10 Comment organiser la vie mentale

La personnalité

08 La recherche de la vérité
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À L’ÉTUDIANT :

Chacun désire avoir de la personnalité. Par instinct de conservation, par amour-propre, nous sommes attachés non seulement à nos qualités, mais aussi à nos défauts, parce qu’ils nous distinguent d’autrui.

Quelque chétive que soit notre individualité, elle est ce à quoi nous tenons le plus. Il nous semble qu’elle deviendra d’autant plus forte qu’elle sera plus personnelle.

Celui dont on dit couramment : « c’est quelqu’un », ou : « c’est une personnalité »,

Nous l’admirons, nous l’envions, même si nous n’approuvons pas tous ses actes.

Sans doute, les fortes personnalités, celles qui sortent vraiment de la moyenne, sont rares.

Mais nous pouvons tous, et nous devons, être de ceux qui ne sont pas simplement eux-mêmes, mais qui sont eux-mêmes d’une façon originale et forte.

Noble et féconde ambition !

Elle sauve beaucoup d’hommes, mais elle peut aussi perdre ceux qui l’appliquent à faux, dans un but uniquement égoïste, et au détriment de leurs semblables. Pour réaliser sa personnalité, il faut la connaître et la cultiver par rapport à toute l’Humanité.

LEÇON IX

Chapitre premier

Les éléments essentiels de la personnalité

Le problème de la personnalité s’est déjà trouvé posé par notre leçon précédente, qui vous a signalé combien il importe de penser par soi-même. Avoir une personnalité, dans le langage courant, c’est ne pas dire ou faire n’importe quoi, ne pas se laisser mener au hasard par les choses ou les gens, mais marquer de son empreinte propre, ses actes ou ses affirmations.

1. Qu’est-ce que la personnalité ?

Ici surgit une difficulté, qui est plus dans les mots que dans les choses. En un sens, chacun a de la personnalité, car chacun diffère à maints égards de tous les autres. il n’existe pas deux visages identiques, ni deux écritures pareilles.

En un autre sens, la personnalité est l’apanage d’une élite, de ceux qui ne sont pas « insignifiants » ou « quelconques » et qui se distinguent par quelque chose qui fait que les autres hommes les regardent comme supérieurs à eux. C’est dans ce sens que

Napoléon disait à Goethe : « vous êtes un homme ».

Nous emploierons le mot « individualité » pour désigner l’ensemble des manières d’être qui distinguent un homme de ses semblables, en réservant le mot « personnalité » pour désigner cette qualité plus rare qui rend l’homme fort et original par la culture de son individualité.

L’individualité est une résultante qui ne dépend pas de nous, c’est-à-dire de notre pouvoir intérieur de réaction. La personnalité, elle, commence quand ce pouvoir intérieur de réaction intervient, et se manifeste par l’usage qu’elle fait des ressources que lui fournissent son hérédité, son milieu, son tempérament.

2. Les éléments de l’individualité.

1 ° de notre famille nous tenons l’hérédité qui façonne notre tempérament. Il ne dépend pas de nous de refuser ou d’accepter l’héritage biologique à nous transmis par les générations qui nous ont précédé.

Sans croisement, il ne naît pas de personnes noires dans une souche blanche ; et l’arthritisme chez un enfant s’explique d’ordinaire par l’arthritisme d’un de ses parents ou grands-parents.

Ce n’est pas à dire que l’hérédité implique une fatalité inéluctable : on aurait tort de le croire, car notre tempérament résulte d’un entrecroisement d’influences en quantité illimitée, sans compter qu’il se modifie, dans une mesure assez large, par régime et discipline.

Nous conviendrons d’appeler tempérament l’ensemble des manières d’être, natives ou naturelles, du corps et de ses réactions aux excitations soit externes, soit internes.

Elles agissent beaucoup sur le psychisme, et nous le savons bien quand nous parlons de sanguins, de bilieux, de nerveux, etc…

2 ° de notre ambiance sociale nous tenons les préjugés, c’est-à-dire l’ensemble des convictions indiscutées qui fixent notre attitude à l’égard de l’opinion. Nous pouvons chercher à nous affranchir de ces convictions irraisonnées, soit en nous évadant de notre groupe, soit en faisant abstraction de la pression qu’il exerce sur nous, soit surtout en portant sur nos préjugés un examen critique ; mais longtemps ou toujours la marque nous restera de notre origine sociale.

3 ° le caractère est une disposition générale et permanente de notre esprit, qui résulte du mélange des influences vitales et sociales dont nous sommes issus et des tendances psychologiques individuelles. Si l’on n’a pas le caractère correspondant à son tempérament, c’est parce que l’ambiance collective a modifié le sujet, ou parce que celui-ci s’est modifié spontanément. Le caractère est donc plus modifiable que le tempérament : d’apathique on peut devenir curieux et zélé ; de pessimiste on peut devenir optimiste.

3. Les éléments de la personnalité : le pouvoir de réaction.

Aucun de ces éléments considérés séparément, ni tous ensemble ne suffisent à définir la personnalité. Ce qui annonce celle-ci, c’est la manière personnelle de réagir à ces éléments, de s’y opposer ou de les accepter, de les modifier ; c’est une certaine continuité dans cette réaction ; c’est en somme le vouloir-être, d’après une formule plus ou moins consciente.

Ce pouvoir de réaction présente donc une certaine unité et s’assigne par conséquent un plan préalable, avoué ou non.

De même, l’enfant naît avec différentes dispositions psychologiques plus ou moins favorables. S’il réagit à ces tendances, suivant un plan obscur, peut-être, mais qui les coordonne, on pourra parler d’une personnalité naturelle qui s’ignore, mais qui s’impose cependant dans la mesure où elle s’affirme.

Voici un garçon de quatre ans, qui tremble à l’idée de passer dans une chambre obscure. S’il essaye spontanément de vaincre sa peur, de faire plusieurs tentatives jusqu’à remporter la victoire, il promet d’avoir de la personnalité.

Si, dans chacun de ses actes, on sent chez lui le besoin de dominer une situation selon certaines idées directrices, il manifeste déjà une personnalité.

Développer sa personnalité sera prendre de plus en plus conscience du plan qui convient le mieux à ses dispositions naturelles et organiser ses efforts pour assurer l’exécution et l’élargissement de ce plan.

Ainsi, le milieu naturel peut être corrigé, compensé par notre propre réaction ; l’hérédité, capital inné plus ou moins propice à notre épanouissement, sera aussi amendée, car une bonne méthode, des habitudes saines, nous permettront d’élaguer les mauvaises herbes, de raffermir le terrain et d’y faire pousser une récolte plus riche.

De même pour le caractère : il s’agira de consolider nos capacités, d’encourager nos goûts et surtout de les orienter ; aussi de discipliner notre corps par une hygiène, une gymnastique appropriées.

Tous ces points ont été étudiés par vous, chers pelmanistes, et nos conseils ont fait l’objet de votre application. Continuez, mais ajoutez-y cette force d’unité, d’originalité qui fait de l’individu une personne.

4. Profession et vocation.

La profession doit devenir un facteur important de la personnalité, car elle accentue ou contrarie nos tendances profondes. Mais veillez à ce que la profession choisie d’abord, peut-être, au hasard, prenne bientôt une forme qui corresponde à vos goûts, à vos aptitudes, et devienne votre vocation, tendance de l’être tout entier vers un certain idéal, comme il a été dit dans notre deuxième leçon.

Avoir un but de valeur et se consacrer à le réaliser, c’est l’un des facteurs les plus puissants de la personnalité. Celui qui se laisse vivre sans tendre à un idéal, et sans faire un effort pour y atteindre, ne sera jamais « quelqu’un ».

Ainsi les éléments multiples de la personnalité et de l’individualité se classent en deux groupes : ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir. Il ne faut sous-estimer aucun de ces deux facteurs. Rien ne se fait qu’au moyen de ressources natives ou acquises.

Sans nous bercer d’illusions sur nos capacités naturelles ou obtenues par entraînement, gardons-nous de les déprécier par fausse modestie.

« je sais ce que je vaux et crois ce qu’on m’en dit ». Mais sachons aussi que celui qui renonce à toute ambition, à tout progrès ultérieur, abdique par là même toute personnalité. Il est aussitôt débordé et bientôt piétiné par autrui dans la rivalité universelle.

5. On fait sa personnalité.

Pour devenir ce que nous devons être, nous ne pouvons partir que de ce que nous sommes. Mais un effort long et méthodique est nécessaire pour atteindre notre idéal.

S’il suffit de se laisser vivre pour être un individu, ce n’est pas assez pour devenir une personnalité.

Comprenons-nous bien : il faut à chacun de la volonté pour devenir vraiment soi-même. Si, au lieu d’agir, nous nous contentons d’être « agi » par les circonstances ; si, au lieu de chercher à comprendre, nous ne pensons que ce qu’on pense autour de nous, nous ne sommes pas « quelqu’un », mais « n’importe qui ».

L’autonomie et l’indépendance de l’esprit ne s’obtiennent que par un effort d’affranchissement des idées courantes et des préjugés de toute sorte. Nous serons d’autant plus nous-même que nous aurons davantage peiné et travaillé pour le devenir.

Peiné, certes ! et pourtant, ce dur labeur est la source de joies intenses. Représentez-vous la légitime fierté des hommes qui peuvent se dire : « je me suis fait moi-même.

Ce que je suis, c’est à moi, à mon travail, à ma persévérance, que je le dois ! »

La personnalité n’est pas une faculté spéciale ; elle consiste bien plutôt dans l’orientation que nous donnons à notre esprit, à notre activité, à toutes nos énergies.

Sans doute, nous sommes tous mentalement une synthèse de facultés ; mais nous ne devenons une personnalité que par la façon dont nous conduisons nos actes et toute notre vie, par la profondeur et l’originalité de nos jugements et par leur application intelligente aux problèmes de la vie quotidienne.

La méthode pelman d’éducation et de rééducation mentale, nous l’avons dit à plusieurs reprises, est essentiellement un effort de synthèse consciente. Elle se donne pour but de faire que chacun atteigne son maximum de valeur en se réalisant soi-même intégralement.

C’est ce qu’avait fort bien compris l’un de nos étudiants, qui nous écrivait, en sincérité : « J’approche du but ! Certes, mon travail est toujours lent… Cependant, je puis dire que, cette fois, je me sens heureux. Pourquoi ?… Mais… je progresse !… Je suis plus fort, plus ardent, plus enthousiaste pour ma tâche, j’ai aussi plus d’aplomb ; un grand changement s’opère en moi ; il me semble que des forces mystérieuses me poussent plus que jamais à l’action ; une grande espérance habite mon âme ; je me connais, maintenant. N’est-ce pas déjà une source inépuisable de progrès, à condition, bien entendu, de vouloir se corriger ? Il reste beaucoup à faire encore, ce sera long, pénible, laborieux, mais je parviendrai au but que je me suis assigné : votre doctrine me pousse à l’action ; je veux être un homme, et, grâce à vous, je le deviendrai. »

6. Personnalité et connaissance de soi.

Mais pour arriver à développer sa propre personnalité, sinon à un degré élevé, du moins jusqu’à un niveau honorable, il faut bien se connaître, savoir vraiment de quoi on est capable, et ne pas craindre de s’avouer qu’il y a des limites qu’on ne saurait dépasser sans danger, fait qu’on oublie trop souvent.

C’est ainsi que le romantisme a fini par déterminer dans des êtres trop faibles ou trop incomplets une forme presque maladive de la personnalité, à laquelle le subtil philosophe Jules de Gaultier a donné, d’après un roman de Flaubert, le nom de bovarysme.

Cette déviation consiste en ceci que l’on se fait de soi-même une idée fausse ; on s’attribue par exemple des sentiments élevés, on se croit énergique, intelligent, artiste, organisateur, courageux, alors qu’à l’épreuve on ne se montre que médiocre, peu instruit, brouillon et lâche.

Flaubert a étudié les diverses formes du bovarysme dans plusieurs de ses romans : les déviations de l’orgueil dans L’Éducation sentimentale, les déviations de l’intelligence dans Bouvard et Pécuchet. Ceux qui essaient ainsi de  » construire leur personnage  » sont ensuite le jouet de toutes sortes de désillusions ; ils n’osent pas manifester leur opinion véritable, ni  » avouer, comme l’observait William James, qu’ils s’ennuient à l’audition d’une symphonie, par crainte de passer pour manquer d’âme et d’intelligence « .

Mais, surtout, en se faisant d’eux-mêmes une idée inexacte, ils rendent malaisé leur propre perfectionnement. Comment résoudre un problème si les données sont fausses ?

Nous sommes d’ailleurs tous plus ou moins sujet à nous faire de nous-mêmes une image qui ne correspond pas exactement à la réalité.

Mais celui qui s’analyse avec soin, qui fait sincèrement cet examen de conscience que nous avons recommandé dans la Leçon II, peut réagir contre sa tendance au bovarysme et éliminer les éléments inutiles ou nuisibles. Cette élimination est la condition principale de la formation d’une personnalité vraiment forte.

Qui se connaît bien, peut se développer harmonieusement. Il acquiert la maîtrise de soi, le courage de ses opinions, dûment motivées par la réflexion, et aussi le courage de ses sentiments.

7. Comment se connaître ?

Il faut se réformer graduellement et avec patience, ne pas s’imaginer que par une affirmation solennelle et un geste théâtral, on éliminera d’un coup tous ces obstacles.

Ils ne se présentent d’ailleurs pas isolément, mais sont, pour chacun de nous, groupés de diverses manières et agissent en nous à des degrés eux aussi divers.

Le premier pas consistera donc à s’étudier soi-même et à faire le compte de ses forces positives et de ses forces négatives. Rien de plus difficile, certes, si l’on veut être sincère.

Il faut refaire, de ce point de vue spécial, l’examen de conscience conseillé dans la

Leçon iii, se soumettre soi-même à un interrogatoire rigoureux, énumérer les choses qui éveillent ou tendent à éveiller en vous la peur et la timidité ; chercher pourquoi on est paresseux d’esprit, pourquoi dans certains cas on bégaie ou on a bafouille » ; bref, déterminer avec le plus grand soin la nature et l’origine des causes de l’état d’infériorité où l’on se trouve actuellement.

Voici d’ailleurs deux réponses d’étudiants qui nous sont parvenues et qui mettent en lumière quelques éléments du problème :

«1. Je tremble de perdre ma situation et d’être incapable de gagner ma vie et celle de ma famille. 2. Je redoute de tomber malade et de perdre mes appointements, dont je ne peux me passer. 3. J’ai peur de mon chef ; devant lui, je me sens nerveux, incapable de montrer ce que je puis faire. 4. Je crains de ne jamais réussir en rien, parce que tous mes efforts passés ont échoué, bien que j’aie vraiment essayé. »

Analyse. Cet homme était d’une nervosité excessive, modeste, et sans confiance en soi, mais possédait des qualités réelles et solides. Ses grandes faiblesses étaient l’absence d’ambition et la facilité avec laquelle il se laissait décourager par les événements malheureux. Son état de santé en était partiellement cause, mais une stricte discipline physique et mentale en fit un autre homme, de corps et d’esprit.

Autre exemple :

« 1. J’ai souvent peur, mais je ne sais pas toujours exactement de quoi, ni pourquoi. 2. Parfois, j’ai peur de rencontrer certaines gens qui, je le sais, sont bien disposés à mon égard. Je préfère prendre une autre rue plutôt que d’être obligé de leur parler. 3. La mort m’effraye, non pour ce qu’elle peut apporter, mais parce que l’acte de renoncer à la vie, contre ma volonté, m’est infiniment pénible. »

Analyse. Voilà qui a tout l’air d’être un cas de neurasthénie ; il serait bon, par conséquent, de se renseigner sur l’état nerveux, qui nécessite des soins médicaux.

Mais les cas extrêmes comme celui-ci sont relativement rares. Ce qui arrive souvent, soigné à temps mentalement ; on a ainsi conservé comme une faiblesse intellectuelle chronique, comparable à la bronchite chronique qui vient d’un fort rhume négligé.

En réagissant systématiquement, on arrive à éliminer peu à peu ses faiblesses, comme le prouve la lettre suivante d’un autre de nos Étudiants, magasinier, âgé de 26 ans, qui, après avoir suivi d’un bout à l’autre le cours Pelman, nous écrivit :

« j’ai acquis :

1° Une ardeur nouvelle de vivre et de progresser ;
2° Une très grande confiance en moi, parfois dans des circonstances difficiles. Je ne crains plus la lutte ;
3° J’ai vaincu une grande partie de ma timidité ;
4 ° j’ai développé mes facultés d’observation pour ma plus grande joie, une meilleure connaissance de moi-même et des autres, une meilleure appréciation des faits, des événements ;
5 ° j’ai perdu l’habitude de la rêverie ;
6 ° c’est devenu un plaisir pour moi que de faire un effort de volonté, grâce à l’autosuggestion ;
7 ° j’ai appris à connaître mes « moments favorables » ;
8 ° à ordonner, à classer, à contrôler, à analyser, à penser par moi-même ;
9 ° à comprendre mieux une lecture, à mieux profiter des livres, à ordonner mes loisirs ;
10 ° Enfin, à me former tel que je désirais être ; et maintenant, à devenir ce que je veux être.»

Il avait donc complètement renouvelé les éléments de sa personnalité.

8. L’affirmation de soi.

On reconnaît une personnalité à ce qu’elle s’affirme. Elle a une ligne de conduite, quels que soient les événements, quels que puissent être les jugements que l’on porte sur elle. Il faut compter avec elle, comme avec quelque chose qui existe, et qui résisterait si on le traitait comme inexistant.

L’un des éléments fondamentaux de la personnalité est donc une affirmation, par laquelle on se distingue de tous les autres êtres humains et, parfois, on s’oppose à eux.

Remarquons toutefois que si cette prétention ne se justifie pas par un savoir approfondi et méthodique, et plus généralement encore par une action coordonnée, elle est symptôme, non de force mais de faiblesse ; on reconnaît là les « incompris », les « ratés ».

Avant de s’affirmer contre les autres, il faut s’être mis à l’épreuve sur soi-même, avoir repéré ses faiblesses et ses forces ; et il faut que le bilan soit et demeure favorable, pour que vous ayez le droit de dire : « je vaux mieux que la moyenne ».

L’individu de forte personnalité se connaît dans la mesure où il se possède, car il sait ce qu’il veut et ce qu’il peut. Qu’importe qu’il ne discerne point tous les ressorts de son esprit ?

On est « quelqu’un » si l’on tend ardemment à un idéal, en pleine confiance et lucidité ; c’est cela, pour le moraliste pratique, sinon pour le psychologue spéculatif, se connaître soi-même.

Si vous demandez à quoi l’on s’aperçoit que l’individu hautement personnel tend avec force à un idéal, nous vous invitons à contempler la continuité de son effort.

À travers des buts secondaires ou provisoires, il poursuit un but principal. Vous supposerez d’abord qu’il s’agit d’un objet, d’une situation.

Mais quand cela est atteint, notre homme persévère : donc il visait au-delà. Le résultat obtenu, toujours insuffisant, ouvre accès à une aspiration plus profonde, donc de réalisation plus lointaine ; et il n’y a là, pour le vaillant réalisateur, aucune cause de découragement, bien au contraire.

Les anticipations de son intelligence entrevoient les progrès à effectuer, et son patient travail, méthodiquement, construit les moyens le les accomplir.

9. La personnalité et la sincérité.

L’affirmation de soi exige la sincérité.

Il y a deux manières d’être sincère : vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis des autres. La première marque l’une des difficultés de l’examen de conscience ; la seconde se heurte aux conventions sociales.

Pourtant une personnalité bien équilibrée a sur les autres avantages de la sincérité aussi absolue que possible, vis-à-vis de soi ; mitigée par les circonstances et les interlocuteurs, vis-à-vis d’autrui.

Une personnalité ferme n’est pas agressive ; elle sait se conduire de manière à ne froisser personne, sans perdre pour cela aucune de ses qualités.

Mais si on lui demande son avis en toute liberté, la sincérité est son devoir. Un être fort ne craint pas qu’on s’oppose à lui, qu’on ait des opinions différentes, car il ne risque pas d’être absorbé par autrui.

Les gens sont très sensibles aux manifestations de ce calme intérieur.

Une telle sincérité est familière à l’étudiant pelmaniste ; il sait bien que pour profiter de notre cours, la première chose qu’il a à faire est d’être à la fois sincère avec lui-même.

10. La personnalité et l’oubli de soi.

La personnalité, nous l’avons dit, ne doit pas être confondue avec l’individualité. C’est à tort qu’on attribue de la personnalité à celui qui se singularise par son aspect extérieur, s’empare des meilleures places, tâche de s’imposer par des manières brutales ou grossières.

Celui qui prend pour ligne de conduite des principes supérieurs : dévouement, probité, justice, devoir, arrive, au contraire, à la plus haute personnalité.

Cela paraît paradoxal. Et pourtant les plus authentiques personnalités peuvent être prises en modèles par l’humanité. La plus vraie personnalité favorise par son action et par son exemple la personnalité des autres, sans s’imposer comme arbitraire et tyrannique.

On a dit avec raison que le grand artiste est celui qui pense, souffre et crée pour l’humanité entière.

On peut le dire aussi du grand savant.

Le héros sacrifie sa vie au profit de ses semblables.

Le saint dépouille tout égoïsme pour s’absorber en dieu.

Ainsi, la personnalité diffère autant de l’individualité que, selon l’expression de

Spinoza ; le chien, constellation céleste… Diffère du chien, animal aboyant.

La forme la plus élevée de la personnalité naît donc de l’oubli de soi. C’est en ce sens qu’on a pu dire du « moi » qu’il est « haïssable », comme mobile de l’égoïsme et obstacle à notre développement supérieur.

Le pelmanisme ne vise pas, d’ailleurs, à créer des saints, des héros, des artistes ou des savants de génie.

Nous ne demandons à personne le sacrifice de sa vie, ni même de ses intérêts matériels.

Mais, comme éducateurs, nous devons y insister : pour être un homme dans la pleine acception du terme, il faut viser au-dessus de la médiocrité.

Ne fût-ce que pour rester loyal et probe, que de fois on est obligé de sacrifier certains désirs légitimes !

11. Les limitations subjectives de la personnalité.

L’équilibre, hautement désirable, entre les éléments de la personnalité, la rend puissante, efficiente. Par contre, n’importe quelle rupture de cet équilibre nous prive de cette supériorité que nous avons obtenue par progrès sur nous-mêmes. Les limitations de la personnalité vont nous montrer, par une sorte de contre-épreuve, de quoi elle se compose normalement.

Envisageons d’abord les limitations intérieures, en nous-même.

Nous avons constaté que parmi les éléments de la personnalité il en est de simplement personnels : tous ceux qui constituent l’individualité.

Mais il en est aussi de supra personnels : les principes, les règles à la mesure desquels nous jugeons notre conduite.

La personnalité se compromet, se détruit si elle tombe au-dessous d’elle-même ou si elle prétend, sans précaution, se hausser hors de ses ressources normales.

Subordonner l’égoïsme de l’individu à des valeurs élevées, nobles, impersonnelles, c’est triomphe de la plus haute personnalité, comme c’est l’œuvre de la civilisation.

Au point de vue du savoir, nous atteignons à de l’impartialité, donc à plus de vérité, quand, cessant de nous tenir pour le centre du monde, nous nous intéressons aux choses en elles-mêmes, sans nous obséder du rapport qu’elles ont à nous.

Au point de vue de l’action, nous mettons de la sagesse, de la beauté dans notre conduite quand nous faisons passer avant notre intérêt grossier le vrai, le beau, le bien.

Il n’y a pas de façon plus sûre de créer en nous la véritable personnalité.

C’est pourquoi le pelmanisme accorde tant de prix, si utilitaire soit-il, à la vérité, à l’action désintéressée, ainsi qu’à la primauté des biens spirituels, les moins égoïstes de tous.

12. Le problème littéraire et social de la personnalité.

Dans les querelles littéraires, on a opposé la spontanéité, l’élan particulier, l’inspiration, le « moi » au jugement universel et à la raison, comme s’il n’était pas possible sans sacrifier le sentiment et l’inspiration, de les soumettre au contrôle de la raison, de mettre de l’art et de la rigueur dans leur expression.

Dans les querelles sociales, on a opposé l’individu à la collectivité, comme si le suprême épanouissement de l’individu était incompatible avec une intelligente organisation collective.

Le problème est donc : faut-il exalter les fortes personnalités aux dépens des autres ?

Ou vaut-il mieux réaliser une adaptation uniforme au milieu ?

En littérature, l’opposition des deux doctrines a été représentée par deux écoles :

Le classicisme et le romantisme.

Le classicisme du XVIIe et du XVIIIe siècle n’estime que des vérités impersonnelles auxquelles tous les individus doivent se subordonner ; les grandes œuvres de Corneille et de Racine décrivent surtout des sentiments permanents et ont pour but de démontrer que les individus doivent se soumettre aux règles de la raison, ainsi qu’aux lois de leur époque.

Par contre, le dernier quart du XVIIIe siècle et la première moitié du xixe ont vu sévir, en Europe, un engouement prodigieux pour certaines attitudes littéraires, philosophiques, religieuses, qui offraient toutes ce caractère commun : donner le pas à l’individualité sur la personnalité.

Plus de règles impersonnelles ! adoration des forces natives, haine de la réflexion et de la civilisation en tant qu’elle a des origines sociales ! Prédominance de la puissance et du génie sur la raison et le droit ! Primauté du sentiment et de l’instinct sur la réflexion !

Excès temporaires, influence d’une mode ? — oui, mais ces excès ont tant duré, ils ont impressionné tant de consciences, ils ont aussi fait apercevoir tant de points de vue nouveaux qu’il faut comprendre comment ils furent possibles.

L’explication, nous la tenons dans notre analyse antérieure : par réaction contre un classicisme desséché, on a révéré, au lieu des valeurs personnelles, des énergies individuelles ; mais le fait est que si l’on enlève à la personnalité les facteurs impersonnels qu’elle recèle, on lui enlève sa principale force et sa grandeur.

13. Les limitations extérieures : l’esprit de groupe.

Mais voici un problème aussi grave : n’y a-t-il pas, par exemple dans l’esprit de groupe, des limitations extérieures à la personnalité ?

Les partis politiques, les syndicats agricoles et ouvriers, les associations de tout ordre, la plupart sur la base professionnelle, ont des mandats impératifs.

Un individu qui n’est pas enrégimenté dans le groupement de son métier ou de sa profession est en butte à plus de difficultés pour trouver du travail et ne profite pas des avantages (retraite, soins médicaux, indemnités de toute sorte, coopératives alimentaires, etc…) que le groupe distribue à ses membres.

Cette tendance aux grands groupements s’étend de plus en plus et transforme la vie des masses.

Dans ces conditions, l’individu ne risque-t-il pas de perdre une partie de sa liberté d’action, c’est-à-dire de sa personnalité ? Oui, quand il s’agit de groupements politiques ; non, quand il s’agit de groupements économiques, car, dans ce dernier cas, on ne demande pas compte au membre nouveau de ses opinions… du moins en principe.

L’étudiant agira selon ses opinions, sur lesquelles nous ne voulons exercer aucune pression.

Mais ceci dit, il ne doit pas permettre au groupe comme tel, à la masse, d’amoindrir sa personnalité ; bien au contraire, il doit donner le plus possible au groupe, mais en même temps profiter le plus possible lui-même du travail collectif. Cela revient à dire que dans son groupe, il doit être membre actif et non passif.

Une personnalité puissante n’a pas besoin d’être agressive ; elle exposera ses idées, elle indiquera les voies et moyens qui lui paraissent propres à atteindre un certain but, elle usera de son influence personnelle, de son autorité morale et scientifique au mieux des intérêts du groupe.

Mais elle le fera avec calme. Et si la collectivité persiste dans la routine, s’oppose aux idées neuves, aux perfectionnements, inutile de pousser au tragique une lutte qui ne servirait à rien : il reste bien des tribunes, les journaux, les revues, les salles de conférences, les réunions simplement amicales, où l’on peut répandre ses idées et montrer comment améliorer telles ou telles conditions que l’on regarde comme périmées ou nuisibles.

Dans les réunions, ne craignez jamais de donner votre avis s’il est motivé ; faites-le en peu de mots ; et concluez toujours par des formules nettes et claires, qu’on pourra utiliser comme bases de discussions ultérieures.

14. Le respect de la personnalité.

Dans la conversation, comme dans la vie sociale tout entière, il convient de prendre une certaine attitude vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis d’autrui : il faut respecter sa propre personnalité, et il faut aussi respecter la personnalité des autres.

Il est entendu que premier devoir de l’individu est de se développer intégralement ; mais c’est à condition de ne pas gêner le développement intégral des autres. Cette limitation de chacun par tous et de tous par chacun constitue les bases mêmes de la vie civilisée ; c’est elle qui est à la racine des lois, des usages, de la politesse, de la conversation, bref de tous les rapports sociaux.

L’individu ne peut pas vivre en dehors de la société ; il dépend d’elle à la fois matériellement et intellectuellement ; c’est la société qui lui fournit la nourriture du corps et de l’esprit.

Cet état de dépendance réciproque fait que l’homme le plus fort et le plus libre est celui qui est le plus utile à la société ; l’égoïste ne sert à personne, aussi personne n’éprouve-t-il de la sympathie à son égard. Le développement de la personnalité diffère de l’égoïsme en ce qu’il fait de l’individu une force utile à tous.

L’égoïste est celui qui concentre sa pensée et ses forces à satisfaire à un certain nombre, de besoins qui sont en lui, à l’exclusion d’autres besoins, d’autres sentiments dont le développement est indispensable à l’épanouissement de la personnalité. La sympathie, l’amitié, le désintéressement, la générosité : autant de richesses que l’égoïste essaye d’ignorer, aux dépens même de sa propre culture, de sa propre plénitude.

On l’a dit : ce n’est pas en s’amputant le cœur qu’on le sent mieux battre. Les rapports d’affection et de dévouement qui naissent entre l’individu et la famille ou la société, sont des conditions favorables à la personnalité pourvu que l’on sache les intégrer dans l’unité de sa conduite et de sa pensée.

Si la société pose des limites à notre action, elle constitue par contre un milieu dans lequel le caractère prend conscience de ses forces comme de ses faiblesses et trouve l’occasion de se parfaire.

Il semble d’abord paradoxal d’affirmer que développer sa personnalité s’obtient en lui imposant des limites, en la rétrécissant.

Mais un peu de réflexion montre qu’à moins de se trouver dans la situation de

Robinson crusoë, qui dans son île pouvait, en théorie au moins, sinon en pratique, développer sa personnalité intégralement et sans entraves, aucun de nous ne peut se passer de sa famille, de ses amis, de ses voisins, de l’État, de la société en général.

Puisqu’il en est ainsi, plus chacun est instruit, dévoué au bien de tous, prêt à aider les autres, bon, moralement ferme, en un mot : altruiste, plus chacun des individus qui composent la société y gagne, et plus cette société comme groupe est puissante et capable de durée.

Ceci a une importance toute particulière en france, où la population est relativement faible par rapport à celle des autres États de premier rang, et où, comme on l’a dit,« un citoyen doit à lui seul en valoir trois ou quatre des autres grands pays pour compenser par l’intelligence et l’instruction l’équilibre détruit par le nombre et la masse ».

Si je me donne pour but de former et de cultiver ma personnalité, il importe que les autres individus ne m’opposent pas d’obstacles, qu’ils respectent mon but. Ceci ne peut être obtenu que si moi, de mon côté, je respecte le leur. Le facteur essentiel du progrès global est donc un respect mutuel de la personnalité de chacun.

Ce qui ne veut pas dire qu’on puisse cultiver sa personnalité sans une surveillance de soi continuelle, ni qu’on puisse la laisser pousser comme un chêne dans une forêt.

Nous avons tous une grande part d’insuffisances et de faiblesses ; ce n’est pas une raison de les admirer parce qu’elles sont, elles aussi des composantes de notre personnalité.

Tout au contraire, nous devons élaguer ces excroissances et ces malformations, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi à cause des autres.

Se laisser aller, par exemple, à des colères irraisonnées n’est pas seulement se faire du tort à soi-même, mais c’est aussi faire mal à sa famille, à ses voisins, c’est détruire l’arrangement normal des sentiments et des pensées qui est nécessaire à la vie en société.

Donc, entraînons notre personnalité à devenir forte et sage en l’adaptant à la vie et en la rendant capable de contribuer à la fois au bien individuel et au bien collectif.

15. Solution du conflit apparent.

Ce qui nous importe, c’est de constater qu’à l’intérieur des limites imposées à chacun de nous par les formes actuelles de la société et par l’ensemble des idées courantes d’une certaine époque, il existe un grand nombre de possibilités de développement individuel, dont la plupart des hommes ne se doutent pas, ou dont ils font fi.

Dans chaque profession, par exemple, il y a ceux qui l’exercent d’une façon finale, au jour le jour, sans chercher à la perfectionner ni à se perfectionner eux-mêmes ; et il y a ceux, très peu nombreux, qui se donnent pleinement à cette profession, la font progresser et se veulent supérieurs au train-train de la vie matérielle.

En se plaçant à notre point de vue, l’opposition entre le romantisme et le classicisme d’une part, entre les écoles individualiste et sociale d’autre part, se résout plutôt en une discussion de mots qu’en un antagonisme de choses.

On peut acquérir une personnalité extrêmement riche et forte sans vouloir pour cela sacrifier tous ses devoirs à une seule passion, ou tyranniser sa famille, ses ouvriers ou la société en général.

D’autre part, on peut développer sa personnalité en se conformant aux mœurs de son époque, sans pour cela devenir ce que Nietzsche appelait un « animal grégaire »,

Une « bête de troupeau » ; on peut obéir aux lois, suivre la mode et les usages reçus, tout en conservant ce bien précieux qu’est l’originalité interne.

16. L’unité de vous-même.

Avoir, à la base de sa conduite et de ses affaires, des principes qu’on est prêt à rectifier selon l’expérience, pour les adapter à un idéal plus élevé, c’est fortifier et assouplir son action.

Lorsqu’on a précisé ses idées directrices et qu’on leur a soumis progressivement tous ses actes, on réalise l’unité de sa personnalité.

Vous pouvez dire de vous-même et on peut dire de vous que dans telle circonstance vous ne sauriez prendre que telle attitude.

Conscient de vos principes et de votre idéal, vous êtes décidé d’avance à ne pas abandonner un ami qui, tombé dans la neurasthénie, a besoin de votre soutien, bien qu’il soit devenu encombrant et que vous n’ayez, à le fréquenter, aucune perspective intéressante. Car il s’agit avant tout de demeurer fidèle à vous-même, et de bon cœur.

Ainsi, seul celui qui ne risque pas de désavouer ses principes, ne s’expose pas à se manquer à lui-même. Son unité fait la simplicité de sa personnalité.

Sentiment et intelligence ne l’écartèlent pas, comme deux chevaux tirant l’un à hue, l’autre à dia.

Deux fois dans son œuvre, dans le cid et dans polyeucte, corneille a exprimé en stances les tiraillements d’une personnalité incomplète. Nous disons incomplète, car elle n’est pas unifiée ; nous disons déjà personnalité, car il faut aspirer à l’harmonie pour se sentir déchiré. Quiconque n’est qu’ individu s’aperçoit à peine que les événements ou que ses propres caprices le harassent et le dispersent.

Un conseil pourtant : ne fixez pas des cadres rigides à votre personnalité. Elle doit pouvoir s’accroître dans des directions que vous ne sauriez prévoir.

Étudiez vos forces personnelles,” sentez-les « , oserons-nous dire, et profitez des leçons que vous donneront les circonstances.

Allez dans le sens qui traduit le mieux votre moi et l’orientation générale de votre vie.

Chapitre II

Les manifestations de la personnalité.

Après avoir montré de quoi se compose la personnalité, il nous faut étudier ses manifestations. Comment se conduisent, dans la vie de tous les jours, les individus doués d’une personnalité réelle ? À quoi les reconnaît-on ? Comment en acquérir une, nous aussi ?

1. Prestige de la personnalité.

C’est un fait qu’en présence de certaines personnes nous nous sentons séduits ou dominés. Une sorte de magnétisme semble rayonner d’elles et pénétrer quiconque en approche. Mais ce terme de « magnétisme » tend à fausser les idées.

Il s’agit simplement d’un ensemble concordant de qualités physiques et mentales, toutes orientées dans un même sens. L’autorité, l’ascendant, le prestige qui excitent notre admiration, et parfois notre soumission, sont dus à des causes naturelles et normales.

Les indécis, les inquiets, ceux qui craignent les responsabilités et qui ne demandent qu’à s’abriter derrière quelqu’un, ceux qui ne songent qu’à critiquer, qu’à diminuer ou qu’à s’exagérer les dangers de toutes choses, pour justifier leur inaction, ceux-là ne nous attirent pas. Leur attitude contribue à créer une atmosphère déprimante, à faire le vide autour d’eux.

Au contraire, ceux qui voient dans l’inquiétude, quelle qu’elle soit, une occasion d’agir avec méthode, de penser de même, et de prendre allègrement ou courageusement leurs responsabilités, ceux qui ne restent pas accablés, immobilisés, angoissés par le danger, mais qui prennent des résolutions fermes, ceux-là, d’abord, réussissent dans la vie, et puis stimulent, inspirent confiance, entraînent les autres ; ils ont le prestige de la personnalité.

Remarquons le caractère de ce prestige : il a l’auréole du succès et il attire le respect moral. Il s’en faut de beaucoup que ces deux traits s’accompagnent toujours.

Le mérite peut être maussade, et le succès peut être injuste. Mais ici, la réussite fait « boule de neige » — rien ne réussissant comme le succès, selon une formule célèbre — et elle force la sympathie, parce qu’elle n’est pas plus accidentelle que vaniteuse.

On dirait que la forte personnalité rencontre le prestige, non seulement sans le chercher, mais sans même s’apercevoir qu’il lui échoit. C’est pourquoi aucune réserve ne vient réduire le tribut d’admiration que nous apportons, ne fût-ce que dans le secret de notre for intérieur, à celui qui a si bien « mérité ».

La séduction des fortes personnalités, comme leur puissance, résulte de leur rayonnement. Les grandes figures de l’histoire, aux caractères vigoureusement trempés, furent prestigieuses parce qu’il émanait d’elles, par action sur autrui, ou indirectement, par leur exemple, des forces magnétiques.

Un succès en attire un autre. Les obstacles surmontés créent des dispositions favorables pour en surmonter d’autres. La forte personnalité croit en elle-même, et, par une suggestion involontaire autant que consciente, communique autour d’elle la foi en son prestige.

Tout le monde ne saurait prétendre à une telle efficience.

Mais on peut prendre des allures décidées, ne jamais montrer l’indécision que l’on éprouve, et surtout s’efforcer de la combattre par la réflexion.

Ne céder qu’à des arguments irrésistibles et, dans les autres cas, maintenir ses positions, pourvu qu’elles soient équitables ou judicieuses : cela, chacun peut le faire ; et c’est un effort qui, tout en vous préparant à avoir plus de personnalité, vous assure de l’autorité.

2. Charme de la personnalité.

Le charme est à la personnalité ce que le timbre est à une voix ; qualité échappant à une définition précise, mais bienheureux ceux qui la possèdent. Car elle crée la sympathie, — première condition pour être compris. Le charme personnel est souvent inné.

Mais le pelmanisme, fidèle à ses principes, affirme que le charme se laisse acquérir, développer. L’essentiel est d’en trouver les éléments, pour les atteindre un par un.

Mais le charme n’est jamais le même, il varie d’un individu à un autre : ce sera une vivacité d’expression, ou au contraire de la gravité ; ce sera un jugement primesautier, ou une disposition réfléchie et ordonnée.

Gaieté, tristesse ; beauté, laideur ; jeunesse, vieillesse ; santé, maladie ; richesse, misère, le charme n’est pas plus l’apanage de l’une que de l’autre.

Parmi les conditions de ce charme personnel, discernons le naturel ou l’accord de l’expression avec le contenu réel de la personnalité, sa spontanéité et sa variété, le manque de raideur, une politesse non seulement formelle, mais empreinte de sympathie, une bienveillance naturelle et surtout une réconfortante atmosphère de chaleur.

Bien souvent il faut noter l’attention, la bienveillance sincère, l’intérêt apporté aux discours des autres.

La plupart de ceux qui vous attirent, sont ceux qui vous ont écouté avec sympathie, qui se sont intéressés à votre parole et qui ont su en dégager un bon côté, vous en rendre conscient et par là augmenter votre confiance en vous-même.

De la sorte, une vraie personnalité exalte la valeur des autres et contribue ainsi à accroître son prestige. L’esprit d’encouragement est un facteur puissant d’attraction quand il est fondé et loyal.

3. Ascendant et personnalité.

L’impression que donnent les individus doués d’une forte personnalité est encore plus puissante s’ils possèdent, outre leur originalité intellectuelle, une noble prestance, une voix sympathique, un regard vif et ardent, une parole imagée.

L’ascendant physique joue un rôle qu’on ne saurait nier, et il arrive qu’on le subisse, alors même qu’on se trouve, dans la discussion, en désaccord sur certains points.

En dernière analyse, pourtant, c’est le facteur moral qui a le plus de poids. Si l’ascendant n’est que physique, celui qui le subit s’en libère dès qu’il a le dos tourné.

Au lieu que l’ascendant moral subsiste ; il agit à distance et longtemps.

Napoléon était petit, assez faible de constitution. Souvent des hommes fortement charpentés font de l’effet au premier abord, mais perdent leur influence à mesure qu’on les fréquente. Toutefois un corps souple et musclé, l’adresse manuelle contribuent à l’influence qu’on peut exercer sur autrui.

Un facteur essentiel de cette influence, c’est quelque supériorité acquise dans l’ordre soit technique, soit intellectuel. Cette influence se borne à la profession et au métier.

Mais quand il s’y ajoute l’aptitude à observer, la sensibilité aux impressions d’autrui, un but dans la vie, une volonté ferme, une aisance parfaite en chaque circonstance et avec des personnes de tous les milieux, une parole aisée, de la politesse, du tact, enfin un bon entraînement à la psychologie pratique, la personnalité s’impose et elle obtient d’autrui l’obéissance volontaire, la coopération amicale.

L’influence morale comprend des éléments permanents et universels : une expérience plus profonde et plus étendue, une culture développée, une rare pénétration d’esprit, une volonté déterminée, une décision rapide et surtout la confiance en soi, accompagnées d’une sincère sympathie pour la nature humaine.

La personnalité la plus attirante ne se montre non pas égoïste, mais altruiste.

4. Personnalité et assurance.

Parmi les caractères extérieurs de la personnalité, il en est un qui frappe au premier abord et qu’on a tendance à confondre avec la personnalité entière : c’est une manière d’être assurée.

Une bourse bien garnie, une possibilité très grande, sinon illimitée, de dépenses, a toujours donné de l’assurance, alors que la pauvreté, même relative, qui oblige à compter, détermine une sensation de gêne plus ou moins accusée.

Il faut être très maître de soi, très conscient de sa propre valeur sociale, pour ne pas se sentir handicapé dans la vie par le manque d’argent.

Il y a aussi cette autre forme d’assurance qu’on acquiert quand, par suite de certaines circonstances, on n’est plus astreint à tenir compte du « qu’en-dira-t-on ». C’est l’allure décidée d’un provincial à paris, d’un allemand ou d’un français à new-york, de tout homme qui n’a pas à prendre de ménagements, comme dans son pays d’origine où il est classé d’après sa famille et son rang social.

Donc, gardez-vous de confondre cette assurance de l’homme qui a une escarcelle rebondie, de l’étranger plongé dans un milieu où il se sait sans entraves, et l’assurance toute différente de celui qui, ayant une autorité due à sa valeur morale et beaucoup de naturel ne se sent pas gêné, soit dans son milieu d’origine, soit là où il est connu dans ses tenants et aboutissants.

Un tel homme, quand il voyage, reste toujours ce qu’il est ; il ne devient ni timide ni arrogant ; il emporte partout sa valeur humaine, et respecte partout en autrui cette même valeur.

5. Confiance en soi et timidité.

Mais, pour se manifester simplement, il faut avoir confiance en soi, et ne pas être timide, car la timidité est l’un des principaux obstacles au développement harmonieux de la personnalité.

Un individu timide qui entre dans une salle pleine de monde peut n’être pas ému au point de perdre tout à fait l’esprit et de se rendre ridicule, mais il s’écoute parler et se demande avec anxiété s’il dit ce qu’il doit dire, et comment il doit le dire. Sa principale préoccupation, c’est donc lui-même, et non les autres, auxquels il se regarde comme inférieur.

Il est certainement très pénible de ne pas pouvoir s’oublier ; mais plus il combat cette faiblesse, plus elle semble empirer.

Elle dépend en majeure partie du manque de confiance et de maîtrise de soi, mais aussi d’un tempérament réservé et scrupuleux, de l’inexpérience du monde et surtout d’une sorte d’exagération morbide qui fait que le timide se croit le centre de l’attention de tous.

Il voudrait qu’on eût une bonne opinion de lui ; il redoute la critique, alors qu’il devrait dédaigner davantage l’opinion des indifférents et des foules.

On comprend qu’il lui soit impossible, dans ces conditions, d’exprimer sa personnalité latente. Ses yeux sont « tournés en dedans » ; c’est lui-même qu’il observe, et non pas ce qui se passe autour de lui.

L’une des formes les plus fréquentes de la timidité est ce qu’on nomme vulgairement la « peur du ridicule ». Elle provient de ceci qu’on a l’impression d’être autrement que tous les autres, par exemple habillé à la mode de l’année précédente dans un salon très chic, ou ayant sur un point technique des opinions opposées à celle de la majorité.

On sait au fond de soi que si l’on diffère des autres, il y a à cela des raisons matérielles, morales ou intellectuelles puissantes, et qu’on ne pourrait être, ni faire autrement. Mais la sensation est cependant désagréable.

Elle disparaît quand on a « réussi ». Alors, ce sont les autres qui viennent à vous, tâchent de vous imiter, même dans vos travers.

La simplicité du costume de napoléon, le veston de clémenceau, la cigarette de

Briand, sont des symboles de ce retournement de l’opinion publique.

Quand on a une personnalité qui s’est affirmée par des actes dont la moyenne des gens est incapable, les autres vous acceptent comme vous êtes, sauf si vous heurtez par trop les mœurs et coutumes.

La confiance qu’il vous faut se fondera sur les succès, si petits soient-ils, que vous cueillerez le long de la route. Si dur que soit le labeur, il suscite chez les âmes généreuses un élan joyeux dont s’étonnent les natures médiocres.

Celui qui voit toujours au-delà du moment actuel, peut toujours plus qu’il ne fait. S’il échoue, son arrêt n’est que temporaire et comporte comme tel un enseignement, d’où résulte une puissance plus grande.

Heureux enthousiasme, qui ne vit point d’illusions, mais qui, grave dans le succès, se montre serein dans l’échec !

Vous le reconnaîtrez en tous ceux qui ont mis leur cœur, si ardemment personnel, dans un idéal impersonnel. Prenez-y bien garde : les mille misères, incertitudes, dégoûts, épuisements, n’existent que pour les médiocres.

Arrêtez-vous ici et méditez.

Puisque la timidité, la peur du ridicule, se rattachent à cette tendance fâcheuse qui consiste à se regarder penser et agir, à s’observer et à s’écouter parler, prenez la résolution de tourner vos yeux vers les choses et les hommes qui vous entourent.

Les leçons précédentes, i, ii, iii, v, par exemple, vous ont appris à observer le monde, à être attentif et présent à ce que vous faites, à vous intéresser à vos décisions, à dominer les impressions du dehors, en en prenant conscience, en les comprenant, en les organisant.

6. La personnalité est positive.

Les individus qui ont une personnalité absorbante ou marquée sont positifs, et non pas négatifs. Ils disent oui ! à la vie, avec ses joies et ses souffrances. ils sont plus portés à affirmer qu’à nier, à agir qu’à critiquer.

Cette attitude a pour effet d’accélérer le rythme de leur activité ; ils ne craignent ni de se mouvoir, ni de s’exprimer, et par là même ils exercent une influence directe sur les individus moins actifs ou plus prudents, sinon plus timorés.

Cette attitude positive générale se manifeste dans l’existence ordinaire par une tendance à s’adapter plus rapidement aux circonstances et à passer de la réflexion et du choix à l’action sans perte de temps inutile.

C’est une erreur, fréquente surtout en france, que de croire qu’en disant d’abord « non » à toutes les propositions, en s’opposant pour commencer à une suggestion ou à un ordre, en critiquant ses chefs au lieu d’exécuter aussitôt leurs prescriptions, on témoigne d’une personnalité réelle et ferme, supérieure à la moyenne.

Ce que cette attitude négative et critique prouve, c’est seulement une certaine lenteur de jugement et la crainte pour soi-même des responsabilités. C’est un aveu de faiblesse, non pas une preuve de force.

Nous ne voulons pas dire par là qu’il faut vous précipiter tête baissée dans toutes les affaires qu’on vous propose, accepter immédiatement la situation qu’on vous offre.

Tout au contraire : nous conseillons de peser le pour et le contre, de bien évaluer toutes les chances favorables et défavorables, et de ne décider qu’en connaissance de cause.

Mais on peut considérer chaque problème pratique de deux manières, l’une qui est optimiste, l’autre qui est pessimiste.

Quiconque possède une personnalité sûre de soi, réfléchie et expérimentée, adopte toujours de préférence l’attitude optimiste, n’applique ses fonctions critiques qu’à bon escient, et passe rapidement de l’idée à l’action.

7. Crainte et courage.

Si les timides hésitent à agir, ou retardent le passage de l’idée ou du désir à l’acte, ce n’est que temporairement ; ils ne sont le jouet que de ce qu’on appelle une inhibition restreinte », c’est-à-dire d’un empêchement à agir qui cède très vite au raisonnement et à la volonté.

Plus grave est l’inhibition qu’on nomme crainte et qui à son stade maximum se nomme peur. Elle supprime toute possibilité d’intervention du cerveau et fait de l’homme la proie de ses nerfs et de ses muscles.

Ici aussi la confiance en soi, la conscience de ce qu’on vaut, la raison interviennent peu à peu.

Turenne disait à son propre corps, dans le fracas des batailles : « tu trembles, carcasse ! » Mais son âme, elle, n’avait pas peur.

Pour surmonter l’effroi que cause un danger, il faut chercher les moyens d’y parer, reconquérir par un effort interne le sang-froid perdu, rétablir la circulation normale du sang par l’autosuggestion, redevenir le maître de ses innervations et de ses mouvements musculaires.

Mais il y a aussi la peur morale, celle de la misère par exemple, ou de l’échec à un examen dont dépend votre avenir ; la crainte de perdre un être qui vous est cher, d’agir comme on le devrait, ou même tout simplement de dire ce que l’on pense.

La conséquence de cette peur est souvent qu’on n’ose plus agir, qu’on se désespère par avance, qu’on s’imagine ne rien pouvoir faire d’utile. Tous ces symptômes sont, eux aussi, la preuve d’un manque de confiance en soi.

Celui qui possède cette confiance ne redoute pas la misère, car il sait qu’elle n’est que transitoire et que la concentration des connaissances acquises, la ténacité dans la recherche d’une place, de plus un certain dédain du qu’en-dira-t-on, détermineront nécessairement le succès.

Même dans un individu que des circonstances contraires ont acculé à la misère, la personnalité se manifeste par un certain ton, une certaine assurance, une conviction contagieuse de confiance en soi et dans l’avenir qui réduisent au minimum l’effet produit par de vieux vêtements et un visage émacié.

Sans doute, l’obtention d’une place, le succès d’un examen, la guérison d’un être aimé dépendent en grande partie d’autrui. Mais la confiance en soi est contagieuse et réciproque.

Le patron, l’examinateur, le malade ont confiance aussi en vous si vous leur donnez l’impression d’être sûr et maître de vous-même. Cette assurance, que certains individus possèdent de naissance, que d’autres ont acquise, est l’une des manifestations caractéristiques de la personnalité : c’est ce qu’on nomme « courage ».

Nous citerons à ce propos quelques passages d’une lettre que nous a adressée l’un de nos étudiants qui, après des débuts pénibles, a trouvé à 38 ans une belle position, et a depuis fait largement son chemin :

« au moment où je me préparais à m’embarquer pour…, où sont mes deux frères, j’appris que le Syndicat des… cherchait un secrétaire. Sans appui de personne, sans connaître ces messieurs, je me suis présenté avec mes diplômes, certificats et références, — et la certitude d’enlever la position si j’osais garder toute confiance en moi. Je savais que j’allais être ‘ cuisiné ’ par les divers membres de la Direction. J’ai fait de l’autosuggestion. Je me suis dit : Je leur plairai, je les dominerai par mon accent, mon calme, le bon sens de mon point de vue, la force de ma conviction, par ma toilette sobre, mais correcte’… et j’étais sûr que j’allais les avoir. En effet, c’est moi qui fus nommé. Bien entendu, tous les jours, depuis trois semaines, j’avais travaillé nuit et jour à la confection d’un rapport d’essai qu’on m’avait demandé, avec plan d’action politique, organisation des services, etc… »

8. L’initiative.

N’étant jamais passive, une forte personnalité ne se borne jamais à attendre les événements. Elle va au-devant d’eux, et réussit le plus souvent à les forcer dans le sens de sa propre volonté et de son propre but. Elle réussit de même à orienter des volontés ou des tendances différentes de la sienne dans un sens qui lui sera utile, ce qui s’appelle couramment “persuader”.

Ne ramenez pas ce prestige à de la suggestion. Une personnalité accusée trouve le secret des événements autant que le secret des actes humains.

S’il y a une épizootie en argentine, toutes les usines de france et de grande bretagne qui travaillent la corne seront sans matière première ; patrons, ingénieurs, ouvriers chômeront de par la force des choses, ou devront trouver une matière de remplacement.

L’homme supérieur y parviendra. S’il y a guerre quelque part, un débouché commercial se trouve temporairement fermé : l’homme d’initiative découvrira un marché de compensation.

En ce qui concerne les hommes, supposez que votre sort dépende du conseil d’administration d’une société dont vous aurez vu les membres un à un : quand ils sont réunis, ils sont dégagés de l’influence personnelle plus ou moins consciente que vous aviez exercée sur eux ; ils ne considèrent plus que l’intérêt de leur société ; ils cessent en partie d’être eux-mêmes pour n’être plus que les membres d’un groupe ; et sur ce groupe comme tel, votre force de suggestion n’agit plus.

Si le groupe accepte vos propositions, ou s’il les rejette, ce ne sera qu’en vertu d’un raisonnement à froid, dénué de toute sentimentalité. Mais il subsistera de vos entretiens, en plus de l’utilité directe de vos propositions, l’opinion unanime que vous êtes un individu qui “a des idées”, qui “va de l’avant”, qui sait présenter ses arguments, répondre aux objections, bref qui représenterait pour cette société un élément de force et d’activité, même si sur un point spécial il y a eu de votre part erreur d’évaluation commerciale ou financière.

Telle est l’explication de la réussite de certaines personnes dont pourtant on dit qu’elles ne sont pas spécialisées, ou qu’elles sont “nulles ” dans telle ou telle spécialité. Ces personnes possèdent une fécondité d’esprit qui est, à elle seule, une valeur commerciale, et dont des chefs intelligents et adroits sauront tirer parti dans toutes sortes de directions, quelques-unes prévues et ordinaires, d’autres imprévues et rares, mais d’autant plus profitables.

C’est en ce sens que l’initiative caractérise la personnalité. C’est une qualité dont la valeur de marché augmente au fur et à mesure que les compétitions et les concurrences internationales deviennent plus complexes et plus violentes.

Aussi de nombreux chefs d’usine et grands patrons donnent-ils des primes et un avancement rapide à ceux de leurs subordonnés qui manifestent de cette manière leur personnalité.

9. L’enthousiasme.

Maximum de rendement avec un minimum de fatigue. Il se crée alors un état de joie intérieure, qui réagit sur les gestes, sur la tenue, sur le regard, et augmente à proportion la force de rayonnement et de persuasion qui émane de l’individu.

C’est en ce rayonnement que réside la force du grand philosophe, du grand musicien, du grand peintre : il sort de leur personne et de leur œuvre une puissance humaine générale et diffuse qui vous entraîne dans l’orbite du créateur, vous élève avec lui au-dessus des mesquineries de la vie, vous fait pénétrer dans le monde de l’idéal.

Mais même dans la vie courante, l’enthousiasme trouve son emploi : le but de votre vie, votre distraction favorite, vos lectures, votre travail, votre métier, tout peut contribuer à déclencher en vous cet état de joie profonde qui provient de la satisfaction causée par la réussite d’un effort, par l’aboutissement d’un projet, par l’achèvement d’une œuvre dans des conditions aussi proches que possible de la perfection.

Or, ne croyez pas que cet état de joie, qui chez les uns s’exprime fortement au dehors, alors que chez d’autres il n’est visible que rarement, soit sans utilité pratique. Bien au contraire !

L’enthousiasme est toujours contagieux ; il entraîne dans son tourbillon même ceux qui voudraient lui résister. Nous parlons de l’enthousiasme sincère et justifié, non-pas du

“battage” ou du “bourrage de crâne”, lesquels sont sans action durable et dont le caractère mensonger est vite découvert.

La chaleur de l’enthousiasme n’exclut d’ailleurs pas le sang-froid devant les risques qui parsèment la route de l’homme entreprenant. L’enthousiasme n’empêche pas de peser le pour et le contre ; il n’aveugle pas sur les qualités d’un objet ou d’une autre personne.

C’est un contentement naturel de soi, non pas une ivresse désordonnée et anormale.

C’est par suite un levier excellent, qui permet de faire plus vite et mieux des travaux même très pénibles.

On peut en dire, comme de la foi, qu’il est capable de soulever des montagnes, ou, plus fréquemment, comme le dit une de nos Étudiantes, de « démarrer le char embourbé ».

10. Les bonnes manières et la politesse.

Nous avons décrit jusqu’ici des manifestations de la personnalité sur lesquelles tout le monde assurément tombera d’accord. Mais il en est une qu’on semble vouloir oublier de nos jours.

Toutes les fois qu’elle manque, vous pouvez être certain que dans l’individu que vous jugiez vraiment sûr de soi et fort, il y a une lacune, une fêlure, qu’il essaie de masquer aux autres et à lui-même.

Toute personnalité bien construite et complète se respecte elle-même ; elle respecte aussi les autres, non pas par prétention à la supériorité, ou par indifférence, mais par ce qu’elle a conscience d’être, malgré ses efforts, imparfaite par rapport à l’idéal choisi.

Un homme fort retrouve dans les autres hommes sa propre essence, qui est celle d’humanité, par opposition aux choses et aux animaux.

Si cet individu est religieux, il respecte dans les autres l’œuvre de dieu ; s’il est philosophe, artiste ou savant, il respecte en eux leurs possibilités dans la philosophie, l’art ou la science.

Aussi l’une des manifestations de la personnalité supérieure est-elle ce qu’on nommait autrefois les « bonnes manières », les « manières de gentilhomme », ce que les

Anglais nomment « être gentleman », et dont l’ensemble constitue la « politesse ».

Beaucoup, et de plus en plus, s’imaginent que la politesse est une faiblesse, que c’est une humiliation qu’on s’inflige volontairement.

Or, il y a dans la politesse une vertu puissante : elle est un bouclier qui permet de protéger la personnalité contre les atteintes ennemies.

À l’abri de la politesse, on reste soi-même et de plus on n’a pas à lutter contre les offenses ou les injures des brutes. Il y a des limites, naturellement.

Il ne faut pas confondre la politesse et l’obséquiosité ; être poli n’est pas nécessairement s’humilier, se mettre au-dessous d’autrui. Il faut savoir tenir sa place et garder son rang.

Mais c’est un fait que l’homme vraiment fort n’a nul besoin d’être brutal ni grossier ; sa force est en lui, non dans des formes extérieures qui sont à la disposition du premier imbécile ou du premier barbare venu.

Bien mieux : la conscience de sa propre valeur et la confiance en soi déterminent, quand elles sont vraiment justifiées, une sorte de bonhomie qui facilite les relations sociales.

Personne ne se sent » mal à l’aise « en présence d’une personnalité vraiment supérieure, parce que celle-ci fait les premiers pas, aplanit les obstacles, et se met instinctivement au niveau de l’interlocuteur.

La véritable politesse ne réside donc pas seulement dans les manières du corps, mais aussi dans les attitudes de l’esprit.

Êtes-vous sûr d’avoir été attentif à votre interlocuteur, de l’avoir laissé s’expliquer, d’avoir mis de la simplicité et de l’intérêt en l’écoutant, d’avoir souligné discrètement et suivant le rang qu’il occupe tout ce qui mérite d’être relevé ?

C’est là une forme exquise de la politesse qui se concilie parfaitement avec une attitude intelligente et avec le respect de la dignité et de la sensibilité d’autrui.

11. La tenue extérieure et le tact.

C’est encore un fait d’observation courante que chacun modèle ou déforme ses vêtements d’une manière qui lui est personnelle. Avec quelque habitude, on arrive à distinguer la profession ou le métier des inconnus d’après leurs vêtements aussi sûrement que d’après leurs mains.

Nous avons dit déjà que se singulariser par l’apparence extérieure, par une coquetterie exagérée ou par un débraillé voulu, n’est pas à considérer comme une manifestation de la personnalité.

Quiconque a une personnalité bien constituée n’attribue à son apparence extérieure que juste la valeur qu’elle mérite. Mais comme sa force personnelle est interne, il ne verra point d’utilité non plus à choquer les mœurs du jour, la mode du moment ; il s’habillera « comme tout le monde », ni plus ni moins, mais avec soin.

Examinez le linge que vous portez, la chemise, le col, les manchettes. Sont-ils propres, nets ? Sinon, changez-les.

Vous ne pouvez pas payer les frais de blanchissage ? lavez vous-même votre linge, s’il le faut, mais ne vous avilissez pas dans la malpropreté. Même soin dans le costume, la cravate, les chaussures, dans tout ce que vous portez.

La propreté, la simplicité et le goût dans votre habillement sont des conditions importantes de l’aisance dans vos manières et une marque de respect pour vous-même comme pour les autres.

Quelqu’un qui est sale ou mal tenu dans ses vêtements, qui n’a pas le courage de s’imposer l’effort, la discipline d’être propre, il y a bien des chances pour qu’il manque de tenue morale ; l’ordre et la propreté sont des habitudes qui accompagnent normalement la personnalité, parce que celle-ci ne néglige aucun élément de la vie sociale ou individuelle pour s’affirmer.

De même qu’on ne doit pas se laisser aller psychiquement, mais orienter sa volonté et supprimer ses faiblesses, de même on ne doit pas se laisser aller quand il s’agit du corps et de son apparence.

On a dit en plaisantant, mais dans cette plaisanterie il y a une grande part de vérité, que les anglais ont conquis le monde parce qu’ils se mettent en tenue de soirée pour dîner, même dans les ménages modestes. Il ne s’agit pas ici du plus ou moins de fortune, mais d’un dressage de soi dans les limites des moyens dont on dispose.

À la tenue extérieure on pourrait assimiler une qualité intellectuelle qu’on nomme tact.

Il n’est pas besoin, pour affirmer sa personnalité, de heurter les opinions ou les sentiments d’autrui.

On peut avoir des convictions profondes et nettes sans pour cela avoir le droit de vouloir les imposer à ceux qui en ont d’autres. La vie sociale consiste dans une série d’adaptations.

Ce sont les personnalités les plus riches et les mieux constituées qui sont aussi le mieux capables de comprendre et d’admettre que les individus soient différents, non pas tous taillés sur le même patron.

Avoir du tact, c’est respecter ses semblables et se respecter soi-même.

12. Vraie et fausse originalité.

Une personnalité forte s’avise de créations imprévues jusque dans les moindres actes de la vie, car l’inspiration n’est ni vulgaire, ni communément égoïste. Tout ce qu’elle fait porte un cachet particulier et suscite des imitateurs.

L’originalité consiste à donner de la nouveauté, de la fraîcheur et de la fécondité à ses actes, à ses pensées, à ses sentiments et à leur expression. Elle naît spontanément, c’est la fine fleur des efforts sincères et réfléchis que nous avons tentés pour accomplir mieux, avec tout notre cœur et tout notre esprit, le travail quotidien.

Mais, dans le langage courant, le mot a pris un sens détourné.

Beaucoup de personnes croient que, pour être original, il suffit de se conduire autrement que les autres et de se distinguer violemment d’eux par les vêtements, les manières, les opinions, quitte à heurter son entourage et son milieu. Ils voient là une marque de personnalité, alors que ce n’en est que la parodie. C’est la fausse originalité.

Elle se manifeste de bien des manières, qu’il convient de signaler ici, parce que grâce à leur attitude artificielle, mais assurée, certains individus, en réalité faibles, réussissent à en imposer à d’autres qui valent mieux qu’eux, mais qui sont timides.

Vous les reconnaîtrez à ce qu’ils n’agissent que pour l’effet, tandis que ceux qui atteignent à l’originalité vraie ne l’ont jamais désirée pour elle-même.

Ne confondez pas la forte personnalité et la « pose ». Celle-ci n’en est que la contrefaçon. Elle dépend en partie de la mode ; parmi les « poseurs » d’autrefois on peut citer les « précieuses », les « incroyables », les « lions », les « dandys ».

Ces formes ne sont d’ailleurs pas dangereuses. Mais il y a un type de ” poseur “ qui l’est davantage : c’est celui du ” grand homme d’affaires « , du ” grand chef « , du ” grand patron “.

Si vous lui faites visite, il vous transperce de son regard froid et scrutateur, puis d’un geste brusque vous désigne une chaise, avec un sec” Asseyez-vous ! “. Vous n’avez garde de désobéir.

” que voulez-vous ? « , continue-t-il d’un ton bourru. Vous lui expliquez l’objet de votre visite. ii fait semblant de se plonger dans de profondes méditations. il vous jette encore deux ou trois mots. il manœuvre ses sourcils en tragédien. il vous fait une ou deux questions. II dit” Oui ! “— ou ” Non ! “et l’affaire est conclue — ou ratée, sans que vous ayez pu vous expliquer, ni vous défendre.

Cette affectation d’être un homme fort et bref ne peut tromper que les naïfs. La personnalité se voit aux œuvres, non aux manières.

On peut être ” quelqu’un “ en étant modeste — nous ne disons pas timide ; en étant simple — nous ne disons pas effacé.

La personnalité ne se revêt pas comme un manteau. Elle naît et se développe au dedans de nous, puis se manifeste à l’extérieur par une certaine assurance tranquille, par le calme du regard, par la précision des gestes et des paroles, par la simplicité et la bonhomie de l’accueil, par tout un ensemble de symptômes qui sont fort différents de la” pose “et du ” bluff “.

Ii faut donc, pour être” original « , dans la bonne acception du terme, être vraiment soi-même, savoir ce que l’on est, ce que l’on peut, ce que l’on veut, sentir comment notre moi profond a besoin de s’épanouir et souhaite de se manifester.

13. Vraie et fausse expression.

Nos gestes et nos mouvements, nos yeux et notre figure, la façon de nous habiller, nos inflexions de voix et même notre silence traduisent une certaine personnalité, mais ce n’est pas toujours notre personnalité. Il ne s’agit pas d’exprimer quelque chose, il importe d’extérioriser son” moi “réel.

Que de gens durs au regard doux, que d’esprits vides s’exprimant avec acharnement, que de femmes à l’âme mesquine voulant paraître belles et séduisantes, que de fourbes exprimant la bonhomie, enfin que d’hypocrites affectant la franchise !

Voilà des gens qui mentent à dessein, mais d’autres, innombrables, le font de façon inconsciente : soit par imitation, soit par bovarysme. Ils prennent allure, gestes et paroles d’une personnalité qui n’est point la leur.

Méfiez-vous de la fausse apparence, elle sera toujours reconnue, même par les gens simples, pourvu qu’ils sachent regarder.

En vous observant à fond, vous trouvez sans doute quelque désaccord entre votre personnalité et votre expression. Souvent, on arrive à trouver en soi mieux que ce qu’on exprime.

Soyez juste à votre égard, mais prêt au sacrifice, sinon vous baisserez dans l’estime des gens auxquels vous avez paru supérieur. Mais combien gagnerez-vous par la suite !

Vous sentirez un tout autre calme, vous goûterez la satisfaction d’être apprécié pour vous-même et ne voudrez jamais plus redevenir celui qui se boursouffle, mais dont le prestige s’évanouit au moindre contact avec la vérité.

14. Conclusion.

En conclusion, la personnalité se trouve, mais à la condition qu’on ne la cherche pas égoïstement pour elle-même. Vous vous réaliserez, non en vous réservant, mais en vous prodiguant.

Cette expansion de soi hors de soi, qui donne aisance, autorité, persuasion, met en lumière ce fait d’importance, que l’on se gagne en se dépensant répétons encore que ceux qui se cherchent uniquement en eux-mêmes n’y trouvent bientôt qu’impuissance.

Oubliez-vous dans votre tâche : c’est elle qui doit vous porter, non vous qui l’assumerez. Plus grande sera la tâche, plus de valeur vous prendrez.

Au lieu de fuir les responsabilités, acceptez-les quand elles s’offrent, et même faites-les naître quand elles ne se présentent point. C’est à ce prix que vous ferez des progrès sur vous-même.

Au lieu de vous accabler d’avance, en pensant :” je ne serai pas à la hauteur ! « , mettez-vous peu à peu au niveau qui doit être le vôtre, et dépassez-le ensuite.

La personnalité n’est pas un état permanent, une qualité stable : elle ne se maintient qu’en se renouvelant. Soyez prêt à vous créer vous-même indéfiniment.

Ne croyez pas, surtout, que ce conseil vous engage à la dispersion. Vous découvrirez votre personnalité en profondeur plutôt qu’en surface.

Voilà pourquoi l’expression est juste et heureuse quand on parle de se dépasser soi-même.

Allez toujours plus avant, mais dans le même sens qui traduit le mieux l’orientation générale de votre vie.

Alors, vos expériences vous serviront et aucun effort, même malheureux, ne sera perdu.

Chapitre III

Qualités a développer

obstacles à vaincre

Dans les chapitres précédents, nous avons décrit les éléments et les manifestations soit externes, soit internes de la personnalité, toujours en nous plaçant plutôt au point de vue pratique qu’au point de vue purement scientifique et théorique.

C’est encore ce même point de vue pratique qui déterminera le cours de l’exposé suivant, conformément au but général de la méthode Pelman.

1. Avoir de l’ampleur.

La première qualité à développer est celle que nous appellerons l’ampleur. Une personnalité puissante se distingue par la profondeur des conceptions, l’intensité de l’action, une force interne qui permet, sans accablement, des entreprises de grande envergure, et même plusieurs menées de front, avec une facilité toute naturelle.

Ce volume de la personnalité, cette ampleur, suppose une excellente hygiène, sans abus, ni excès d’aucune sorte ; aucun gaspillage des forces, mais leur économie rationnelle ; pas de surmenage, mais un choix intelligent des diversions, aucune déperdition de l’activité réelle sous forme de vanité ou d’orgueil, de haine, de méchanceté, de mesquinerie.

Le volume de la personnalité doit s’accroître sans cesse dans l’espace comme dans le temps, en acquérant toujours de nouvelles connaissances qui permettront de porter sur les êtres ou les événements un jugement sûr et rapide. Il faut accumuler sans cesse, non pas tant des ressources matérielles, que des richesses intellectuelles.

2. Savoir se commander.

C’est la deuxième qualité à acquérir. Sachez disposer de votre temps comme il convient selon les conseils donnés dans les Leçons précédentes. Vous éviterez toute nervosité, toute déperdition de forces. Il faut comprendre la « valeur du temps », pour le faire travailler à votre profit.

Si donc vous désirez acquérir du prestige et de l’autorité, dites-vous bien que ce ne sera qu’à condition de vous dresser d’abord vous-même à être maître de vous dans votre vie intérieure autant que dans vos actes extérieurs.

Il va sans dire que si un individu doué d’une forte personnalité ne l’utilise que dans des buts égoïstes, son ascendant diminuera rapidement. Les gens acceptent bien de se soumettre, mais non en esclaves.

La vie sociale est un perpétuel échange de services rendus, et il est toujours facile de se dérober si la personnalité puissante dont on dépend désire vous « exploiter ». Ce qu’il y a en définitive de plus puissant, c’est l’altruisme, la subordination du moi aux intérêts généraux, nationaux et humains.

Une personnalité sera d’autant plus noble qu’elle rendra son activité plus désintéressée.

3. L’attitude à prendre.

Elle est double : vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis des autres. Il convient de se traiter soi-même avec autant de soin et de propreté qu’on traite son apparence extérieure, visage et mains, vêtement. On doit être aussi propre moralement qu’on l’est physiquement.

Toute atteinte à cette propreté diminue la force essentielle de la personnalité, et du point de vue purement pratique et mondain, elle donne à d’autres barre sur vous. Il faut “soigner” sa personnalité comme on soigne son corps.

Arranger sa tenue, savoir qu’on est convenablement habillé est nécessaire surtout aux timides. Une mise qui laisse à désirer peut déterminer un certain embarras interne.

Donc, autant s’assurer cet atout dans la lutte sociale, en adoptant une tenue propre et conforme aux habitudes du milieu. Il est d’ailleurs inutile de susciter la curiosité ou la raillerie de la foule, ou d’exciter l’appréhension de l’interlocuteur dont votre sort peut dépendre.

Aussi faut-il se traiter soi-même avec zèle et respect. Sans doute l’humilité devant

Dieu, devant un grand idéal, devant les progrès à accomplir est une vertu ; l’orgueil, la vanité sont des faiblesses.

Quiconque possède une personnalité forte et harmonieuse n’en tire pas gloire ; il a autre chose à faire : agir.

Cependant, il est bon dans la vie pratique non seulement de savoir ce qu’on vaut, mais de le montrer aux autres — sans exagération et à propos évidemment.

Dans la vie sociale actuelle, il n’y a de place ni pour les timides, ni pour les hésitants, ni pour les humbles ; chacun doit conquérir sa place au soleil, lutter contre les compétitions et les concurrences.

Ceci n’oblige personne à devenir arrogant ou agressif : au contraire, les personnalités les plus fortes sont les plus modestes et les plus simples, car elles ne risquent pas d’être amoindries par des pressions extérieures. Il arrive toujours une occasion où leur personnalité passe au premier plan et où l’on fait appel à elle pour guider et conseiller.

Donc, augmentez votre puissance interne, mais conservez-la en vous, sans l’imposer aux autres ni la leur dérober, de même que vous n’usez de votre force musculaire que si besoin est, nullement pour “épater la galerie s.

Ni vaniteux, ni orgueilleux, ni aplati, telle doit être l’attitude du vrai pelmaniste, toujours disposé à bien faire, à aider, à prêter secours ; bref, à faire profiter les autres de ses qualités innées ou acquises.

Par rapport à autrui, son attitude sera de respect et d’estime. Ce principe est fondamental. On n’y contreviendra que si l’on a des preuves que l’autre personne ne mérite pas cette estime ou ce respect.

Aidons autrui à développer sa personnalité sans lui imposer la nôtre. La véritable autorité ne se fonde pas sur l’obéissance passive ou sur l’amoindrissement d’autrui, mais sur une compréhension mutuelle, systématiquement voulue.

Il est bon de se perfectionner sans cesse, et naturel de vouloir que les autres se perfectionnent aussi. C’est le seul moyen d’une amélioration des conditions sociales.

Une personnalité aime à traiter avec d’autres personnalités, non avec des faibles.

Devant quelqu’un de plus puissant et de plus développé que vous, restez vous-même ; devant quelqu’un d’inférieur, restez encore vous-même. Dans le premier cas, ne soyez pas timide ; dans le second, pas arrogant.

4. À chacun sa personnalité.

Ne croyez pas que seuls les individus exceptionnels puissent prétendre à une personnalité. Il y en a chez chacun de nous les amorces, mais qui resteront à l’état latent si nous ne travaillons pas à notre développement.

L’attitude foncière que nous prenons, le plus souvent, à l’égard de la vie, celle qui traduit les réactions de notre tempérament et de notre caractère devant les circonstances extérieures : voilà l’élément de notre individualité qui peut devenir le centre de notre personnalité.

Que faut-il pour effectuer ce développement ? une pleine conscience de nous-mêmes, et une ferme volonté de nous réaliser.

Une pleine conscience de nous-mêmes : cela ne signifie pas que nous devions percevoir tout ce qui se passe en nous ; la leçon XI montrera que cette connaissance intégrale est impossible. Mais cela signifie que nous nous rendions très nettement compte de l’attitude constante ou préférée qui exprime notre nature.

Une ferme volonté de nous réaliser : autrement dit, nous ne posséderons une personnalité que si, étant ce que nous sommes, nous prétendons devenir davantage, en liant nos ambitions à nos ressources actuelles. On parachève, on rectifie ses dispositions naturelles.

C’est ainsi qu’un artiste en jardins utilise la conformation du sol, la disposition des bouquets d’arbres, pour créer un parc ; ou qu’un sculpteur de pierres dures ou de camées tire parti des singularités de la matière à travailler pour exécuter son dessein.

Ainsi, acceptation de certains aspects de nous-mêmes, et ferme propos de construire, sur cette base, un nous-mêmes plus cohérent, plus puissant, plus complet.

5. Obstacles à vaincre.

Chacun de nous possède une personnalité à un degré plus ou moins élevé.

Mais comment se fait-il que si peu d’entre nous la développent ? c’est qu’un grand nombre d’obstacles doivent être vaincus ; pour les vaincre, il faut les connaître.

Ils se divisent en deux groupes : ceux qui empêchent le développement du jugement personnel et ceux qui entravent la libre expression de la personnalité.

Parmi les obstacles du premier groupe on rencontre : la paresse d’esprit, ou recherche du moindre effort intellectuel : la soumission instinctive aux opinions d’autrui, par manque d’esprit critique ou entraînement insuffisant du raisonnement et de la logique ; le manque d’observation, qui fait qu’on passe dans la vie sans regarder et sans écouter, sans réfléchir ni contrôler, bref, qu’on mène une existence presque aussi inconsciente et incomplète que les animaux.

De sorte que, au lieu de juger par soi-même, on accepte les jugements tout faits des autres ; et quand les circonstances vous obligent à livrer bataille, on se trouve désarmé par avance.

C’est alors qu’on ressent le besoin d’une personnalité capable de s’affirmer et de résister à l’orage, et qu’on regrette d’avoir laissé passer ses années de jeunesse sans consacrer au développement de soi-même une partie au moins du temps libre.

Les causes de l’insuffisance d’expression de la personnalité sont plus ou moins en relation avec celles qui viennent d’être énumérées.

À la paresse d’esprit correspond directement la paresse d’élocution ; moins on a de connaissances générales et d’idées, moins on a de sujets de conversation.

À ce même groupe d’obstacles appartiennent encore la timidité et la crainte, dont il a été parlé dans le chapitre précédent ; le manque de confiance en soi, faiblesse plus générale et plus profonde que la timidité, et qui fait que dans certains cas on se sent comme en dehors et à côté du reste de l’humanité ; l’amour de la solitude et un certain dégoût pour la société de ses semblables ou de ceux d’entre eux qui n’appartiennent pas à la même profession ou au même milieu, attitude qui est souvent ressentie par les autres comme une offense et suscite leur antipathie ; par suite, cet isolement s’accroît avec les années et l’usage de la parole se réduit au minimum indispensable à la vie quotidienne.

On peut ajouter certains facteurs spéciaux, comme le bégaiement des timides ; le trac, ou angoisse quand on doit parler ou chanter en public, le dégoût de toute activité dû à un échec aux examens ou à la perte de l’idéal par suite de circonstances exceptionnelles (guerre, épidémie, etc.).

L’effort à fournir consiste donc en l’écartement de deux sortes d’obstacles : l’ignorance ou l’illusion qui nous cache à nous-mêmes, l’apathie routinière qui nous persuade de rester ce que nous sommes.

Ce ne sont là d’ailleurs que les plus graves empêchements.

D’autres, moins décisifs à eux seuls, deviennent, en s’additionnant, des obstacles lourds à lever : pusillanimité, attachement aux préjugés, timidité.

6. Pusillanimité.

Des étudiants nous ont avoué de la façon suivante ce qui les retenait de se forger une personnalité :

1. ‘ je n’ose pas me montrer tel que je suis. Je me sens gêné par la personnalité des autres. je redoute leurs critiques.’

2. ‘ je n’ose pas affirmer mes droits.’

3. ‘ je crains de ne pas être à la hauteur de ma tâche.’

4. ‘ j’ai peur de la malchance.’

Apeurés devant autrui, devant l’entreprise, devant eux-mêmes, devant la vie, ces gens se vouent à une stagnation misérable. Pourtant, presque aucun individu n’est tellement démuni de qualités qu’il ait le droit de désespérer de lui-même.

Si, au lieu de s’obséder de ses faiblesses, il faisait confiance à soi et à son destin, non pour se croiser les bras, mais pour oser quelque initiative, certes il ne réussirait pas chaque fois, mais il n’échouerait pas non plus en toute circonstance. Les résultats qu’il obtiendrait ne sauraient manquer de l’encourager.

Que ferez-vous dès maintenant pour dissiper vos craintes ? et d’abord, précisez-les, indiquez-en par écrit tous les éléments, éliminez-en la part d’exagération personnelle, posez clairement le problème. Il faut d’avance prendre un parti.

Supposons qu’il s’agisse d’inquiétudes relatives à votre situation présente.

Quels sont les facteurs moraux, intellectuels, pratiques nécessaires à la stabilité de cette situation ? les possédez-vous ?

Sur quoi porteront vos efforts pour conserver la place que vous redoutez de perdre, ou pour valoir et vous faire valoir davantage ? —

En admettant, d’autre part, que les événements dépassent votre volonté et que la maison qui vous emploie soit dans l’impossibilité de vous garder, quels seront vos projets ? Comment envisagerez-vous la poursuite d’une autre situation ?

Notez, par écrit, quelles sont les occupations auxquelles vous êtes particulièrement apte. Notez les démarches successives que vous aurez à faire, prévoyez en cas d’échec les tentatives nouvelles qui s’imposeront. En somme, substituez un programme d’action à une inquiétude.

Il ne suffit pas de comprendre et de sentir la valeur de l’initiative. Passez à l’acte.

Votre vie est constituée de plusieurs formes d’activité. Vous suivez peut-être une routine, ou vous avez accepté des formules qui sont périmées.

En notant une à une vos diverses occupations, en y réfléchissant, à l’aide des cadres fournis par nos leçons VI et VII, il vous sera possible de prendre une initiative dans un domaine ou dans l’autre. L’initiative régénère le travail, lui ouvre des perspectives, améliore des conditions qui ont vieilli et qui ne sont peut-être pas adaptées à vos progrès ni aux événements. Trouvez une idée, approfondissez-la, traduisez-la par un plan de réalisation.

7. Éducation du jugement.

Les leçons précédentes vous ont enseigné comment on pense juste. Le moment est venu d’apprendre à bien vous juger vous-même, sans vous laisser décevoir par de faux raisonnements ni par des sophismes qui dénaturent la vérité.

Tout le monde est porté à se juger avec une certaine indulgence, à surestimer ses qualités, à sous-estimer ses défauts.

Évitez cette hypocrisie non seulement vis-à-vis de vous-même, mais aussi vis-à-vis des autres. Admettez franchement, si votre jugement sincère vous force à le reconnaître, que votre voisin est plus intelligent que vous, ou qu’il doit ses succès à son travail et à sa compétence, non uniquement à la ‘ chance’.

Donc, exercez et cultivez votre jugement. Dans ce but, commencez par des exercices d’observation élémentaires, semblables à ceux qui sont indiqués dans nos Leçons I et II.

La simple constatation d’un objet ou d’un événement est due à un jugement. La supériorité d’un homme ‘ du métier’ sur les autres consiste dans le nombre et la rapidité des jugements qu’il porte sur les choses et les actes de ce métier, et qui sont fondés sur les observations qu’il a faites et coordonnées au cours de son expérience.

Ne dites pas : j’observe ce qui m’intéresse, car vous ne savez jamais à quel moment vous pouvez avoir besoin d’une observation précise que vous avez négligée sous prétexte qu’elle ne vous intéressait pas. prendront de la précision et de la consistance ; elles serviront plus qu’on ne croit. Elles auront même pour effet de stimuler les différentes facultés.

Imposez-vous une petite série d’observations très humbles dans le cadre de vos sorties ou de vos occupations. Cette discipline quotidienne portera rapidement ses fruits.

Quand on connaît bien un domaine professionnel ou intellectuel, on possède sur un certain nombre de points des opinions personnelles ; posséder des opinions à soi dans un domaine ou dans plusieurs est nécessaire à quiconque veut former, ou réformer, sa personnalité.

Un bon exercice, ici, consiste à examiner de près des notions abstraites comme celles de bonté, de bien et de mal, de beauté, d’amitié et d’amour, et de chercher à vérifier par l’expérience le contenu de leur définition.

Même nos amusements et nos distractions peuvent servir à exercer notre jugement, à condition de noter les phases des émotions ressenties et leur réaction sur notre logique et notre raisonnement. Si par quelque côté ces distractions tiennent à notre métier, le gain intellectuel est plus grand encore.

Il s’agit avant tout de porter sur les choses et les êtres un jugement personnel, de se faire, comme on dit, ‘ une opinion’.

8. Les erreurs de jugement.

Nous avons parlé du « bovarysme », qui consiste à prendre de soi-même une idée fausse, et des dangers de cette attitude dans la connaissance des ressources dont on dispose pour se perfectionner. Mais on peut être aussi induit en erreur par le bovarysme des autres.

La tendance naturelle est de juger les gens d’après ce qu’ils expriment d’eux-mêmes, par la parole, par le geste, par leurs affirmations. Or il est relativement facile de découvrir la mauvaise foi de certains et ceux-ci ne sont pas les plus dangereux.

Il faut craindre ceux qui se font sincèrement illusion sur leur valeur, afin de ne leur accorder toute notre confiance que sous bénéfice d’inventaire. On évite ainsi une cause principale d’échec dans la vie : les erreurs de jugement sur les hommes.

Il suffit d’être prévenu du décalage qui existe entre la personne telle qu’elle est et telle qu’elle agit, pour éviter la plupart de nos mécomptes sur nos relations professionnelles ou privées. Et l’on sera ainsi à la fois plus circonspect et plus indulgent, on rendra même service à ceux dont l’attitude est trompeuse, sans être foncièrement déloyale.

Les opinions changent au cours de la vie sous l’influence des expériences nouvelles ; il importe donc que de temps en temps vous soumettiez les vôtres à un contrôle, de manière à voir quelles sont celles qui vous sont propres, et quelles sont celles que vous avez empruntées toutes faites à autrui.

Il ne faut d’ailleurs accepter les opinions d’autrui qu’après avoir vérifié leur probabilité ou leur justesse.

On ne doit rien rejeter de parti-pris ; mais on ne doit pas non plus subordonner sa propre personnalité à celle des autres dans le domaine intellectuel, le plus important de tous.

Être soi-même, c’est formuler des jugements établis sur des observations exactes et selon la logique, en sachant limiter l’influence du sentiment, dont il est impossible de faire entièrement abstraction dans la vie courante, quand on essaie d’évaluer des opinions.

9. Nécessité d’une instruction générale.

Ce qui précède se rapporte à des acquisitions qualitatives ; mais il convient aussi de s’assurer des acquisitions quantitatives, c’est-à-dire de faire porter nos émotions, nos sentiments et nos raisonnements sur le plus de choses possible.

Plus un homme observe et suit de choses, plus est grand le nombre des jugements qu’il peut formuler ; pour bien juger, il faut pouvoir comparer beaucoup de faits de la même catégorie et distinguer les catégories de faits connus d’autres qu’on veut définir aussi.

Soit un ingénieur qui a travaillé dans une même usine depuis dix ans. S’il ne s’est occupé que des choses de son métier, il est devenu incapable de porter des jugements sur d’autres catégories de faits, sur la littérature ou la peinture par exemple ; sa personnalité est donc rétrécie.

Et si les circonstances le changent de milieu, s’il se trouve, par exemple, sur le bateau allant du havre à new york, il se sentira négligé par tous ceux qui auront une personnalité plus complexe et mieux développée.

Trop de jeunes gens, quand ils ont passé leurs examens et trouvé une situation, oublient cette nécessité d’une culture générale en plus du métier ou de la profession, et ne se doutent pas qu’à vingt ou trente ans de là ils auront été dépassés par ceux qui vont continuer à se développer avec méthode.

Il ne s’agit pas d’acquérir des connaissances superficielles, comme celles que donnent la lecture des journaux ou des revues destinées au grand public, la visite d’expositions ou de musées. Ces lectures et ces visites ne doivent être regardées que comme des excitants intellectuels qui suscitent des impressions nouvelles et des idées neuves.

Non : ce que nous demandons à nos étudiants, c’est de consacrer un certain temps à des études sérieuses et suivies.

Celui qui s’intéresse à la peinture, qu’il lise avec soin les manuels l’histoire de l’art, les monographies consacrées à certaines écoles et à certains peintres ; qu’il prenne des notes, qu’il apprenne par cœur les noms et les dates.

Bref, qu’il se documente à fond de manière à pouvoir, non seulement profiter réellement des musées, des expositions, les voyages, des critiques, des conversations, mais aussi exercer méthodiquement ses sens et son jugement autrement que dans son métier et sa profession.

On peut d’ailleurs s’adonner ainsi, plus ou moins, à divers ensembles de recherches et d’études, à tels ou tels arts, à telles ou telles sciences.

Utile peut être dans beaucoup de cas un choix qui permette de raccorder ces autres domaines à celui de la profession : un ingénieur peut s’intéresser à la géologie et à la préhistoire ; un menuisier à l’histoire du meuble dans les diverses civilisations ; un mécanicien à l’histoire des découvertes et de leurs applications à la surface du globe.

Cette gymnastique mentale développe alors la capacité professionnelle et augmente la valeur de la personnalité non seulement générale, mais aussi spéciale.

Essayez par vous-même d’en dresser le plan, avant de trouver dans la prochaine leçon

(x) un plan, sans doute plus complet, que nous vous indiquerons. La comparaison de votre plan et du nôtre vous fera toucher du doigt ce qui vous manque pour avoir le sens d’une culture assez ‘ générale’.

10. Impression et expression.

Vous voulez acquérir une forte personnalité ? ne craignez pas de vous extérioriser, de vous manifester au dehors par l’action, par la parole, par l’écrit, surtout par l’action lorsqu’elle est possible.

Se développer, c’est se manifester hors de soi. Voyez comment, lors de la floraison, le bouton s’épanouit en fleur : pétales, étamines, pistil, toutes les œuvres vives étaient là, mais non explicitées, repliées sur elles-mêmes ; il faut qu’elles s’étalent en plein air, à la lumière pour que la fécondité se réalise et que le fruit se prépare.

La grâce discrète du bouton peut être un moment plein de charme, mais il est toujours funeste de prétendre éterniser une phase de la vie. L’avènement de l’âge adulte requiert l’épanouissement ; et garder à 30 ans la modeste réserve de l’adolescence, loin de valoir comme un mérite, n’est qu’arriération.

Ne vous figurez pas que votre personnalité se forme d’autant mieux que vous la concentrez davantage en vous-même. Ce n’est vrai que pour un temps très court. À se replier trop longtemps sur soi on se dessèche et s’appauvrit.

Ce qui nous extériorise, nous réalise. Autant vous recevez de l’extérieur par l’expérience de la vie, par la perception des choses, par le commerce avec les gens, autant il est naturel que vous rendiez au monde extérieur de votre énergie. S’il en était autrement, vous éprouveriez du malaise à vous sentir refoulé, contraint.

L’équilibre mental et moral est rompu lorsque l’expression est paralysée, comme c’est le cas surtout chez ceux qui préfèrent la solitude ou qui ont un tempérament craintif et timide.

Incapables de manifester au dehors leurs impressions et leurs jugements, ils sont dans un état de malaise dû à ce qu’on pourrait appeler une ‘ indigestion mentale’.

Appliquez donc cette saine règle psychologique :

Pas d’ impression sans expression, proportionnée, correspondante. Par impression nous entendons, d’une manière générale, les idées, les pensées, les fantaisies d’imagination et les sentiments que font naître le milieu, la nature, la vie sociale, les affaires, la lecture et les voyages. Par expression, nous désignons un essai, plus ou moins heureux, pour manifester extérieurement les pensées et les sentiments dont nous avons eu l’expérience intérieure.

Ainsi lorsque vous avez vu voler un aéroplane pour la première fois, vous avez reçu une impression nouvelle et forte et, lorsque vous l’avez racontée à vos amis, vous avez exprimé vos émotions de joie et d’étonnement.

11. Utilité sociale de l’expression.

Remarquez-le : en vous exprimant au dehors vous rendez possible la sociabilité : vous participez à la vie collective, pour le bénéfice commun des autres et de vous-même.

«ce qui n’est pas utile à la ruche, dit marc-aurèle, n’est pas non plus utile à l’abeille ».

Une personnalité n’est pas complète si elle ne communique pas avec les autres ; or, la vie sociale est faite, par définition, d’échanges continuels d’impressions et de pensées, ainsi que de leur comparaison. Grâce à ce contact intellectuel incessant, chacun s’enrichit de l’expérience de tous les autres, précise ses connaissances et affermit sa mémoire.

Il y a dans notre esprit des notions qui restent vagues ou défectueuses jusqu’au moment où nous les exprimons.

Vous pouvez avoir esquissé mentalement le projet, par exemple, d’une meilleure organisation de vos affaires et en être enthousiasmé ; pourtant, lorsque vous l’expliquez à un de vos amis, il ne vous paraît plus avoir toute la valeur que vous lui attribuiez ; et votre auditeur peut même le détruire tout entier d’un seul coup en vous opposant une objection définitive dont vous êtes surpris de ne pas avoir eu l’idée vous-même.

La forme sociale de l’expression est ce qu’on nomme la conversation. Celle-ci est soumise à quelques règles que nous exposerons plus loin.

12. L’expression active de la personnalité.

S’exprimer, c’est avant tout agir. Vous vous exprimez en prenant une décision qui engage votre vie, en briguant un poste dans quelque administration ou en achetant un fonds de commerce. Vous vous exprimez en louant un appartement dans tel ou tel quartier, en vous fournissant dans tel ou tel magasin.

Les tâches auxquelles nous nous adonnons, la façon dont nous nous en acquittons :

Voilà au premier chef les expressions de nous-mêmes.

Notre conduite à l’égard d’autrui, voilà un autre mode d’expression. Ne croyez pas que nous puissions, étant ce que nous sommes, agissant comme nous agissons, avoir telle ou telle personnalité : les fruits montrent la nature de l’arbre.

Bien plus : nos actes réagissent sur la personnalité dont ils sont issus, soit qu’ils la confirment, soit qu’ils la transforment peu à peu. S’il y a des paroles indifférentes, il n’y a pas d’action sans portée.

Ainsi, avoir de la personnalité n’est pas seulement avoir des opinions personnelles, c’est aussi les mettre en action.

La personnalité qui ne se traduit pas en actes, qui ne s’exprime pas, qui reste muette, ne peut pas se développer. Au contraire, elle s’atrophie.

L’action extérieure, de même qu’elle assouplit nos membres, donne de l’exercice à nos capacités d’observation, d’adaptation, d’initiative, de décision, tout ce qui accroît notre intelligence.

13. L’expression verbale.

Un autre mode d’expression, c’est la parole. Celui-là, nous ne risquons guère de le méconnaître. Bien plutôt nous risquerions de croire que la parole a la valeur d’un acte, et que si l’on a discuté, péroré, les questions abordées sont par là même résolues.

Or, rien n’est fait tant que les initiatives n’ont pas été prises, ou le travail effectué.

Voilà pourquoi la plus vraie expression de soi-même consiste à agir, non à parler.

N’empêche que la parole a de l’importance, et que ceux qui, faute d’entraînement ou par timidité, s’y rendent inaptes, se privent d’un moyen très efficace de développement personnel.

Elle ne consiste pas seulement à nous mettre en communication avec le monde, et à donner des ordres. Elle traduit hors de nous notre propre pensée : quand nous l’entendons, pour l’avoir formulée et articulée en mots, nous apercevons mieux ses éléments.

Quand j’écoute la phrase que je prononce, c’est presque une autre personne qui juge ; les défauts de ma pensée m’apparaissent mieux. Le besoin de parler me contraint à isoler, à ordonner mes idées ; je découvre en moi des pensées que je ne soupçonnais pas, et j’avise aux moyens de raisonner plus juste.

Laissez dire au poète, au psychologue, que notre pensée perd beaucoup de sa sincérité, de sa vérité spontanée en se coulant de la sorte dans les moules logiques et grammaticaux.

Mérite éminent d’une pensée devenue, par l’expression verbale, plus précise et plus juste.

À exprimer en paroles notre pensée, nous tirons encore un autre avantage de grande valeur : nous satisfaisons de la sorte à un besoin d’expansion que ressent tout être humain. C’est sur le langage que reposent en grande partie les relations sociales.

Tant pis si quelque chose d’incommunicable demeure dans nos sentiments, et si ‘ le meilleur de nous reste en nous-mêmes’.

L’essentiel est qu’un certain commerce s’établisse entre les esprits : c’est la condition non seulement de la civilisation, mais de toute vie sentimentale.

Quand l’individu ne peut trouver en autrui un confident qui le comprend et par là même le réconforte, sa sensibilité fermente et s’altère, l’équilibre de ses facultés se rompt, et de graves déviations peuvent s’ensuivre.

Même si la ‘ folie’ proprement dite est évitée, la vie intérieure se rétrécit, les raisons de vivre se réduisant, l’activité féconde cède la place à un stérile égoïsme. Non seulement on souffre, mais on se diminue.

14. Conversation.

En conversant avec les gens, nous nous assurons un double avantage : voir plus clair en nos propres idées, nous enrichir des idées qu’on nous apporte. Voilà un des grands moyens de pousser plus avant la formation de notre personnalité, car nous nous réalisons en nous affrontant à autrui.

Mais que direz-vous à vos interlocuteurs ? tout le monde est d’accord que le but de la conversation est d’échanger des opinions ayant une valeur réelle de réflexion ou d’expérience.

Cependant, il ne faut rien exagérer : ceux qui répugnent trop à dire des banalités sous le prétexte qu’elles sont vides de sens risquent d’être méprisants, maladroits et de cultiver l’insociabilité.

Sans recommander en aucune façon le bavardage insignifiant, nous engageons très vivement nos étudiants à mettre beaucoup de bonne grâce dans les formules de convenance et dans les propos aisés.

Il faut être sociable, et même affable, tant pour obtenir des résultats dans sa profession que pour développer sa personnalité.

Si vous vous éprouvez contraint dans l’expression de ces mille riens qui peuvent avoir leur charme — et qui ont leur nécessité en ce qu’ils établissent un « liant » entre les partenaires — vous serez bloqué en vous-même comme un anxieux et comme un timide.

Pensez bien aussi que des sujets plus légers sont la préparation d’une conversation plus sérieuse. Vous devez, pour ainsi dire, tâter le pouls des gens pour deviner leur capacité d’émotion et de sympathie.

En paraissant badiner, une personne experte à recevoir s’informe sur ce qui intéresse chacun et cherche par exemple, pendant le dîner, comment amorcer les entretiens plus substantiels qui s’engageront, par petits groupes, dans le salon.

Ce qu’il faut éviter, c’est de rester dans l’insignifiance et de se plaire aux « potins », aux « cancans ». Si vous êtes sans indulgence pour autrui, soyez sûr qu’on vous traitera sans ménagement dès que vous serez sorti.

N’évitez pas seulement les futilités : abstenez-vous de discussions non disciplinées, abordées dans un esprit de chicane, susceptibles de dégénérer en disputes. Laissez les controverses orageuses aux réunions publiques.

Donnez-vous pour règle de n’aborder que des sujets pouvant intéresser les interlocuteurs, sans déchaîner des passions violentes.

Est-ce à dire que les questions de religion ou de politique doivent être absolument exclues ?

Oui, si vous manquez de la possession de vous-même, ou si quelque partenaire en manque.

Non, certes, si ces débats peuvent se dérouler dans la courtoisie et dans un intérêt sympathique pour la vérité.

Ayez aussi le tact de ne pas ennuyer autrui des questions professionnelles qui vous obsèdent, mais qu’il serait malséant d’imposer à l’attention de vos partenaires.

De quoi convient-il de s’entretenir ? de sujets qui aient chance d’agréer à vos interlocuteurs ; et de sujets relatifs à des questions générales, désintéressées, susceptibles de contribuer à la culture de chacun : théâtre, musique, littérature, expositions d’art, observations de mœurs, expériences personnelles de valeur, éducation, voyages, etc.

Ne parlez ni trop, ni trop peu. Laissez parler, si vous voulez, à d’autres moments, que l’on vous écoute. quand vous ne parlez point, au lieu de vous replier sur vous-même, observez votre interlocuteur et envisagez dans quels sens vous allez orienter l’échange des propos.

Pour que la conversation soit agréable et utile, il convient de fréquenter des personnes avec lesquelles on possède en commun un certain nombre de sentiments et d’opinions.

Mais ceci ne suffit pas ; chacun a tout avantage à fréquenter aussi des personnes d’un autre milieu, ou d’une autre profession, afin d’acquérir des connaissances plus étendues en les faisant parler de ce qui fait l’occupation principale de leur vie.

En règle générale, nous recommandons à nos étudiants de rechercher surtout la conversation de personnes plus instruites qu’eux dans une ou plusieurs directions.

Il ne faut pas craindre, quand on ne sait pas, de montrer son ignorance, et de demander des explications à ceux qui en savent plus long que vous. Pas de fausse honte !

Chacun ne peut tout savoir ; mais chacun peut aspirer à savoir le plus possible, et à pouvoir employer les termes techniques en sachant exactement ce qu’ils signifient.

Nous ne vous recommanderons jamais trop la poursuite de la précision, et aussi de la concision, dans le discours.

Le dressage de la personnalité consiste, en ce qui concerne les relations d’affaires et mondaines, à acquérir ces deux qualités. Un homme bien trempé sait ce qu’il veut dire, et comment le dire.

15. Pour parler en public.

Plus difficile est, à qui n’en a pas l’habitude, la technique de la parole en public. Il s’agit ici, non seulement de vaincre cette forme spéciale de timidité qui se nomme le trac, mais aussi de se dédoubler en deux personnalités : celle qui parle, et celle qui observe.

Il importe, en effet, que l’orateur puisse distinguer dans l’assistance les personnes qui lui sont favorables ou hostiles, celles qui écoutent et celles qui causent de choses indifférentes, celles qui sont sérieuses et celles qui font du “chahut”.

Il doit de plus, après avoir préparé avec soin son discours, être prêt à répondre aux interruptions ou aux objections, garder l’esprit d’à propos, résumer brusquement quand il voit qu’il ennuie, développer quand il voit qu’il intéresse, employer tour à tour des arguments logiques et des arguments sentimentaux.

Quand on parle en public, on sent immédiatement les oscillations de l’intérêt chez ceux qui écoutent. Le changement de ton, l’usage du geste approprié, l’enthousiasme dans l’expression, l’emploi de questions qui suscitent la curiosité ou préparent les esprits aux notions nouvelles, tels sont quelques-uns des moyens pour soutenir, éveiller les attentions défaillantes, pour rendre vivant son discours.

Suivre les réactions de l’auditoire est de règle. C’est pourquoi un bon orateur ne doit jamais lire ou réciter. des notes claires et bien organisées serviront de base à l’improvisation.

Une personnalité forte et bien dressée parle en public sans aucune difficulté et opère à volonté ce dédoublement dont nous venons de parler. Il ne s’agit ici nullement d’un don spécial ; n’importe qui, en faisant des exercices préalables de lecture à haute voix et en s’identifiant au sujet traité, peut arriver à parler en public clairement et de manière à intéresser toute l’assistance.

Il faut évidemment que celle-ci sente chez l’orateur la connaissance approfondie de ce dont il parle, la sincérité, le désir de convaincre.

Comme en tout, un certain apprentissage est indispensable ; mais cet apprentissage n’est ni long, ni difficile. C’est ce qui ressort d’une lettre que nous a adressée un de nos Étudiants, âgé de 30 ans, qui s’était vu dans l’obligation de parler en public sans y être suffisamment préparé :

“votre lettre a complété l’enseignement de vos cours. Elle a révélé des points de ma personnalité que j’ignorais presque complètement. Elle a accru ma force de volonté et soulevé mon esprit.

Grâce à vos indications, j’ai pu vaincre ma timidité et réussir à m’imposer à une foule.

J’avais autrefois des difficultés à parler en public et à chaque occasion j’étais obligé de lire mon sujet.

Il y a quelques jours, j’assistais à une réunion d’anciens combattants. On discutait s’il y avait possibilité de créer une coopérative de consommation. à ce moment, je n étais pas préparé à parler.

Néanmoins, en faisant un effort de volonté, j’ai brisé tous les liens qui me liaient à mon ancien caractère, et je demandai la parole. Les mots vinrent pour ainsi dire tout seuls et mes dernières phrases furent couronnées d’un vrai succès.

Je fus invité à parler la semaine après, ce que je fis sans difficultés. Je fus ensuite chargé de présenter un projet complet sur les coopératives et à rédiger les statuts. les journaux aussi m’ont fait des éloges très encourageants.”

Il a donc suffi à cet étudiant d’un peu de méthode et de courage pour acquérir un moyen nouveau d’expression de sa personnalité et pour rendre ainsi service à ses camarades de combat.

16. L’expression écrite.

Une autre forme d’expression souveraine pour clarifier les idées, et toujours à notre disposition, consiste à écrire ce que nous pensons.

S’il est vrai qu’on ne parle pas exactement comme on pense, il est encore plus exact qu’on n’écrit pas tout à fait comme on parle. Or, rien de plus salutaire que la discipline à laquelle il se faut soumettre pour écrire — à plus forte raison si l’on veut bien écrire.

C’est alors qu’on mesure ce qu’on sait, et ce qu’on ignore.

Quelqu’un a dit : « quand je ne sais rien sur un sujet, j’écris un livre ». Il se peut que cette phrase soit un trait acéré lancé contre un certain type d’écrivain, mais cette épigramme renferme une réelle vérité.

L’auteur voulait dire qu’écrire un livre sur un sujet est le meilleur moyen d’apprendre tout ce qui s’y rapporte ; l’art de poser les questions et d’exprimer ses idées par écrit en est un des principaux bénéfices.

On ne peut douter qu’écrire ses opinions ne soit un admirable exercice pour la pensée, non seulement parce qu’il rend nos idées plus claires, mais parce qu’il favorise toutes les associations qui tendent à modifier ou à renforcer nos croyances.

Au lieu de concepts isolés, nous obtenons un système d’idées mieux ordonné ; nous avons moins de préjugés, parce que nous apercevons plusieurs aspects de la question ; nous jugeons de ce qu’on nous propose avec plus de rectitude, parce que nous en distinguons les divers rapports avec les autres choses.

17. Faites par écrit la critique de ce que vous lisez.

La meilleure manière de pratiquer l’expression écrite est la critique des livres que vous lisez, sous forme de jugements personnels énoncés avec ordre. Lire sans juger, c’est perdre son temps.

Trop de gens dévorent des volumes sans rien retenir, parce qu’ils ont promené leurs yeux sur le papier sans mettre en action leur esprit. Mais si l’on se donne pour règle d’avoir, en lisant, le crayon à la main, il en va tout autrement.

Si nous nous astreignons à écrire, si brièvement que ce soit, ce que nous pensons d’un livre, nous comprenons à quel point nos idées peuvent être nébuleuses. En outre, l’exposé écrit d’une opinion, sa discussion sur le papier fortifient la réflexion et assurent le jugement.

Pour mener à bien ce travail, qui ne doit pas apparaître comme un pensum, mais comme un plaisir, quelques préceptes ne seront pas hors de propos :

1° cherchez à travers la lettre l’esprit ; vous avez perdu votre temps si vous ne voyez pas clairement, après lecture d’un ouvrage, l’idée abstraite qui l’a inspiré tout entier ; 2 ° comprendre, c’est atteindre cette idée. Vous n’y parviendrez qu’en rapprochant les connaissances nouvelles que vous apporte le livre de celles que vous possédiez déjà.

Faites appel à votre mémoire, consultez votre propre expérience ;

3 ° critiquer, c’est apprécier si l’idée abstraite qui devait être essentielle régit bien la totalité de l’œuvre. Un livre est mal fait s’il est incohérent, ou s’il n’établit rien ; 4 ° critiquer, c’est aussi apprécier la justesse de l’idée en question. efforcez-vous à l’impartialité dans ce jugement ; on n’est que trop porté à statuer selon ses préjugés.

Vous exécuteriez un excellent et intéressant article, si vous mettiez à l’essai ces règles à propos d’un roman célèbre. Soit eugénie grandet, de balzac. poursuivez dans le détail une analyse du même genre.

Quand, par exemple, arrive une description, au lieu de passer d’un œil distrait, cherchez en quoi elle contribue au plan de l’ouvrage, comment elle est exécutée, etc…

Croyez bien que vous progresserez, si vous redevenez assez enfant pour vous poser à vous-même, maintes fois par jour, ces questions : Pourquoi ? et Comment ?

Rompu à cet effort sur un document littéraire, vous n’aurez qu’à suivre la même méthode pour comprendre assez facilement quoi que ce soit : une construction d’architecture, un problème de science, un événement d’histoire.

Ces indications générales suffisent pour le moment ; nous reviendrons sur ce sujet dans la Leçon X et donnerons alors des conseils plus détaillés.

18. Guérison de la timidité.

Le principal obstacle à l’expression sous ses différentes formes, mais surtout sous la forme verbale, c’est la timidité. Elle nous enferme en nous-mêmes, anxieusement, et nous fait perdre plus ou moins de nos moyens. Elle entrave aussi, de façon grave, notre développement.

Mettez à profit quelques remèdes efficaces.

Un premier remède consiste à faire des exercices physiques modérés, à assouplir ses muscles, au besoin à prendre des leçons de maintien et de danse.

Beaucoup de personnes sont timides simplement parce que le jeu de leurs muscles n’est pas assez coordonné, ni assez souple, qu’elles ne savent pas s’asseoir avec aisance, se lever comme il faut, sont embarrassées de leurs pieds et de leurs mains, ignorent comment saluer, comment traverser un salon plein de monde, etc…

Ici, c’est la sensation vague d’un malaise physique qui réagit sur l’attitude mentale.

Aussi est-il rare que des sportifs soient timides dans le monde.

Il se produit aussi le phénomène inverse : c’est la crainte mentale, l’embarras, l’indécision, qui rendent le corps malhabile, embarrassent les gestes et le maintien, troublent le regard.

Celui qui vous reçoit en éprouve automatiquement une impression de maîtrise ; et plus il sent qu’il vous domine, plus votre propre timidité augmente. Les remèdes sont, dans ce cas, intellectuels et fondés surtout sur le raisonnement.

D’abord, supposez que votre interlocuteur soit aussi timide que vous ; par choc en retour, vous regagnez de l’assurance. Puis, détournez votre attention de vous-même sur lui ou sur des objets indifférents ; comptez, par exemple, les chaises ou les tableaux ; observez surtout votre interlocuteur et voyez s’il n’y a pas en lui ou sur lui quelque défaut sans importance, cravate de travers, ongles cassés, léger bégaiement, embarras ou indécision, etc…

Le résultat est de repousser dans le subconscient votre timidité, qui cesse d’avoir un objet sur lequel se fixer, et de vous assurer une supériorité, imaginaire peut-être, mais qui suffit à rétablir l’équilibre sentimental et intellectuel rompu.

Chacun de nous est supérieur au voisin par quelque chose : adresse manuelle spéciale, connaissances scientifiques, relations mondaines, appuis politiques, etc…

Il faut donc, quand on est embarrassé, mettre cet avantage en avant, dans son esprit, et se dire : ‘ après tout, comme homme, je te vaux bien ; pourquoi donc aurais-je peur de toi ?’.

Mais nous ne vous proposons de semblables procédés que pour ‘ commencer’. Plus tard vous ne chercherez plus à critiquer votre prochain : vous ne penserez qu’à bien traiter le sujet qui vous intéresse.

Vous pourrez toujours utiliser, en outre, l’arme la plus efficace contre la timidité : l’autosuggestion directe et affirmative, dont nous avons expliqué le mécanisme et l’usage dans notre quatrième Leçon. Il faut se dire soir et matin : ‘ Je suis courageux !’

Et s’efforcer d’agir comme si on l’était au cours de la journée.

19. La timidité et l’extériorisation.

Puisque le timide a tendance à s’examiner constamment pendant qu’il parle, écoute, agit ; puisqu’il résulte de cette intériorisation qu’il parle mal, écoute mal et agit mal, il faut en chercher le remède dans une extériorisation. Nous vous avons déjà recommandé d’observer les hommes et les choses.

Vous éviterez aussi tout ce qui favorise un retour sur soi au moment de l’action ; gardez-vous, par exemple, d’apprendre par cœur le texte d’une conversation ou d’un discours.

Parlez pour votre interlocuteur, variez selon ses réactions le ton et la forme, intéressez-vous à lui, oubliez-vous pour vous plonger dans votre sujet. Inversement, si c’est vous qui écoutez un autre parler, suivez-le avec sympathie, soyez présent à la conversation, ce n’est pas le moment de ruminer une gaffe passée ou quelque autre souvenir.

20. L’imitation des grands hommes.

L’un des avantages inappréciables d’une culture étendue, c’est qu’elle agrandit notre expérience et nous introduit dans la familiarité des plus grands spécimens d’humanité.

Tel qui n’a que des amis médiocres, peut se créer une ambiance tonique, stimulante, exaltante, s’il sait se nourrir des plus substantielles pensées, s’éclairer à la lumière des expériences les plus documentaires.

Il a été dit que chaque personnalité possède un rythme interne qui s’extériorise dans les gestes, dans les phrases écrites ou parlées. Ce rythme est surtout visible chez les individus qui, par l’importance de leur œuvre, ont mérité d’être appelés de « grands hommes ».

Nous laissons ici de côté ceux qui se sont distingués par la force physique, ou par leur héroïsme sur les champs de bataille, ou par leur habileté politique, pour ne considérer que ceux qui ont accompli une grande œuvre intellectuelle.

On constate en premier lieu, si on lit leur biographie, que leur qualité fondamentale a été la patience et la ténacité. On s’imagine à tort que le ‘ génie’ est une sorte d’éclair, qui illumine tout à coup n’importe qui.

Plus on étudie les documents sur la vie des grands hommes, par exemple, dans des directions très différentes, sur Newton et Pasteur, Descartes et Spinoza, Goethe et

Ibsen, molière et hugo, michel-ange et rembrandt, beethoven et wagner, et une cinquantaine d’autres encore, mieux on aperçoit que tous leurs efforts, poursuivis pendant des dizaines d’années, ont eu pour but essentiel de dégager le rythme profond qui était typique de leur personnalité et d’exprimer ce rythme intégralement, par des lignes, des couleurs, des formes, des sons ou des mots.

Devenir un ‘ grand homme’ n’est pas donné à chacun de nous, sans doute. Mais nous pouvons tendre à nous rapprocher le plus possible des grands hommes en étudiant leur vie et en analysant les méthodes et les procédés qu’ils ont employés pour arriver à ce niveau supérieur qui leur assure une gloire universelle.

Tout aussi utile, d’un point de vue plus pratique, est l’étude de la vie des grands inventeurs, des grands banquiers, des grands ‘ hommes d’affaires’, des grands industriels et en général de tous les grands chefs d’entreprise.

Partout on constatera, comme chez les peintres, sculpteurs, écrivains et savants, une personnalité marquée, appuyée sur une parfaite connaissance de soi et une persévérance consciente.

Carnegie et Ford n’ont pas réussi grâce à un ‘ éclair de génie’ ou à un ‘ coup de chance’, mais parce qu’ils ont su discerner de quoi ils étaient capables, exécuter ce qu’ils jugeaient faisable, et laisser de côté ce qui dépassait leurs forces ou les détournait de leur but.

Un fait remarquable est que beaucoup de grands hommes ont été des enfants et des élèves attentifs, très modestes et très imitateurs ; ils se sont maintenus volontairement à l’école des autres pendant de longues années ; ils se sont longtemps considérés comme inférieurs à ceux qu’ils admiraient ; ils ont d’abord imité les manières et le style, adopté les méthodes de leurs prédécesseurs et de leurs professeurs.

C’est en accumulant ainsi les expériences d’autrui, en refaisant tout ce qui avait été fait avant eux, qu’ils ont dégagé peu à peu leur personnalité et qu’ils sont devenus des maîtres à leur tour en ajoutant du nouveau à ce qu’on savait et faisait déjà.

Les jeunes gens qui s’imaginent, entre 20 et 30 ans, capables d’une personnalité autonome se trompent ; cette erreur leur coûte cher vers quarante ans, moment où chez ceux qui ont continué à assimiler et à travailler se manifeste enfin une vraie personnalité, réellement forte et durable.

21. Patience et méthode.

Rien ne tient qui a été construit avec hâte ; édifier sa propre personnalité ne se fait ni en quelques jours, ni en quelques semaines ; c’est une œuvre de longue haleine.

Dites-vous bien qu’il faut autant de temps pour devenir un maître dans la pensée ou dans un art, dans l’industrie ou dans une science, qu’il en faut pour devenir un mécanicien, un ébéniste, un dessinateur industriel parfaits.

Là aussi, un apprentissage est nécessaire, et un entraînement continuel ; là aussi, il faut connaître à fond les formes et la place exacte de chaque pièce, l’ordre selon lequel on doit les agencer.

On pourrait, en effet, comparer la formation d’une personnalité au montage d’une machine délicate et pourtant puissante.

On établit d’abord, et on finit avec soin, toutes les pièces nécessaires ; puis on construit le bâti et le socle ; on procède à un assemblage provisoire et on loge les axes, afin que tout l’ensemble des pièces puisse être relié ; ensuite viennent le réglage et une première mise au point ; on fignole alors les détails ; enfin on complète les résultats par l’étude qui assure le fonctionnement définitif de la machine.

Toutes ces opérations sont délicates, et l’achèvement de l’œuvre entreprise exige autant de patience que de sang-froid.

C’est de la même manière que l’on construit — ou reconstruit — sa personnalité. On assemble les pièces nommées impressions, perceptions, jugements, opinions, selon un plan général, qui est le but qu’on s’est proposé d’atteindre.

Dès les premières semaines, parfois dès les premiers jours, on constate les avantages de cet assemblage systématique, qui se manifestent dans la vie familiale et professionnelle sous forme de résultats pratiques.

On acquiert du calme, de la maîtrise de soi ; on redoute moins les événements imprévus, on ne fuit pas les nouvelles relations, on comprend mieux les ordres qu’on reçoit, on combine mieux aussi les ordres qu’on donne.

Le progrès n’est pas toujours uniforme.

Pour reprendre notre image de tout à l’heure, l’ajustement d’une pièce délicate exige plus de temps et de soins que celui d’une grosse pièce ; il en va de même psychiquement, et l’on éprouve parfois des difficultés à remplacer, par exemple, la timidité par le courage ; il faut des études continues pour acquérir la rapidité et la sûreté du jugement.

On peut aussi commettre des erreurs d’appréciation, se tromper sur la situation relative de deux ou de plusieurs rouages.

Mais rien ne résiste à la patience et à la méthode. Si l’on a pris fermement en main ces deux armes, le progrès est non seulement certain, mais aussi rapide.

On devient un autre homme, et l’on donne à ses semblables la sensation qu’on n’est plus un être quelconque et amorphe, mais un individu fort et sûr de lui, parce qu’il sait ce qu’il veut.

Voici ce que nous écrivait l’un de nos étudiants, après avoir terminé notre cours :

« j’ai acquis plus d’indépendance vis-à-vis de moi-même et plus de maîtrise dans les gestes et les pensées, plus de tolérance à l’égard d’autrui, mais aussi plus d’assurance et de fermeté. Je suis allé rendre visite à des amis que j’avais délaissés pendant l’étude de votre Cours ; ils me trouvèrent complètement changé, car je les avais quittés dans un état d’abattement et de grande dépression. Une dame, dont l’intention n’était pas de me flatter, dit : Il fait vraiment plaisir à voir ».

On lui demanda, et il indiqua, la cause de cette métamorphose : grâce au cours Pelman il avait reconstitué sa personnalité, et de là lui venaient cette assurance et cette fermeté dont il avait pleine conscience, et que tous remarquaient en lui. »

Réfléchissez-y bien. Patience, persévérance, méthode, cela suppose un plan d’action.

Quel sera le vôtre ?

Tracez-en d’abord les lignes générales, établissez entre elles un ordre d’importance.

Considérez ensuite chaque direction à part, sans perdre de vue l’ensemble.

Le but particulier que vous allez vous assigner doit comporter des étapes ; marquez-les sur votre cahier de méditations ; notez aussi la série progressive d’exercices, d’efforts, de résolutions que comportent la première étape, puis la seconde…

Tous les soirs, avant de vous coucher, recueillez-vous ; mesurez le chemin parcouru et précisez le chemin à parcourir le lendemain.

Sans cette orientation préalable, vos efforts seront précaires ; grâce à elle ils seront aisés et vous aurez tout de suite des résultats satisfaisants, si vous savez ce que vous voulez.

22. L’atmosphère du succès.

À mesure que l’instruction augmente, que l’intelligence s’affine, que la personnalité s’affermit, l’individu ressent une sorte de joie intérieure, un enthousiasme calme et profond qui sont d’autant plus grands que le chemin parcouru a été plus long et plus pénible.

Cet accroissement de force intérieure se traduit nécessairement, comme d’après une loi mécanique, par des succès matériels, par la réussite dans les petites choses comme dans les grandes.

Les échecs et les insuccès ne sont jamais dûs à une prétendue « malchance », mais seulement à ce que certains éléments ont été négligés lors de l’organisation du plan d’action. Ceux-là seuls réussissent qui ont tenu compte de tous les éléments et qui ont su équilibrer en eux le sentiment, l’intelligence et la volonté. Or, comme le dit la sagesse des nations, « un succès en entraîne un autre », de même que « l’eau va à la rivière » ; les propositions lucratives viennent d’elles-mêmes au grand homme d’affaires.

Dans chaque profession, dans chaque entreprise, il faut créer cette atmosphère de succès qui ne s’obtient pas seulement par un optimisme facile, mais par le sang-froid, la ténacité et la confiance en soi fondée sur la conscience des progrès qu’on a faits sans cesse dans le cours de sa vie.

Comme le disait la dame au pelmaniste que nous avons cité ci-dessus, « on fait plaisir à voir », et on exerce sur son entourage et ses subordonnés une influence et une autorité naturelles.

PAS DE DÉFAILLANCES !

Le véritable gage du succès, c’est une personnalité bien équilibrée, riche et sincèrement « humaine ».

10 Comment organiser la vie mentale
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