime. Il est plus rare, mais il arrive pourtant que nous péchions par horreur du simplisme, par goût des distinctions subtiles et compliquées.

Certains pédants se perdent en des « distinguo » sans fin ; ils coupent des cheveux en quatre ; ils lisent… des volumes entiers, entre les lignes.

Chez ceux qui cherchent à toute force une interprétation subtile des choses simples, on peut dire de leurs pensées que « le raisonnement en bannit la raison ».

Pierre témoigne de l’empressement à paul : ce dernier, au lieu de répondre à une affabilité naturelle et désintéressée, soupçonne des intentions cachées et cherche dans les paroles les plus claires des sous-entendus subtils.

Un chef fait une remarque à un employé : celui-ci, au lieu de ne tenir compte que du sens précis de l’observation qui lui a été adressée, imagine qu’on médite de le « remercier » à la première occasion.

3 ° abus de l’hypothèse. Nos étudiants savent que nous n’éprouvons d’intérêt, et à vrai dire que nous ne réfléchissons qu’à la lumière d’une supposition ou hypothèse, dont nous cherchons, dans la réalité, une confirmation. Mais ce procédé, qui peut deviner le vrai, peut aussi nous faire tomber dans l’erreur.

Fascinés par notre idée, nous négligeons ou nous travestissons volontiers les faits, surtout ceux qui ne la corroborent point.

Ainsi, la plupart des évolutionnistes paraissent ne pas connaître ou écartent partialement les faits qui démentent l’idée d’une évolution. De semblables préjugés sont devenus des systèmes.

La valeur des hypothèses est grande pour guider l’esprit, à la condition que nous ne soyons pas leurs dupes et que nous ne les considérions pas comme vraies tant qu’elles n’ont pas été suffisamment confirmées. La déformation professionnelle de l’intelligence fait tomber dans des partis pris beaucoup de gens.

À écouter m. Josse, on le reconnaît orfèvre. redoutable est la mentalité du juge d’instruction endurci : plus d’un innocent a payé de sa vie le malheur d’avoir contre lui quelques apparences favorisant accidentellement l’idée arrêtée d’un magistrat sûr de ses hypothèses, de ses raisonnements, et y conformant son jugement.

4° précipitation. Descartes, dans le « discours de la méthode », impute l’erreur soit à la prévention, qui est justement ce que nous venons d’indiquer, soit à la précipitation.

De cette dernière nous avons déjà fait mention, et nous insistons, car on la trouve à l’origine de multiples échecs. Trop souvent nous jugeons sans réflexion préalable suffisante.

Plus d’un conquérant, faute de réflexion mûrie, ne semble pas avoir prévu que son désir de domination devait coaliser contre son ambition des adversaires inattendus.

Enthousiaste dès le début de son exploitation d’un nouveau brevet, tel industriel monte d’un seul coup — en série — plusieurs usines, dont un bon tiers s’avéreront superflues : il a étendu son entreprise avant de pouvoir apprécier le rendement maximum qu’elle parviendrait à produire et qui s’est trouvé au-dessous du rendement escompté.

E. Les erreurs de déduction.

14. Il existe enfin des erreurs inhérentes à des vices de raisonnement déductif. la forme la plus ordinaire de cette sorte de raisonnement est ce que les logiciens appellent dans leur langage spécial le « syllogisme », et qui consiste à tirer de deux affirmations une troisième qui se trouve contenue dans la réunion des deux autres, bien qu’on ne s’en aperçoive pas au premier abord.

Le syllogisme donne facilement naissance à des erreurs nommées sophismes. On tombe dans ces erreurs soit en prenant comme première affirmation un fait erroné, soit en tirant de deux affirmations exactes une conclusion qui n’y est pas renfermée.

Ainsi mme x… Soutient que les araignées sont malsaines et « donnent des boutons ».

Sur quoi fonde-t-elle son dire ? sur ceci, que « les araignées sont sales ».

Effectivement, un logicien, mettant en forme le raisonnement de mme x…,

S’exprimerait ainsi :

« tout ce qui est sale est malsain.

(affirmation fausse) “or. Les araignées sont sales » : ” donc elles sont malsaines. »

En dépit de la forme logique du raisonnement, les araignées de france sont inoffensives. Elles ne sont pas sales par nature. La seconde affirmation était fausse.

Autre exemple. M. l…, fonctionnaire, est nommé chef d’un service à madagascar. sa femme et lui s’inquiètent pour leur santé, car le climat des colonies passe pour être dangereux. Or, si certaines régions côtières connaissent les fièvres, l’Emyrne, plateau où se trouve Tananarive, est salubre.

Le défaut ne vient pas du raisonnement, mais du préjugé que le séjour aux colonies est toujours dangereux.

Ici c’est la première affirmation qui est fausse.

(affirmation fausse) toutes les colonies ont un climat dangereux.

Madagascar est une colonie ; donc Madagascar a un climat dangereux.

A fortiori se trompe-t-on, quand on prend pour conclusion de deux affirmations ce qui ne s’y trouve point renfermé. C’est ce qu’on appelle  » passer à côté de la question « .

On commettrait cette méprise, si l’on raisonnait ainsi :

Toutes les colonies ont un climat dangereux ; or Madagascar est une colonie ; donc on ne peut pas faire sa fortune à Madagascar.

Même si l’on admettait la vérité de la première affirmation, il ne s’ensuivrait point l’impossibilité de faire sa fortune à Madagascar.

Combien de nos raisonnements sont de même manière et au même degré fautifs !

Vous ne sauriez critiquer de trop près tout ce que vous êtes tenté d’affirmer.

Évitons de poser en principe. Comme une vérité établie, ce qui fait l’objet même du débat. Une semblable  » pétition de principe « , comme disent les logiciens, est commise par ceux qui, comme ci-dessus, préjugent que  » toutes les colonies ont un climat dangereux « , quand ils craignent que celui de telle colonie le soit.

Évitons aussi le  » cercle vicieux « , dans lequel la conclusion était déjà nécessaire pour que la première affirmation fût vraie.

Alors tout est à la fois principe et conclusion : l’œuf vient de la poule, et la poule vient de l’œuf. Cet exemple même, remarquez-le, prouve que souvent la réalité « se moque » de notre logique et que par suite nous ne devons pas abuser de cette dernière.

Le « cercle » n’est vicieux que dans nos raisonnements sur des idées abstraites et non dans la réalité.

On peut raisonner ainsi : il faut de la volonté pour progresser ; mais si l’on n’a pas de volonté, on doit d’abord progresser pour acquérir de la volonté. La possibilité de la rééducation mentale a beau se heurter à ce sophisme qui tend à la nier, elle existe néanmoins, elle est un fait.

Pour éviter les erreurs qui viennent d’être envisagées, tâchons de ne pas « passer à côté de la question ». Serrons-la de près, au contraire, et précisons l’objet propre du débat.

Une question est presque résolue quand elle a été nettement posée, après élimination des considérations inutiles, des à-côtés qui n’ont qu’un rapport lointain avec le sujet, ou même qui lui sont étrangers.

Une précaution initiale consiste à bien se rendre compte du sens exact des mots.

III. Comment traiter logiquement les problèmes de la vie

En quoi consiste la vérité

Informés des problèmes et mis en garde contre les erreurs possibles, nous en venons maintenant à la solution des difficultés.

La solution des problèmes.

15. Cette expression, solution des problèmes, ne doit effrayer personne. nous avons conservé la terreur de ces épreuves, où le maître d’école paraît prendre un malin plaisir à faire trébucher l’intelligence adolescente. Il s’agit ici des épreuves de la vie et non de celles des examens. Le danger d’une mauvaise solution n’en est que plus redoutable, mais la scolastique en est absente.

Vous pouvez, pelmanistes, résoudre presque sûrement vos problèmes, pratiques ou spéculatifs, en les confrontant avec ces deux tables que nous venons de dresser  : le bilan des problèmes et la classification des erreurs. Faites comme le commerçant qui, dans le doute si une pièce est fausse, se reporte au tableau des « pièces à refuser ».

Nous ne vous apportons pas, comme un barème, la solution toute faite de tous vos problèmes ; car la vie est trop complexe pour s’accommoder de ce simplisme ; mais nous vous indiquons les principaux risques de méprise et vous fournissons des directives susceptibles de vous guider dans vos raisonnements.

Les considérations qui suivent vous aideront encore et vous permettront de vous faire une idée juste de cette chose si nue et pourtant si travestie, si simple et pourtant si diverse, qu’on appelle la vérité.

A. La vérité pratique.

16. D’où vient que certaines de nos actions réussissent ? de ce que les moyens que nous employons sont propres à nous faire atteindre le but ; et par moyens nous entendons ici non seulement les ressources matérielles ou de crédit, mais les ressources morales : travail, méthode, persévérance.

Il faut avoir un but précis pour ne point risquer de « passer a coté de la question »,

pOur éviter les confusions, pour régler son activité. Au contraire les moyens peuvent être très divers, car l’organisation leur imprime justement cette accommodation vers un même but, qui assure le succès de l’entreprise.

Toute considération superflue, tout illogisme est cause de faiblesse, de désastre. Les grands réalisateurs sont ceux qui voient simple et réalisent de la clarté parmi des conditions extrêmement diverses, où se perdent les intelligences moyennes.

Parallèlement, une affaire se révèle logique par le fait qu’elle se montre viable. Nous ne voulons pas dire pourtant que des combinaisons mal conçues ne puissent aboutir et subsister, mais elles sont toujours onéreuses par quelque endroit, et elles ne durent qu’étayées par d’autres affaires plus cohérentes et mieux fondées.

Unité dans la multiplicité, adaptation des éléments à une fin commune, organisation des moyens : tous ces caractères montrent qu’un acte pour réussir doit non seulement, cela va de soi, ne pas se détruire lui-même par une contradiction interne, mais fonder son efficacité sur la perfection de son agencement.

Dans un site charmant, environné de beaux ombrages, un médecin fait édifier une maison de santé pour gens du monde en quête de calme et de silence. Commencés à l’automne, les travaux durent tout l’hiver. L’entrepreneur n’hésite pas à engager de grands frais pour que l’établissement soit achevé au début de la saison chaude.

Arrive l’été. La maison va être prête à recevoir ses hôtes. mais voici qu’un matin une série de violentes détonations ébranlent l’atmosphère et les échos d’alentour.

Vivement intrigué, le médecin s’enquiert de la cause de ce vacarme. On lui apprend qu’il s’agit d’exercices d’artillerie lourde, qui durent tout l’été, et que le champ de tir est situé à une distance relativement faible du sanatorium.

Ces exercices balistiques quotidiens commençant de très bon matin rendent impossible toute cure de repos et, par conséquent, ôtent à l’institut médical sa principale raison d’être. Adieu donc le succès entrevu !

B. L’information supprime l’ignorance.

17. Quand un jugement porte sur un événement, il est vrai s’il s’accorde exactement avec les conditions de cet événement. En ce cas la vérité consiste en la conformité de notre pensée avec les choses.

On peut dire que, sous telles conditions de pression de l’air, l’eau bout à une température de 100 ° centigrades, parce que toujours l’expérience confirme ce fait, qui a, par suite, force de loi. Les lois de la nature sont constantes ainsi, dans certaines conditions déterminées, — mais non pas « absolument » ou indépendamment de toute condition ou dans des conditions variables. Cette dépendance constitue ce qu’on appelle leur « relativité ».

En physique donc, ou en histoire, – partout où il y a science, – l’ignorance cesse quand on se procure et qu’on s’assimile de l’information ou de la documentation. Dans ce cas, les logiciens déclarent que le critérium de la vérité est l’expérience. S’il s’agit de science faite, apprenons et nous saurons ; s’il s’agit de science en formation, observons et nous découvrirons si nous sommes assez persévérants et méthodiques.

C. La vérité dans l’induction.

18. Nous avons vu que l’induction consiste à admettre que la nature obéit toujours à des lois. On en fait usage non seulement dans la science, mais dans l’ordre des opinions humaines, lesquelles sont, à l’infini, diverses, incertaines et même contradictoires.

Cette méthode consiste à débattre le pour et le contre et à déterminer ainsi la valeur relative des thèses adverses. Il n’existe point, on ne saurait même concevoir d’erreur absolue : l’assertion la plus paradoxale, par certains biais, peut contenir quelque parcelle de vérité.

Si je dis que le noir est blanc, quoique ma phrase soit logiquement absurde, elle renferme une parcelle de vrai, car il y a quelque lumière ou clarté dans tout ce qu’on perçoit, même dans ce qui paraît noir, sinon nous ne le percevrions point.

Réciproquement l’affirmation la plus vraie enveloppe quelque inexactitude. Si je dis :

Le noir est noir, j’ai un peu tort pour le motif sus-indiqué. Chaque contraire est relatif à son contraire ; ils n’ont de sens que l’un par l’autre.

Or les opinions humaines sont d’ordinaire différentes plutôt que contraires ; elles sont différentes parce que chacun juge d’un point de vue limité, tout à fait particulier, propre à sa situation individuelle dans le vaste univers, donc d’un point de vue où ne se trouve exactement placé aucun autre être.

Soit une enquête de simple police sur le moindre fait divers. il y a des témoins sincères, il n’y en a pas de rigoureusement véridiques — à moins qu’il ne s’agisse d’un fait matériel facile à constater ou mesurable : une voiture renversée, une blessure,, l’évaluation d’un dégât, etc.

Deux personnes ne sauraient avoir vu « exactement la même chose », même si leur vision n’est altérée en cette occasion par aucun préjugé. Tel témoin affirme, tel autre nie que le cocher ait montré le poing au client, pendant l’altercation, et chacun contredit l’antre partiellement ou totalement avec une entière bonne foi.

La justice — qui requiert la connaissance du vrai dans les actes humains — est donc fort difficile à établir, et nous sommes injustes quand nous déplorons son injustice.

Elle ne peut procéder que par confrontation de témoignages, et ils sont tous plus ou moins faux. Admirons-la d’extraire le plus souvent de ces à-peu-près contradictoires des sentences admises comme équitables !

C’est de la même manière d’ailleurs, remarquons-le, que l’historien établit, tant bien que mal, notre connaissance du passé sur des interprétations des événements, toutes suspectes d’inexactitude, mais dont la plus erronée contient un peu de vrai.

L’idéale vérité consisterait dans la conformité de l’esprit avec les choses, donc dans la conformité des opinions entre elles.

Peut-être ne sera-t-elle jamais atteinte ; mais on s’en rapproche indéfiniment par les progrès de la connaissance et par ceux de l’esprit critique, que nous étudierons plus loin.

Grâce à eux, on restreint de plus en plus le risque des généralisations ou spécifications illégitimes, le danger des hypothèses préconçues et celui de la précipitation.

D. La vérité dans la déduction.

19. Au paragraphe 11 nous avons présenté la déduction sous l’aspect du syllogisme, comme le passage de deux affirmations à une conclusion qui s’y trouve tacitement comprise. Cette conclusion peut donc s’en tirer, autrement dit s’en déduire.

Les règles du syllogisme ont été codifiées. Bornons-nous à dire qu’ici le critère de la vérité consiste dans la non-contradiction, c’est-à-dire dans la conformité de l’esprit avec lui-même.

Quoique purement négative, la non-contradiction est une condition essentielle du vrai.

Quand je me contredis, je suis en désaccord avec moi-même, car j’adopte dans le même argument deux opinions incompatibles.

Le cas se produit lorsque je prétends tirer de deux affirmations une conclusion qu’elles ne comportent pas ; par exemple si je dis (en abusant du sens académique du mot « immortel ») :

Tous les hommes sont mortels ;

M. X., académicien, est un « immortel » ; donc, M. X . n’est pas un homme ; et aussi quand je prends pour principe et pour conséquence, tour à tour, la même chose.

Par contre, si de thèses supposées vraies je tire sans faute de raisonnement les conclusions qu’elles impliquent, je suis sûr d’avoir bien argumenté, d’avoir évité l’absurde, quoique, en réalité, le résultat puisse ne pas correspondre à ce que sont les choses. On peut raisonner juste sur des erreurs ou des illusions.

Vérifiez donc toujours si le point de départ d’un raisonnement est bien fondé.

La force du vrai.

20. Il y a des caractères communs à ces diverses conceptions du vrai, que nous venons d’énumérer dans cette troisième partie. Le vrai exclut la contradiction ; il vaut par sa cohésion interne.

Cette cohérence produit la plus grande force mentale qui soit au monde. Un esprit est invincible quand il refuse d’admettre comme conciliables en une même chose et en un même temps des attributs contradictoires. On peut imposer silence à l’homme courageux qui dénonce une telle contradiction, mais on ne peut faire qu’il ait tort.

Cette légitimité ou cette illégitimité des jugements sont indépendantes de la personnalité qui les proclame. Une vérité qui a perdu ses protagonistes peut toujours en susciter d’autres, car sa force demeure la même.

De là vient que lorsque des martyrs sont morts pour attester une vérité, d’autres porte-parole leur succèdent, proclament à nouveau cette vérité et la font triompher.

L’homme dont les ambitions reposent sur une vue juste, sur un calcul exact, a dans les bases solides de son idéal une ferme confiance qu’aucune hostilité, qu’aucun revers ne saurait abattre. Par contre, une prétention illogique, une fois reconnue comme telle, ne saurait être maintenue, à moins de déraison ou de ridicule.

De ce que la vérité s’affirme plus efficace que toute autre puissance physique ou morale, il ne s’ensuit nullement qu’elle fasse son chemin d’elle-même, ni qu’elle se montre à découvert.

Elle a besoin que le génie du savant ou du réalisateur, que le travail humain la révèlent et dégagent sa voie. Cette recherche, ce travail ont fait mourir à la peine quelques-uns de ceux dont s’honore le plus notre race. Mais si certains redoutent et combattent la vérité, d’autres la respectent et lui vouent un culte.

Tout a été dit sur la difficulté d’arracher à l’humanité ses préjugés, à la nature son secret. Quoi de plus invraisemblable, à nos yeux à nous, que la génération spontanée ?

Pourtant, pasteur dut soutenir des luttes épiques pour réfuter cette absurdité.

D’ailleurs, en nous exprimant ainsi, prenons garde de ne point dépasser nous-même la mesure. Absurdité logique, peut-être, mais la vie s’accommode, au moins en apparence, de ce que nous jugeons un peu vite comme absurde.

Tout zoologiste sait en effet que la parthénogenèse ou reproduction par des éléments femelles sans participation de l’élément mâle, est un fait chez beaucoup d’espèces vivantes.

Honorons le vrai, mais sans ce fanatisme à courte vue qu’on appelle esprit de système et sectarisme.

IV. L’apprentissage de la recherche du vrai

La logique et la vie.

21. Notre logique, nous l’avons vu, n’assujettit jamais complètement la réalité à ses formules. L’esprit logique ne règne en souverain que dans les sciences abstraites : les mathématiques, par exemple. Les lois physiques, déjà, ne comportent que probabilité statistique, non-certitude absolue.

À fortiori la logique ne s’applique-t-elle que sous d’expresses réserves à la vie, et en particulier à l’activité humaine. Il ne s’agit même plus alors de science établie, mais d’opinion variable. Pourtant ici encore, nous le verrons, l’expérience joue un rôle décisif dans l’approximation.

Précisons d’abord que le rôle de la logique, rôle indispensable d’ailleurs, reste négatif.

La logique proprement dite ou « formelle » fournit de garde-fous le chemin qui mène au vrai, plutôt qu’elle ne nous y conduit.

Nécessaire comme pierre de touche pour nous faire discerner ce qui est bien ou mal raisonné, elle n’a jamais fait penser ou inventer. Et même, quelque agencement d’idées fortement organisé peut être tout à fait en marge de la vérité : il ne faudrait donc pas conclure de la cohérence interne de nos idées à leur valeur en ce qui concerne les choses.

Il existe en effet des systèmes « bien trouvés » qui ne sont vrais à aucun degré. Par contre, « le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable ». Des utopies métaphysiques ou sociales, des institutions qui nous apparaissent périmées jouirent à leur heure d’un prestige dû à leur parfait agencement théorique.

Ceci prouve que, dans la réalité, la logique est mise en échec par le changement, par le perpétuel devenir.

Des époques différentes, comme des civilisations diverses, ne peuvent vivre sur le même stock d’idées, même si ce stock est cohérent ; tôt ou tard, les modes d’organisation craquent.

Pour la même raison, le droit écrit se transforme lentement, sous la poussée des événements ou des mœurs.

Importance de la critique.

22. L’évolution de l’humanité assigne un rôle immense à la critique dans la recherche du vrai. Elle ne se borne pas à saper les « vérités » anciennes et à faire ainsi place nette pour les vérités d’aujourd’hui et de demain.

Elle est le frein que le chercheur impose à son imagination pour se montrer juge sévère envers ses propres hypothèses.

Ne croyez pas qu’elle ne fasse que détruire ; elle inspire l’effort même du savant, de l’homme d’affaires. C’est elle qui accommode les moyens aux fins, et aussi qui proportionne les fins aux moyens. Nous allons la voir à l’œuvre sous de multiples formes.

L’impartialité.

Préludons à la recherche du vrai par de l’impartialité.

Défions-nous des idées préconçues.

23. La première condition pour pénétrer jusqu’au vrai, consiste à exclure les facteurs irrationnels, dont nous avons signalé l’influence pernicieuse sur nos jugements. Il faut faire abstraction de nos vœux, de nos préférences, de nos passions.

Ceci peut paraître contredire la doctrine de nos deux premières leçons, où la poussée intérieure, l’intérêt sont présentés comme les moteurs de notre pensée. Contradiction apparente seulement : la recherche du vrai, toujours ardue, souvent douloureuse, ne se conçoit que moyennant un amour de la vérité pur de tout alliage sentimental ou autre.

Il faut donc faire abstraction aussi de certains de nos préjugés. En tout nous ne jugeons que suivant des préjugés, mais nous pouvons changer nos préjugés ; tous ne se valent pas ; il en est de plus et de moins compréhensifs ; c’est-à-dire explicatifs.

Pour pratiquer l’impartialité, méfions-nous du pli professionnel, méfions-nous de l’« équation personnelle », de cette tournure d’esprit qui résulte pour nous de nos réflexions, de nos actes antérieurs, de nos intérêts.

Il arrive que l’on confonde très fâcheusement l’impartialité et l’indifférence pour le vrai ou le faux. « Toutes les opinions, dit-on, sont respectables ». Sophisme !

Ce qui est respectable, c’est la sincérité de chacun de nous, mais non pas l’erreur partielle ou totale dans laquelle nous pouvons être plongés à notre insu.

Table rase ou rectifications graduelles ?

24. L’expulsion des erreurs, la suppression des préjugés se peuvent opérer de deux façons.

L’une, radicale, en principe intransigeante, quelquefois salutaire, plus souvent dangereuse, souvent aussi utopique, affiche la prétention de faire « table rase » de toutes conventions, de tous résultats obtenus jusqu’au moment actuel, pour reconstruire au milieu de ces ruines tout l’édifice de la réflexion, toute l’entreprise novatrice, sur des bases improvisées.

Mentalité « révolutionnaire ».

L’autre façon, pour parler comme auguste comte, « ne détruit que ce qu’elle remplace ». Elle substitue à un rouage désuet un organe moderne, sans démonter tout le mécanisme, et surtout sans tout jeter au rebut. Elle corrige et améliore pièce par pièce.

Mentalité « progressiste » et « conservatrice » à la fois.

Le second procédé est le plus prudent, sinon même le plus sage. Le « doute méthodique » de notre logicien Descartes, éminemment bienfaisant dans la théorie, risque d’être effroyablement destructeur dans l’ordre pratique.

Aucune affaire, aucune société, aucune pensée individuelle ne peut vivre si les principes sur lesquels repose son existence sont sans cesse remis en question.

La meilleure façon d’aimer et de servir la vérité est de ne pas la rendre stérile en faisant le désert autour d’elle, mais de la réaliser par un travail incessant, d’autant plus courageux qu’il est sans éclat.

Quand est brisé le manche de la cognée, agit-on raisonnablement si l’on jette la cognée à la ferraille ? N’est-il pas plus judicieux d’y ajuster un manche nouveau ?

Le tâtonnement.

25. Tout effort humain, en effet, ne progresse qu’en tâtonnant. seule la vérité définitivement conquise s’établit par démonstration régulière ; la vérité qui se fait a une apparence plus modeste.

Elle chemine comme le petit poucet, qui jalonnait sagement sa route de ceci ou de cela, pour la reconnaître au retour. Si la route est jalonnée de mie de pain, ne soyons pas surpris que les moineaux effacent toute trace de passage.

Dès lors, que de marches et de contremarches pour retrouver la véritable voie !

Combien d’échecs inévitables, pour une réussite !

L’enchevêtrement des conditions, des causes et des effets peut créer des problèmes à l’infini dans n’importe quel objet d’étude, ou à propos de n’importe quel acte à accomplir.

Ne faisons pas fi de cette sagesse acquise par tâtonnement en passant d’un problème à l’autre, et qu’on appelle l’expérience ! Consultons celle d’autrui aussi bien que la nôtre : davantage celle d’autrui si nous sommes jeunes, davantage la nôtre si nous avons dépassé la maturité.

C’est l’ariane à laquelle nous devons le fil qui nous permet de sortir du labyrinthe de nos perplexités.

Par tâtonnement nous entendons ici des essais multiples pour forcer la réussite, ou pour pénétrer le fond des choses. Il consiste toujours à mettre à l’épreuve, dans les circonstances nouvelles, des idées que nous possédons, des habitudes acquises, jusqu’à ce que nous ayons reconnu celles qui conviennent dans le cas particulier qui se présente.

Rôle de l’hypothèse.

26. Nos leçons 2, 5 et 7 vous ont appris, à propos de l’observation, de la concentration, de l’imagination, quel rôle primordial joue l’hypothèse dans la recherche. On n’entreprendrait, on ne pourrait diriger aucune enquête si l’on n’avait quelque idée provisoire sur son résultat éventuel.

L’hypothèse est une solution anticipée, que l’on envisage dubitativement. Elle se trouve juste et on l’accueille si des faits contrôlés s’en laissent déduire. Elle est fausse et on la rejette si ces faits lui échappent ou même sont contredits.

Voici un exemple comparable à celui qui fut tiré dans la leçon 7, de la mévente du thé dans certains quartiers d’une grande ville.

Dans la géographie commerciale élémentaire de l’anglais h. R. mill, on rencontre le passage suivant (p. 3) :

« bien souvent la raison pour laquelle les industries ont été concentrées dans certaines villes n’apparaît que lorsque l’histoire commerciale de la localité a été étudiée.

Pourquoi Dundee, l’un des ports de la Grande-Bretagne les plus éloignés de toute source de matières premières, est-il le centre de la fabrication du jute ? »

Ni le manuel désigné ci-dessus, ni les ouvrages similaires ne fournissent de réponse satisfaisante à cette question.

Nous devons donc formuler nos propres hypothèses et en faire l’épreuve, espérant qu’à la fin toutes les théories non justifiées seront éliminées, et que celle qui nous restera fournira la réponse cherchée.

Première hypothèse. Les conditions seraient-elles favorables au filage de ce textile ?

Il en est évidemment ainsi, mais aucune raison apparente ne permet de supposer que

Dundee est le seul endroit du royaume-uni où le jute puisse être manufacturé.

L’hypothèse ne nous dit pas pourquoi, sur une moyenne de 43 personnes qui travaillent en Grande-Bretagne dans l’industrie du jute, Dundee en occupe 39.

Deuxième hypothèse. Serait-ce accidentellement que cette industrie a pris un tel essor dans cette localité ?

Pour vérifier cette hypothèse, il faut connaître l’histoire de dundee. Nous consultons donc une encyclopédie. L’hypothèse n° 2 se trouve être tout à fait fausse, mais en la vérifiant, nous apprenons les faits suivants :

A) dundee est le siège principal de la fabrication du jute.

B) dundee est le siège principal de la fabrication des tissus de grosse toile.

C) c’est le siège d’une grande industrie de marmelade.

D) c’est le centre de la pêche à la baleine et au phoque.

D’où la troisième hypothèse :

Troisième hypothèse. N’y aurait-il pas une connexion entre l’une ou l’autre de ces industries et celle qui nous occupe ?

Comment vérifierons-nous cette hypothèse ? ce qui nous vient immédiatement à l’esprit, c’est de lire dans l’encyclopédie les articles suivants : (a) jute, (b), toile, © marmelade, (d) pêche à la baleine et au phoque.

Résultats :

A) l’article sur le jute contient une phrase très significative, qui n’aurait eu aucun sens pour nous si nous avions laissé passer le fait précédent (d, 2e hypothèse) et le fait suivant (d, 3e hypothèse).

Voici la phrase : « Afin de diminuer la dureté et le cassant du jute, on le soumet à un procédé d’assouplissement dans une sorte de calandre. Des réservoirs situés au sommet servent à l’asperger régulièrement d’huile et d’eau. »b) L’article sur la toile ne nous fait pas entrevoir la solution du problème. c) L’article sur la marmelade ne jette aucune lumière sur la question. d) Dans l’article sur la baleine, nous apprenons qu’autrefois on employait l’huile de baleine comme lubrifiant dans la préparation du jute, mais que durant ces dernières années on s’est surtout servi d’huiles lourdes de pétrole ou de quelque autre huile minérale équivalente, changement qui a fait baisser le prix des huiles de baleine.

Conclusion. — Désormais tout s’explique : l’industrie du jute s’est établie à Dundee parce que cette ville était le centre du commerce de la baleine, et que ce mammifère fournissait un produit essentiel pour la fabrication du jute. L’article sur la pêche à la baleine nous confirme notre déduction, en nous apprenant que l’huile de baleine était très employée autrefois pour l’assouplissement du jute.

Cet exemple nous montre l’utilité des hypothèses : elles indiquent la voie profitable.

Elles peuvent ne pas exprimer la vérité, mais si nous étudions toutes les probabilités qu’elles offrent, nous sommes sûrs d’approcher la vérité d’aussi près que cela est humainement possible.

Certes, nous aurions pu, à propos de l’exemple ci-dessus, trouver un article sur le jute mentionnant l’usage de l’huile de baleine et ne consulter les autres articles que pour ne négliger aucun facteur de la vérité.

Nous aurions pu également raisonner de façon moins analytique et dire : dundee a quelque industrie ou intérêt que ne possède aucune autre ville manufacturière : la pêche à la baleine, et arriver ainsi plus directement à la vérité.

Les règles de la méthode expérimentale.

27. La principale différence entre la logique de l’antiquité et celle de la science telle que la pratiquent nos savants depuis la Renaissance, consiste, en l’institution de la méthode expérimentale, qui arrache à la nature le secret de ses lois.

C’est encore selon cette méthode que procèdent le juge d’instruction ou le boursier tirant au clair les dessous d’une affaire, l’architecte ou l’ingénieur recherchant une malfaçon, le médecin scrutant l’évolution d’une maladie.

La codification de cette méthode se trouve chez bacon (novum organum) (1561-1626) ; John Stuart Mill (logique) (1806-1873) l’a précisée, simplifiée.

Elle présente quatre aspects essentiels, quatre tables.

La première table, dite de concordance, reproduit un même fait ou une succession de faits dans des circonstances différentes et note ce qui s’y trouve toujours. Ainsi, la chaleur est l’agent constant de la fusion et de la volatilisation. La seconde, dite de différence, fournit une contre-épreuve. Si, toutes les autres circonstances restant exactement les mêmes, on supprime le phénomène qui semble cause du fait envisagé, et si ce fait ne se produit pas, c’est que la cause pressentie était bien la cause réelle.

La pression de l’air est bien la cause de la montée du mercure dans le baromètre, car, toutes choses restant les mêmes, si l’on supprime la pression atmosphérique sur la cuvette, le mercure ne monte pas, ou, s’il était déjà monté sous l’action de la pression, il redescend.

La troisième, dite des variations concomitantes, s’applique là où nous ne faisons qu’observer sans intervenir dans les faits.

Ainsi, les marées, que nous sommes bien obligés d’étudier telles quelles, varient suivant les positions du soleil et de la lune relativement à la terre.

La quatrième, dite des résidus, consiste, étant donné un phénomène que des causes connues expliquent partiellement, à trouver une cause nouvelle qui rende compte de la partie restée inexpliquée.

Par exemple, supposons qu’on ait calculé la trajectoire d’un obus d’après la force initiale et en tenant compte de l’attraction de la terre. L’obus ne va pas aussi loin que l’annonçaient les calculs. Pourquoi ?

C’est qu’il a eu maille à partir avec des facteurs qui avaient été omis : la résistance de l’air, la direction et la vitesse du vent. Dans l’exemple précité, « dundee, centre manufacturier du jute », le « résidu » est la dépendance de l’industrie du jute à l’égard de l’huile de baleine, dont la localité considérée est abondamment approvisionnée.

En bref : cherchez, pour préciser les causes d’un fait :

1 ° les circonstances qui l’accompagnent toujours et qu’il faut retenir ;

2 ° les circonstances qu’il exclut toujours et qu’il faut écarter ;

3 ° les circonstances en fonction desquelles il varie et qui, par conséquent, déterminent ses lois.

Soit une maison qui végète. Pourtant, son personnel est dévoué, son chef compétent et plein de zèle. La clientèle, peu nombreuse, est fidèle et se maintient. Les produits non seulement gardent, mais améliorent leur qualité.

Les symptômes de décadence de cette maison résultent de ce que les maisons rivales s’accroissent, alors qu’elle demeure stationnaire, ce qui équivaut à un affaiblissement graduel.

Comment expliquer cette déchéance relative ? une hypothèse naît dans l’esprit du chef : ma publicité serait-elle maladroite, mal présentée, trop restreinte, donc inopérante ? Il recourt pour la première fois à certains spécialistes, qui élargit sa publicité.

Une nouvelle catégorie de public se trouve atteinte : aussitôt le chiffre d’affaires se relève. Coïncidence de hasard ? Non, car il y a proportionnalité entre les frais de la publicité plus étendue et l’augmentation récente de la vente. La cause et le remède ont été trouvés du même coup.

Serrez de près les difficultés : analyse, synthèse.

28. On reconnaît la maîtrise d’un technicien à la rigueur avec laquelle il précise les éléments d’un problème.

Cela suppose puissance d’analyse, pour isoler les facteurs dont l’étroite union compose la réalité, ainsi que puissance de synthèse, pour essayer de recomposer à l’aide de chaque facteur reconnu ou de plusieurs combinaisons de facteurs, la chose dont les éléments avaient été dissociés.

Un problème bien posé est, dit-on, non sans raison, à demi résolu.

C’est que les esprits vagues et flous, qui se contentent d’à peu près dans la détermination et l’exposition d’un problème, ne se départissent pas de ce commode et facile à peu près dans la molle recherche et le superficiel examen de sa solution.

Solution plus apte à masquer la vérité qu’à la dégager de ses voiles ; tandis qu’un homme au jugement lucide, à la pensée claire, à l’expression juste, qui ordonne et serre de près toutes les données d’un problème qu’il a au préalable délimité, apporte la même lucidité et la même vigueur, on pourrait dire la même probité d’esprit, dans la conduite de ses raisonnements et la vérification de ses hypothèses.

Il devine, constate, justifie des rapports et son talent s’affirme dans la précision et l’évidence de ses réponses.

La leçon VI vous a montré qu’il y a dans les choses des éléments liés entre eux nécessairement (les attributs essentiels d’une chose), d’autres liés entre eux fortuitement (ce que la chose possède accidentellement) ; rien n’importe plus que de faire cette distinction.

Contrairement à une plaisanterie traditionnelle, on ne pose jamais une équation entre l’âge d’un capitaine et la longueur du navire ou la hauteur de ses mâts. Par contre, une connexion inéluctable existe entre la forme, les dimensions, la structure du vaisseau et sa vitesse.

Un esprit logique saisit le degré de nécessité inclus dans les choses, dans les pensées, dans les faits.

Ce qui révèle en pleine lumière cette nécessité, c’est la confirmation par synthèse de ce qui a été supposé, ou établi, par analyse.

Rappelons la géniale découverte de lavoisier ; d’autres que lui pouvaient savoir qu’il y a de l’oxygène et de l’hydrogène dans l’eau. Pourtant, lui seul réussit à reconstituer expérimentalement de l’eau en combinant les deux gaz dans cette seule proportion :

Deux volumes d’hydrogène pour un d’oxygène.

L’idée de cette immuable proportion, voilà l’hypothèse ; l’expérience conforme à cette idée, aboutissant à la formation de l’eau, voilà l’effort de déduction synthétique, preuve que l’induction était juste, ou, ce qui revient au même, que l’analyse atomique était complète.

Comment juger des opinions.

29. Tous les ordres de réflexion ne comportent pas la rigueur du droit théorique, ou de la technique industrielle. Le monde du sens commun et de la vie courante, dans lequel nous vivons tous, est fait d’opinions sans rigueur logique, mais non sans force, non sans réalité.

Le bien, le mal, les convenances, la foi politique ou sociale, la confiance ou le pessimisme, le crédit, les cours de la Bourse et la valeur de ce qui se vend ou s’achète, tout est affaire d’opinion.

Si donc l’on peut poursuivre une paisible carrière sans connaître la logique des sciences, impossible dans les moments critiques de « tirer son épingle du jeu »

Autrement qu’au hasard, si l’on ne sait comment juger les opinions, comment se faire soi-même une opinion.

Voici à cet égard des conseils qui devront être médités.

Soyez curieux de toutes les opinions. C’est nécessaire pour connaître le monde, y compris les choses, car ces dernières sont pour nous en grande partie ce que nous les imaginons, pour une part aussi ce qu’autrui les imagine.

Complétez ou redressez votre opinion grâce à celle des autres. Personne n’aperçoit un objet, un événement, sous toutes ses faces, mais chacun de nous entrevoit du moins l’un de ses aspects.

Certes, il ne faut pas préjuger que toutes ces visions prises d’une même chose par des esprits différents se valent, et qu’il n’en résulte que des connaissances exactes et coordonnées ; mais dans la plus médiocre, dans la plus partiale même peut résider un élément de vérité.

Les jugements sur la guerre varient selon que le témoin appartient à telle ou telle nationalité ; selon qu’il a été soldat, diplomate, commerçant, etc. ; selon la place qu’il occupait pendant les hostilités dans la hiérarchie militaire ou sociale. L’avis du simple soldat ne vaut pas, pour l’ensemble des opérations, celui du généralissime, mais, sur bien des points spéciaux, il offre une haute valeur documentaire.

Vous pouvez donc avoir raison, sans que votre adversaire ait tort. Lorsque vous discutez, au lieu de vous persuader que vous détenez à vous seul toute la vérité, plaisez-vous à chercher dans le jugement d’autrui un complément, ou un correctif au vôtre.

Le partenaire, même hostile, vous rend service en vous éclairant sur les défaillances de votre argumentation ; vous-même pouvez lui être utile, et cette acceptation d’entraide a son prix, bien plus grand que la stérile obstination de chacun dans ses préjugés opiniâtrement défendus.

Vous ne vous irriterez plus de la contradiction, si vous comprenez à quoi tient la diversité des jugements et quel est son rôle salutaire.

Vous ne serez pas impartial par indifférence ; vous le serez au contraire par curiosité, par intérêt bien compris, par altruisme désintéressé : toutes ces attitudes honorent un homme, une femme, elles prouvent leur bon sens et leur bonne volonté ; tandis que l’entêtement dans le point de vue personnel est l’effet de la sottise et n’engendre que la haine.

Élargissez toujours votre esprit : l’observation des gens, la familiarité des grandes pensées puisées dans la lecture, le goût de vivre en société vous stimuleront à ce progrès mental.

Notez bien que nous ne cherchons pas à faire de vous un dilettante, mais à vous rendre juste et judicieux. L’intérêt des choses spirituelles ne vous sera accessible qu’à cette condition.

Conséquence pratique : ne soyez pas l’homme d’un seul journal. Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. Lisez-en plusieurs, et de fort différents, du moins de temps en temps. Sinon, même, étant ou croyant être libéral, vous deviendrez sectaire.

Ne cherchez jamais hors de vous-même une opinion toute faite ; cherchez des éléments pour vous en créer une. Elle sera, peut-être, inférieure à celle d’autrui, mais elle a pour vous une valeur plus grande parce qu’elle est l’expression de votre personnalité qu’elle contribue à former. Elle sera d’ailleurs révisable.

Un véritable critère :

L’homme avec ses diverses facultés.

30. Dans ce domaine mouvant des opinions humaines, le critère du vrai ne réside pas seulement en l’évidence propre des idées. Il y en a un plus probant que les autres, c’est le jugement de l’homme de bon sens, à la fois cultivé et expérimenté, qui se porte au vrai, comme dit Platon, par son âme entière.

La logique est rigoureuse, mais abstraite ; elle est inefficace sur la réalité ; tandis que l’homme harmonieusement équilibré, joignant à une claire intelligence de bonnes dispositions du sentiment et du vouloir, trouve les biais par où la logique peut s’appliquer à la diversité des circonstances.

L’ajustement.

31. Un tel homme s’adapte à la réalité, car il apprend à la connaître et il se hausse au niveau des circonstances en exerçant sa volonté selon les buts qu’il prétend atteindre. Il a de la ressource, du ressort ; il sait s’ajuster aux conditions diverses ou variables du milieu. Sa capacité d’adaptation à l’extérieur vient de l’harmonie qui pondère les unes par les autres ses facultés, autrement dit de la souplesse d’esprit.

L’ajustement est un fait universel. Une adaptation à des conditions relativement stables, et qui par suite se fixe héréditairement : voilà l’instinct des animaux. Une adaptation, sans cesse modifiable, à des circonstances changeantes : voilà ce que doit réaliser l’esprit de l’homme, sujet à l’ignorance et à l’erreur, mais indéfiniment perfectible moyennant l’instruction et la discipline.

L’adaptation humaine n’est point mécanique. Chez le vulgaire, ce peut être un opportunisme lâche et sans principes ; mais chez le sage que nous évoquions tout à l’heure les aptitudes s’approprient aux besoins ; l’équité, le doigté tempèrent les rigueurs de la logique, la rigidité des lois juridiques.

Cette adaptation intérieure, condition de l’adaptation au milieu extérieur, c’est la tâche perpétuelle d’une vie humaine. Elle se poursuit à travers des conflits intérieurs qui ne seront pas surmontés si nous ne cultivons pas une ardente aspiration pour quelque idéal.

Notons bien que l’ajustement ne doit pas être une compromission. Dans ce dernier cas, notre valeur diminue tandis que dans le premier elle s’accroît. Il y a des circonstances où il ne faut pas s’ajuster sous peine de maladresse ou de déchéance. Il convient alors soit de quitter la place, soit de travailler à changer le milieu.

Que chacun fasse ici appel à son expérience de la vie et des gens. Comment un homme dont les trois facultés présenteraient l’une ou l’autre des disharmonies ci-dessous figurées, serait-il capable de décision lucide ou d’action efficace ?

Manque d’équilibre mental.

A. Trop de sentiment.

32. Combien d’entre nous souffrent d’une insuffisance d’ajustement mental ! toutes nos erreurs, toutes nos déviations de conduite sont dues à l’incapacité de déterminer les valeurs respectives des éléments de notre moi. Considérez la figure que voici :

_____________

Sentiment | ____________ ______________

| pensée | volonté |

____________| ______________| ______________|

Croyez-vous qu’un homme possédant cette mentalité puisse arriver à des conclusions justes ? Est-ce un esprit harmonieux, dont les forces sont bien réparties ?

Un tel homme ne lit probablement que des romans ; s’il aspire à une religion, il choisit celle qui lui promet le mysticisme et les joies de l’extase ; en politique, il suit une école qui, si bien intentionnée qu’elle soit, vise à un État utopique, trop parfait pour convenir à la nature humaine actuelle.

Si quelqu’un l’appelle « imbécile », il est probable qu’il n’en dormira pas de la nuit.

Les mots durs pénètrent profondément en sa conscience, il les sent avec une acuité cruelle.

D’autre part, il est sensible à des impressions, à des influences que des personnes mieux équilibrées ne discernent même pas.

B. Pur intellect.

33. Considérez cette autre figure :

_____________

Pensée | ____________ ______________

| sentiment | volonté |

____________| ___ ___________| ______________|

Elle représente également un individu aux facultés disproportionnées. Celui-ci veut parler de Platon dès son petit déjeuner, et à midi, tout en mangeant sa côtelette, il disserte sur les dernières tentatives faites pour résoudre le problème de la matière, ou sur la fausse logique des économistes classiques.

Ses intérêts sont exclusivement intellectuels, et il consentirait difficilement à lire de la littérature légère. Fort instruit, il n’a pas su « s’ajuster ».

Il ne brille pas par le cœur, et il est à craindre que, faute de sens pratique, il ne sache pas défendre sa vie contre les tribulations qui la menacent. Surtout, n’allez pas lui demander de juger les gens d’intelligence ordinaire ! Il en est incapable ; il méconnaît en autrui comme en lui-même l’importance du sentiment et de la volonté.

Pour lui, la pensée est tout, ou presque tout.

C. L’homme d’action.

34. Ce troisième type ne nous est pas inconnu.

_____________

Volonté | ____________ ______________

| pensée | sentiment |

____________| ______________| ______________|

Que dit-il ? il dit : « à l’œuvre ou à la porte ! » la force l’attire toujours invinciblement ; le mouvement ou l’action l’enchantent.

Le sensitif et le penseur sont, à ses yeux, de pauvres créatures inertes qu’il faut tolérer ; son idéal, c’est d’être actif. Il ne sait rien de supérieur aux deux mots « en avant ! ». il leur trouve plus de valeur qu’aux pensées les plus profondes ou aux émotions les plus sublimes. Il en voudrait faire la devise universelle. Il ne songe qu’à « réaliser » sans toujours savoir quoi.

Son initiative hardie rend de grands services à la communauté. De tels hommes sont nécessaires : alors que nous n’en finissons pas de débattre un projet commercial, pendant que nous délibérons, lui et ses camarades sont à l’œuvre.

Malheureusement, ses actes rarement sont basés sur les meilleures informations, et ne sont pas non plus toujours bien raisonnés ; ils sont fréquemment antiscientifiques, quoique généralement efficaces ; il leur arrive aussi de se fourvoyer et de devenir dangereux.

Une certaine disproportion est inévitable.

35. Voilà quelques brefs tableaux de ces désaccords, plus ou moins innés ou acquis.

Mais il faut confesser que, pour les travaux spécialisés que se partagent les hommes, une certaine disproportion entre les facultés est inévitable ; la société a besoin d’individus à sensibilité exquise, d’individus aux pensées profondes, d’individus enclins à l’action vigoureuse.

Néanmoins, la moyenne des hommes doit rechercher le meilleur ajustement possible sans amoindrir ce qui est caractéristique de sa propre personnalité.

Ce qu’il faut surtout éviter, car c’est une cause d’impuissance, c’est la mauvaise adaptation de l’une de nos fonctions aux autres.

Tel est le cas de l’homme d’affaires dont la vie sentimentale va à l’encontre de ses intérêts ; ou encore de l’ambitieux qui brigue une fonction où il est inapte. L’homme équilibré réussit, au prix d’une pondération judicieuse, à éviter une divergence entre ses intérêts et ses sentiments, ses buts et ses moyens, il réalise la maîtrise de soi.

Il y a des ajustements défectueux dus aux tribulations de la vie. Un homme subit une maladie grave, à la suite de mauvaises affaires. Sa force d’endurance (physique et mentale) est mise à dure épreuve. S’il résiste, s’il prend la résolution de rétablir santé et fortune, il n’y réussit parfois que partiellement ; alors, il lui faut refaire sa situation avec une énergie à tension plus faible, avec des capacités amoindries, avec une harmonie médiocre.

La valeur d’un credo.

36. Le système pelman ne se préoccupe pas d’enseigner la morale, ni la religion, mais nous avons remarqué que les gens dont les croyances impliquent l’amour du Bien, qu’ils soient Stoïciens, Israélites ou Chrétiens, ont l’avantage de considérer les malheurs individuels comme des épreuves nécessaires et bienfaisantes et sont ainsi capables non seulement de supporter des revers, mais de s’en relever et de conserver une juste perspective mentale.

N’importe quelle conception rationnelle de la vie qui favorise l’optimisme est meilleure que toute autre qui aboutit au pessimisme et laisse l’individu isolé et sans ressources morales.

Certains esprits, par bravoure, trouvent plaisir à combattre de grandes difficultés, mais ils sont rares et leur vaillance dépend d’une croyance positive quelconque, par exemple, la foi au progrès de l’humanité.

Régime pour l’ajustement mental.

37. Voici un régime qui facilite l’ajustement mental. commencez par vous examiner sérieusement. Prenez une feuille de papier, notez vos heures de loisir : si besoin est, aidez-vous de l’emploi du temps donné dans la Leçon I. Faites ensuite un examen d’après les indications suivantes :

(a) heures pendant lesquelles la vie du Sentiment est développée. (b) Heures pendant lesquelles la vie de la Pensée est élargie. © Heures pendant lesquelles la Volonté est fortifiée par l’action.

Cette répartition achevée, il se peut que vous soyez ou désagréablement surpris de la disproportion apparente de l’effort accompli, ou satisfait de son apparente symétrie ; mais ne vous hâtez pas de tirer des conclusions étriquées.

Le mot sentiment comprend une immense variété d’activités, telles que la religion, la lecture, la poésie, les arts, la musique, le théâtre.

De même, la pensée et la volonté ont une vie propre, qui présente une grande diversité d’aspects, que vous devrez classer, afin de distribuer convenablement vos heures de loisir.

Ce n’est qu’ensuite que vous pourrez décider, en consultant la totalité des heures hebdomadaires consacrées à chaque section, si votre emploi du temps manque ou non de proportion et si des améliorations s’imposent.

« Pas de loisirs. »

38. Quelqu’un s’écrie : « je n’ai pas de loisirs ». cela peut être vrai, si l’on considère qu’après le travail journalier bien des gens ont l’esprit et le corps trop fatigués pour s’occuper à autre chose qu’à des jeux ou à une lecture divertissante.

Mais l’organisation du travail est destinée à s’améliorer assez rapidement et presque tous pourront jouir des heures si nécessaires de changement et de délassement.

En attendant, il n’est pas impossible à l’homme le plus surmené de réaliser quelque économie de temps en travaillant avec plus de méthode. Inversement, l’homme le moins occupé ne jouit pas de loisirs s’il ne domine pas sa besogne.

Il ne s’agit pas d’ajourner le travail, solution paresseuse et détestable, mais de devenir apte à un travail plus rapide, plus décisif, qui résout plusieurs difficultés à la fois.

En ce sens, les progrès de l’intelligence et ceux de l’activité sont solidaires : celui qui se laisse accaparer, accabler par une seule tâche tombe au-dessous de sa tâche unique.

Il devient exact, mais aveugle comme une machine et rivé comme elle à un seul rendement.

Une autre considération, c’est que l’étudiant, lorsqu’il distribue ses heures de loisir selon des activités variées, n’est pas toujours sûr de faire une sage répartition.

Prenons un exemple.

Raoul bordeau, que nous supposons étudiant pelmaniste, est employé chez un agent de change. Il désire ardemment faire son chemin. Il travaille de 8 heures du matin à 6 heures du soir, quelquefois plus tard.

Après le dîner, il a quelques heures de loisir ; il est libre parfois le samedi après-midi, quand le travail du bureau ne presse pas ; et son dimanche est à lui. De combien d’heures dispose-t-il par semaine ?

Cela dépend beaucoup des heures où il se lève et où il se couche et de son habileté à employer profitablement ses moments perdus. Il peut probablement compter sur 40 heures.

Comment les emploie-t-il ? huit heures au moins sont consacrées à quelque récréation physique ; quatorze à des amusements : soirées en société, théâtre, etc… ; dix à la lecture, aux conférences, aux meetings, et ainsi de suite. N’oublions pas qu’il perd pas mal de temps à flâner ou à se déplacer.

Considérant cette répartition approximative de ses heures de loisir, comment raoul

Bordeau va-t-il résoudre la question posée dans la feuille d’exercices 8 ?

Il examine ses faits et gestes journaliers. Il se dit, à la fin d’une journée : « j’ai lu le code civil avant déjeuner, une heure. j’ai visité le salon d’automne avec brun de 6 h.

10 à 7 heures et j’ai passé la soirée à la gaîté avec durand ».

En calculant la durée de ses occupations successives et en tenant compte du temps nécessaire pour ses déplacements, il peut déterminer la proportion d’attention qu’il accorde au Sentiment, à la Pensée, à la Volonté.

Tel jour la culture de la volonté a été négligée, mais la pensée et le sentiment ont obtenu leur large part. Si, au lieu de se divertir à la Comédie, il a consacré deux heures à un travail désintéressé pour le bien de la communauté, il peut se dire avec fierté qu’il exerce une action sociale.

Notre expérience de cette investigation personnelle nous a fait découvrir qu’une grande quantité de temps est consommée en pensées égoïstes, en sentiments fréquemment futiles, et que ce dont on a besoin, c’est de penser davantage et surtout de développer sa Volonté en prenant l’habitude d’accomplir des actes utiles et d’agir normalement.

Regardons de nouveau les trois figures schématiques tracées ci-haut.

La première représente un sentimental et un sensitif ; la seconde un intellectuel ; la troisième un têtu ou un agité.

Tous trois se heurtent aux conditions normales de la vie et s’y blessent, car au lieu d’observer et de saisir la réalité l’un demeure dans ses rêves, l’autre se complaît dans ses combinaisons d’idées, et le dernier s’obstine sottement soit dans sa routine, soit dans une action téméraire.

Parce qu’ils ne voient pas le monde tel qu’il est, ils se trouvent incapables de le comprendre et de s’imposer à lui ou de s’y adapter.

Si vous voulez que votre vision des choses soit juste, si vous souhaitez que votre action soit efficace, commencez par n’être point déséquilibré en vous-même. Ceci rejoint l’enseignement fourni par notre première leçon : la nécessité d’une harmonie de nos facultés.

La plupart de nos erreurs et toutes les déviations de notre conduite résultent de notre déséquilibre intime.

Soumettons-nous, non à l’autorité, mais à l’exemple des esprits

Compréhensifs.

39. Quand nous estimons, comme dans l’antiquité aristote, que le critère est l’homme de bien ou de « sens », nous ne voulons dire en aucune façon qu’il faille prendre jusqu’à l’asservissement une autorité pour règle de conduite.

Nous ne conseillerons jamais à l’individu d’abdiquer son jugement propre, car nous savons trop que chacun doit trouver dans l’épanouissement de sa personnalité son but imprescriptible.

Nous conseillons seulement que l’on s’inspire de l’exemple de fortes et nobles personnalités. Jamais deux hommes ne sont placés dans les mêmes conditions, jamais ils ne possèdent le même caractère, les mêmes facultés.

Il n’est pas rationnel de calquer sa conduite sur celle d’un autre ; justement parce qu’il est autre que nous, mais il est salutaire de connaître comment d’autres pensaient, agissaient, soit à leur ordinaire, soit dans les moments d’enthousiasme ou de crise.

Cette connaissance a été rendue accessible à maintes générations qui nous ont précédés par les biographies de Plutarque.

Un livre de ce genre manque à l’homme contemporain, mais notre culture générale peut et doit y suppléer, en nous permettant de vivre par l’esprit dans la familiarité de quelques héros et de quelques penseurs exceptionnellement puissants qui, tour à tour, éclairent notre route par leurs exemples ou par leurs idées.

Beaucoup d’entre nous se forgèrent leurs opinions en les modelant sur l’attitude esthéticienne et sceptique de Renan ou d’A. France. D’autres cherchent en Emerson, en Psichari des exhortations à la vaillance.

Tolstoï, dostoïevski, nietzsche ont leurs fanatiques. Vivre en pascal ou en goethe pendant une partie (mais seulement une partie) de sa propre existence, c’est s’initier d’admirable façon à la spiritualité.

Osons penser par nous-mêmes.

Classons et comparons les preuves. Cherchons les faits essentiels.

40. La supériorité des grands esprits ne doit pas nous accabler ; ayons la noble ambition de faire, dans la mesure de nos moyens, ce qu’ils ont fait. Ils nous peuvent soutenir et guider, mais la meilleure façon de suivre leur exemple est de penser librement par nous-mêmes, comme ils ont pensé en toute indépendance.

Tout progrès dans l’ordre des opinions résulte de la discussion loyale. Discutons loyalement avec les maîtres de la pensée, dans notre for intérieur, plaçons-nous tour à tour à leur point de vue et au nôtre.

Enrichissons-nous de leur précieuse substance et ne craignons pas de modifier notre opinion : seuls les gens butés et bornés demeurent immuables, et la plupart du temps immuables dans l’erreur.

Débattons en toute délibération avec nous-mêmes le pour et le contre. Imitons ce que fait le magistrat devant qui plaident, en des sens opposés, deux avocats : il ne statue qu’après avoir entendu les deux parties.

C’est cela juger. Et juger est le propre de l’esprit éclairé.

Tout jugement est une comparaison qui, elle-même, suppose un classement. Vous n’aurez pensé que si vous avez établi parmi vos idées un ordre, provisoire sans doute, mais de l’ordre cependant.

Comparez et classez les faits. Comparez et classez les arguments qui interprètent les faits et les preuves qui les établissent et leur donnent leur valeur.

Distinguez l’essentiel parmi le détail, le principal parmi le secondaire, l’insignifiant de l’important. Dégagez les principes.

Si, après réflexion, tout demeure à vos eux sur le même plan, vous êtes un esprit superficiel, confus ou inexpérimenté. Ne vous découragez point : observez, lisez, critiquez ; référez-vous aussi à votre propre expérience et enrichissez-la.

Prenez patience : il faut du temps pour former une intelligence.

Chacun de nous est capable de penser, s’il en acquiert la technique.

Plaignons celui qui, au lieu de former son esprit, s’en désintéresse et se dit : « le jeu ne vaut pas la chandelle. Moi je me laisse vivre sans chercher si loin ».

Plaignons-le, car il est voué non seulement à l’ignorance, mais à la servitude. Il végètera dans les besognes subalternes.

S’il prétend s’émanciper et agir par lui-même, il court tous risques de se briser contre les moindres obstacles qu’il n’a pas appris à prévoir et à surmonter. La liberté n’est pas pour lui, ni le succès. Sa vie est condamnée à l’insignifiance, à l’ennui, à l’incapacité.

Au contraire, même s’il n’a reçu dans son enfance qu’un rudiment d’instruction, chacun peut se former soi-même en choisissant ou en acceptant une discipline intellectuelle.

La réussite et l’intérêt de l’existence sont à ce prix.

Comparez les avis différents.

41. La meilleure façon de se faire une opinion personnelle consiste à mettre en parallèle les avis des personnes compétentes sur le sujet envisagé.

Sans doute l’un de ces avis vous paraîtra ou plus sage — soit parce qu’il correspond secrètement à vos préférences, soit parce qu’il exprime mieux que les autres ce que vous avez appris par votre expérience propre — ou plus compréhensif, c’est-à-dire tenant compte de plus d’éléments de la réalité, que les autres opinions.

Il peut arriver aussi que vous soyez tenté de rejeter les avis exprimés. En semblable occurrence, ne vous laissez pas impressionner par l’autorité apparente. Dans un ordre de connaissances qui ne nous est pas familier, nous risquons de nous méprendre sur les véritables compétences.

Rendez-vous compte minutieusement de ceci : les différents auteurs traitent-ils tout à fait des mêmes sujets ? Divergent-ils sur l’interprétation d’un même fait, ou ne font-ils qu’aborder des aspects différents de la question ?

Référez-vous à leurs propres textes, dans leurs propres livres. Ne vous contentez pas d’extraits séparés du contexte : on peut prêter à un auteur des idées opposées aux siennes si l’on fait état d’une phrase isolée, sans avoir vérifié son sens exact en examinant comment elle se présente dans l’ensemble de l’ouvrage.

Dressez un tableau des avis concordants et des avis divergents ; remarquez le ton des affirmations : sont-elles positives, négatives, dubitatives ?

Pas d’indécision !

Ne craignons pas trop de nous tromper.

42. Combien d’étudiants, et ce sont les plus consciencieux, nous confient leurs anxiétés : « J’ai peur de commettre une erreur, je n’ose prendre un parti » ; ou bien : « dans le doute parmi tant d’opinions multiples, je ne sais pas m’arrêter à un avis personnel. »

Cependant, il faut choisir, la lutte pour l’existence élimine des situations désirables les indécis : ils laissent passer toutes les occasions de gagner leur chance et restent pour compte.

D’ailleurs, les esprits qui n’osent juger cessent vite d’être des esprits actifs, car point de pensée sans jugement.

Point de jugement non plus sans risque d’erreur.

Ne pas vouloir penser pour éviter l’erreur, c’est l’équivalent de se priver de respirer ou de manger pour ne pas introduire de microbes dans notre organisme : un suicide « sans phrases » et sans excuse.

Donc, il faut trancher, choisir, risquer. Ne tergiversez pas indéfiniment : vous subirez bien pis que l’échec si vous ne décidez pas en temps voulu : vous serez sous le coup d’une incapacité, d’une impuissance toujours plus périlleuse.

Chaque erreur renfermant quelque vérité, chaque action impliquant l’acquisition d’une certaine expérience, quoi que vous fassiez de sensé, vous ne perdrez jamais toute votre peine, en mettant tout au pire.

Mais pourquoi tout mettre au pire ? vous avez, comme tout être, vos chances de réussite, vous en avez d’autant plus que vous êtes disposé à suivre plus intelligemment notre méthode. Appliquez-vous à bien agir, à bien penser : vous pourrez y devenir maître.

Ne redoutez jamais que l’avenir vous soit définitivement fermé ; même après une faute, ou une erreur : elles peuvent se réparer. Tous les espoirs sont permis à qui sait adopter une méthode, une discipline, et s’y astreindre.

Mais gardez ceci en mémoire : il y a deux façons d’atteindre le vrai, l’utile : la discussion avec autrui ou avec vous-même, et le recours à l’action.

Associez l’une et l’autre ; vous saurez vivre, car vous saurez penser et agir.

Mnémotechnie

Mots ou idées sans lien

Mémoire et compréhension.

Cette leçon vous a montré ce que c’est que réfléchir. La réflexion a des conséquences pour la mémoire. On retient d’autant mieux que l’on a mieux compris. La mémoire la plus sûre n’est pas celle qui conserve une empreinte subie, c’est celle qui comprend :

Elle n’est pas exposée à l’oubli, car l’esprit a reconnu, une fois pour toutes, une connexion rationnelle entre les idées juxtaposées, il peut la rappeler en cas de besoin.

La manière la plus satisfaisante et vraiment scientifique d’apprendre un vocabulaire consiste à étudier 1′ « étymologie » des termes. Elle nous enseigne la filiation de toute une famille de mots à la fois, envisagés au point de vue tant de leur son que de leur sens. Du même coup, on s’initie à plusieurs langues. Ainsi l’origine d’un mot français est latine ou grecque, et elle révèle sa connexion avec des mots anglais, allemands, italiens, espagnols de la même famille. (V. Arsène Darmesteter, La Vie des Mots.)

L’étude du langage n’est pas une vaine curiosité. Tout ce que nous pensons, nous le parlons intérieurement. Toute vérité, tout jugement s’exprime en mots. La logique des philosophes n’est que l’épanouissement de la grammaire telle que l’étudient les petits enfants.

Il importe de connaître à fond sa langue si l’on veut bien penser et bien traduire sa pensée, qu’il s’agisse de rédiger un rapport, d’écrire une lettre, de prononcer une allocution, de faire de la réclame commerciale, etc.

Les aides artificielles.

Il est cependant des cas où certains « trucs » mnémoniques soutiennent nos connaissances.

Voici un apprenti chimiste qui a une grande quantité de formules à se rappeler, dans le genre de celle qui lui sert à calculer le pouvoir calorifique du charbon (1) :

Q = 8150 cf + av. « 2 à 15 % de v ou a = 13000

 » 15 à 30 =10000

 » 30 à 35 = 9500

 » 35 à 40 = 9000

(1) formule de gontal.

À moins qu’il ne possède par nature une extraordinaire mémoire, ou n’ait eu l’occasion d’imprimer quantité de formules dans son souvenir à l’aide d’expériences répétées, il est certain de rencontrer quelque difficulté à se les remémorer en temps voulu.

Un étudiant en médecine, préparant un examen d’anatomie, a d’aussi considérables efforts de mémoire à fournir. Il en est d’ailleurs de même, plus ou moins, pour tout étudiant.

Or, nous offrons une méthode pour mettre de tels faits sous une forme qu’on se rappelle aisément : il faut trouver ou supposer un sens à ce qu’on veut retenir pour en garder un fidèle souvenir.

Coordination par intermédiaires supposés.

Deux idées sans rapport entre elles se peuvent relier par une ou plusieurs idées qui jettent un pont de l’une à l’autre. On les unit par insertion d’intermédiaires.

Supposons que vous désirez vous rappeler ensemble les deux mots isolés “cheval” et

“tableau”. Ces deux mots sont les extrêmes : “cheval” est le premier extrême et

“tableau” le dernier extrême. On peut les unir à l’aide du mot intermédiaire :

chevalet”. CHEVAL, chevalet, TABLEAU.

C’est, en réalité, une petite série. “cheval” et “chevalet” sont associés par une similitude de son et une ressemblance d’idées, tandis que “chevalet” et “tableau” sont un exemple de contiguïté.

Si vous désiriez vous rappeler que la planète neptune a été découverte par l’astronome

Le verrier, vous considéreriez ces deux noms comme le premier et le dernier terme d’une courte série. Vous n’auriez besoin que de quelques mots bien choisis pour passer aisément de l’un à l’autre, par exemple :

Neptune, télescope, verre, LE VERRIER.

Mots étrangers.

On peut se servir de l’enchaînement par intermédiaires supposés pour se souvenir plus facilement des mots étrangers. En ce cas, le mot français forme le point de départ et le mot étranger, l’arrivée. L’intermédiaire qui précède immédiatement le mot final doit lui être relié par une similitude de son. Ainsi. pour se rappeler que le mot anglais désignant des “lunettes” est “glasses ”, on peut construire cette courte série :

Lunettes, verre, glace, GLASSES.

Il serait superflu d’employer des intermédiaires pour les mots que vous retenez aisément. L’exemple que nous venons de donner n’a qu’un but : vous montrer comment certains mots étrangers, auxquels la mémoire est particulièrement rebelle, peuvent être enchaînés artificiellement de façon que le rappel en devienne infaillible.

Nous donnons ci-dessous des exemples tirés de diverses langues :

Français anglaismare canard poule poolmal blessure armes harmennemi faux foe

Allemandplaisir rire loustic lust gazon ras rasen Latindestin fatal fatum troupeaux bête pétore pecors

Comment établir des intermédiaires.

Pour bien établir un enchaînement et le fixer dans l’esprit, il faut :

(1) déterminer les deux extrêmes ;

(2) choisir les intermédiaires strictement nécessaires ;

(3) établir les rapports des mots pris successivement deux à deux ;

(4) les énumérer tous en série de gauche à droite, puis de droite à gauche ;

(5) répéter seulement les deux extrêmes, à la suite l’un de l’autre, en négligeant les intermédiaires.

N’oubliez pas :

(1) que chaque intermédiaire doit vous éloigner un peu plus du point de départ (le premier extrême) et vous rapprocher un peu plus du terme final (le dernier extrême) ;

Et

(2) que vous ne devez pas avoir plus d’intermédiaires qu’il est nécessaire. Il est rarement utile d’en employer plus de trois, et souvent on peut se borner à un ou deux.

Dans bien des cas, un seul suffit. Chaque intermédiaire devrait autant que possible se réduire à un mot.

L’élément personnel.

Suivez votre propre fantaisie dans le choix des intermédiaires. Deux personnes ne construisent pas les mêmes enchaînements, elles obéissent à leur éducation, à leur expérience, à leur savoir, à leur tempérament. Pour lier le mot “main” au mot

“destinée”,

Un prêtre pourrait dire : Main, Dieu, Destinée. Un socialiste écrirait peut-être : MAINS, travail, socialisme, DESTINÉE. Un capitaliste : MAINS, travail, richesses, DESTINÉE. Une femme serait sans doute plus brève : MAIN, chiromancie, DESTINÉE. ou MAIN, mariage, DESTINÉE.

Les intermédiaires disparaissent d’eux-mêmes.

Les intermédiaires établis s’effacent dès que les extrêmes sont devenus capables de s’évoquer l’un l’autre immédiatement.

Il faut que l’étudiant s’astreigne à bien posséder une série avant d’en commencer une autre. Il est mauvais de confier à la mémoire plus d’une série à la fois.

Les séries négligées.

On a dit qu’une série, bien apprise, n’était jamais oubliée, mais ce n’est pas tout à fait exact. Une personne peut en apprendre un grand nombre pour se rappeler quelques problèmes difficiles — dont nous donnerons des exemples plus tard —, mais en un an ou deux, si elle ne les emploie, ni ne les répète, il est possible qu’elle les oublie entièrement, tout aussi bien qu’elle peut oublier le chemin d’un endroit à un autre, si elle ne le parcourt pas pendant plusieurs années.

La place des séries délaissées a été usurpée par d’autres ; de nouvelles combinaisons se sont formées dans le cerveau, et les plus anciennes ont rompu leur chaîne d’association.

À un certain point de vue, il est heureux qu’il en soit ainsi, car il est fréquemment nécessaire d’oublier un vieil ordre de choses pour lui substituer un ordre nouveau. Un étudiant qui aurait appris par chœur la population de toutes les villes de France au-dessus de 5.000 habitants, d’après le recensement de 1911, trouverait difficile celui de

1931, et confondrait constamment les deux populations s’il ne pouvait oublier les intermédiaires qui lui ont permis de fixer la première en temps opportun.

Il en est de même lorsqu’il s’agit des tarifs, des horaires, des adresses et de toutes les choses sujettes à changement.

La méthode des fiches.

Lorsque vous étudiez un sujet exigeant un grand nombre d’enchaînements entre deux extrêmes, il est excellent d’écrire un extrême sur le recto d’une carte et, sur le verso, les intermédiaires et l’autre extrême.

Vous rangez toutes ces fiches dans une boîte et, de temps en temps, vous les sortez les unes après les autres. Vous regardez l’extrême inscrit au recto, et vous cherchez à vous rappeler celui qui est de l’autre côté.

Si vous réussissez, retirez la carte, sinon étudiez de nouveau l’enchaînement, et replacez la carte dans la boîte. Lorsque vous pourrez réciter sans hésitation tout le contenu de la boîte, votre étude sera achevée.

Les séries que vous oubliez plus d’une fois sont probablement mal établies, et il vous faut les rectifier.

Évitez, dès le début, les intermédiaires défectueux. Tâchez de relier les extrêmes par des intermédiaires qui s’imposent fortement à votre esprit. Ne vous contentez pas d’un à peu près, vous seriez obligé de refaire l’enchaînement.

Ce système de fiches est très pratique pour apprendre une langue étrangère. Écrivez en français des temps de verbes sur différentes cartes, en commençant par les auxiliaires et, au verso, inscrivez les temps correspondants des verbes étrangers.

Par exemple, écrivez au recto : je suis, tu es, etc., et de l’autre côté : i am, thou art, etc.

PAS DE DÉFAILLANCES

En révisant les fiches une fois par jour, vous arriverez vite à fixer les mots dans la mémoire, et, comme les temps dont vous n’êtes pas sûrs sont remis dans la boîte, vous les répétez seuls jusqu’à ce que vous les sachiez, au lieu de tout recommencer à chaque épreuve de mémoire.

09 La personnalité
07 Imagination et originalité
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