P 395 : « L’idée de « personne » introduit un élément de stabilité. Tout argument sur la personne fait état de cette stabilité : on la présume, en interprétant l’acte en fonction de la personne, on déplore que cette stabilité n’ait pas été respectée, quand on adresse à quelqu’un le reproche d’incohérence ou de changement injustifié. Un grand nombre d’argumentations tendent à prouver que la personne n’a pas changé, que le changement est apparent, que ce sont les circonstances qui ont changé, etc.
P 396 : « Toutefois, la stabilité de la personne n’est jamais complètement assurée : des techniques linguistiques contribueront à accentuer l’impression de permanence ; la plus importante est l’usage du nom propre. La désignation de la personne par certains traits (votre avare de père), l’hypostase de certains sentiments (celle dont la fureur poursuivit votre enfance), peuvent également y concourir. La qualification, l’épithète (ce héros, Charlemagne à la barbe fleurie) visent à rendre immuable certains caractères, dont la stabilité renforce celle du personnage. C’est grâce à cette stabilité qu’un mérite acquis, ou que l’on va acquérir, peut être attribué à quelqu’un d’une façon intemporelle. »
P 397-398 : « Dans l’argumentation, la personne, considérée comme support d’une série de qualités, l’auteur d’une série d’actes et de jugements, l’objet d’une série d’appréciations, est un être durable autour duquel se groupe toute une série de phénomènes auxquels il donne cohésion et signification. Mais, comme sujet libre, la personne possède cette spontanéité, ce pouvoir de changer et de se transformer, cette possibilité d’être persuadée et de résister à la persuasion, qui font de l’homme un objet d’étude sui generis et, des sciences humaines, des disciplines qui ne peuvent se contenter de copier fidèlement la méthodologie des sciences naturelles. »
Interaction de l’acte et de la personne
P 400-401 : « Par acte, nous entendons tout ce qui peut être considéré comme émanation de la personne, que ce soient des actions, des modes d’expression, des réactions émotives, des tics involontaires, ou des jugements. Ce dernier point est, pour notre propos, essentiel. En effet, en accordant une certaine valeur à un jugement, on porte par là même une appréciation sur son auteur. »
P 401-402 : « Il est rare que la réaction de l’acte sur la personne se limite à une valorisation ou à une dévalorisation de cette dernière. Le plus souvent la personne sert, pour ainsi dire, de relais permettant de passer des actes connus aux actes inconnus, de la connaissance d’actes passés à la prévision d’actes futurs. »
P 403 : « Souvent l’idée que l’on se fait de la personne, au lieu de constituer un aboutissement, est plutôt le point de départ de l’argumentation et sert, soit à prévoir certains actes inconnus, soit à interpréter d’une certaine façon les actes connus, soit à transférer sur les actes le jugement porté sur l’agent. Une caricature de ce dernier procédé nous est tracée par La Bruyère :
… certaines femmes qui ne juraient que par vous et sur votre parole, qui disaient : « Cela est délicieux ; qu’a-t-il dit ? »
P 405-406 : « Lorsque l’on passe de la connaissance de ses actes antérieurs à des considérations sur ses actes futurs, le rôle de la personne est important, mais elle n’intervient que comme un chaînon privilégié dans l’ensemble des faits que l’on invoque. Par contre, dès qu’intervient l’appel à l’intention, on met l’accent essentiellement sur la personne et son caractère permanent. L’intention est, en effet, liée à l’agent, en est l’émanation, résulte de son vouloir, de ce qui le caractérise intimement. L’intention d’autrui n’étant pas connue directement, on ne peut la présumer que par ce que l’on sait de la personne dans ce qu’elle a de durable. Parfois l’intention est révélée grâce à des actes répétés et concordants, mais il est des cas où seule l’idée que l’on a de l’agent permet de la déterminer. Le même acte, accompli par quelqu’un d’autre, sera considéré comme différent et autrement apprécié, parce qu’on le croira accompli dans une intention différente. Le recours à l’intention constituera alors le nœud de l’argumentation et subordonnera l’acte à l’agent, dont l’intention permettra de comprendre et d’apprécier l’acte. »
P 407 : « La recherche de la véritable intention est un des problèmes centraux du théâtre contemporain. Parfois le personnage tâtonne, les partenaires l’éclairent peu à peu sur la signification de ses actes.
[…]
C’est l’ambiguïté des comportements humains, quand on les interprète en fonction de l’intention, qui marque un des points essentiels par lesquels toute science de l’homme diffère profondément des sciences naturelles. De là, d’ailleurs, l’effort des behavioristes pour éliminer ce facteur d’incertitude et de subjectivisme, mais au prix de quelle déformation de l’objet même que l’on étudie ? La psychanalyse a préféré courir le risque d’erreur plutôt que de renoncer à l’étude de l’homme complet.
L’argument d’autorité
P 411 : « L’argument d’autorité est le mode de raisonnement rhétorique qui fut le plus vivement attaqué parce que, dans les milieux hostiles à la libre recherche scientifique, il fut le plus largement utilisé et cela d’une manière abusive, péremptoire, c’est-à-dire en lui accordant une valeur contraignante, comme si les autorités invoquées avaient été infaillibles. »
P 413 : « Souvent on semble attaquer l’argument d’autorité, alors que c’est l’autorité invoquée qui est mise en question. Le même Pascal qui se moque de l’argument d’autorité, quand il s’agit de l’autorité des « gens de condition », n’hésite pas à invoquer celle de saint Augustin ; Calvin récuse celle de l’Église, mais admet celle des prophètes. »
P 416 : « Un cas curieux est celui oh l’argument d’autorité accorde une valeur argumentative indéniable à des affirmations qui font état d’une ignorance ou d’une incompréhension. Quand le maître dit à son élève : « je ne comprends pas ce que vous dites », cela signifie d’habitude « vous vous êtes mal exprimé », ou « vos idées ne sont pas très claires sur ce point ». La feinte incompétence, l’ignorance affectée, ont été dénoncées par Schopenhauer, par Bentham.
L’incompétence du compétent peut servir de critère pour disqualifier tous ceux que l’on n’a aucune raison de croire plus compétents que celui qui s’est avoué incompétent. Cette forme d’argumentation peut avoir une portée philosophique éminente, car elle peut viser à détruire non seulement la compétence, en telle matière, d’un individu ou d’un groupe, mais de l’humanité tout entière. Lorsqu’on dénonce, chez des penseurs éminents, les déficiences de la raison, c’est souvent pour bien assurer les déficiences de la raison en général, et seule l’autorité dont ils jouissent permet une pareille extrapolation. »
Les techniques de rupture et de freinage opposées à l’interaction acte-personne
P 418 : « Dès qu’une personne, un agent, est considéré comme un être parfait, divin, l’idée que l’on se fait de ses actes va évidemment bénéficier de l’opinion que l’on a de l’agent, mais l’inverse ne sera plus vrai. »
P 422 : « Les cas où l’action de l’acte sur la personne on de la personne sur l’acte est complètement rompue sont relativement rares, dans la pratique argumentative, car ce sont des cas limite. La plupart des techniques qui y sont utilisées visent, non pas à supprimer, mais à restreindre cette action : c’est pourquoi nous les appellerons des techniques de freinage. »
P 423 : « La prévention, le préjugé, favorable ou défavorable, ayant pour effet, bien souvent, d’aveugler sur la valeur de l’acte, de transférer sur celui-ci d’autres valeurs venant de l’agent, se garder du préjugé serait opérer une rupture salutaire entre l’acte et la personne. Mais, si nous nous plaçons au point de vue qui nous paraît primordial, celui de la permanence de la personne, le préjugé se présente comme une technique de frein, une technique qui s 1 oppose aux
renouvellements incessants de la conception que nous nous faisons d’une personne, et qui contribue éminemment à sa stabilité. Tandis que le prestige peut être considéré comme le facteur qui assure l’action de la personne sur l’acte, qu’il a un rôle actif, positif, la prévention corrige une incompatibilité, elle intervient lorsque la personne a besoin d’être abritée. Prestige et prévention peuvent agir dans le même sens, mais ils jouent à des moments différents de l’argumentation.
Pour éviter de donner l’impression que l’on juge certains actes en fonction de la personne, que l’on est en proie au préjugé, il faudra, maintes fois, avoir recours à des précautions. L’une d’elles consiste à faire précéder un avis défavorable sur l’acte, de certains éloges de la personne, et inversement. Ces éloges porteront parfois sur d’autres actes de la même personne, mais visent à louer celle-ci et doivent témoigner de notre impartialité. L’éloge de l’adversaire est donc le plus souvent autre chose qu’une formule de politesse : il exerce un effet argumentatif. »
Le discours comme acte de l’orateur
P 426 : « Dans les rapports entre l’acte et la personne, le discours, comme acte de l’orateur, mérite une attention particulière, à la fois parce que, pour beaucoup, le discours est la manifestation, par excellence, de la personne, et parce que l’interaction entre orateur et discours joue un rôle très important dans l’argumentation. Qu’il le veuille ou non, qu’il utilise ou non lui-même des liaisons du type acte-personne, l’orateur risque d’être considéré, par l’auditeur, en liaison avec son discours.
Le groupe et ses membres
P 433 : « C’est ainsi que nous pouvons répéter ici ce que nous avons dit du rapport entre la personne et ses actes : les individus influent sur l’image que nous avons des groupes auxquels ils appartiennent et, inversement, ce que nous croyons du groupe nous prédispose à une certaine image de ceux qui en font partie ; si une académie donne du lustre à ses membres, chacun de ceux-ci contribue à représenter et à illustrer l’académie.
La valeur d’un individu rejaillit sur le groupe, une déficience individuelle peut, dans certains cas, compromettre la réputation du groupe tout entier, d’autant plus aisément que l’on se refuse à utiliser des techniques de rupture. »
P 434 : « Certains groupes – nationaux, familiaux, religieux, professionnels -seront reconnus par
tous, voire garantis par les institutions. Mais d’autres naissent au gré du comportement de leurs
membres : ainsi, à l’école, à l’intérieur de certaines classes d’enfants, peuvent se former des
subdivisions fondées sur l’âge, le sexe, la race, la religion, subdivisions plus ou moins calquées sur
des catégories sociales existantes ; une opposition peut aussi se produire entre les petits et les
grands, qui formeront deux groupes caractérisés, dont les membres se sentent solidaires. »
P 436-437 : « Aussi la seule technique qui permette de réaliser une rupture d’interaction entre groupe et individu est l’exclusion de celui-ci : elle pourra être appliquée soit par l’individu lui-même, soit par les autres membres du groupe, soit par des tiers. Si quelqu’un exprime une opinion violemment opposée à celle des autres membres du groupe, et que l’on se refuse à admettre que cette opinion puisse être portée sur le compte du groupe, une rupture s’imposera : on verra une incompatibilité entre l’adhésion à certaine thèse et l’appartenance à un certain groupe. Celui qui ne partage plus les opinions du groupe, tout en manifestant clairement qu’il ne veut pas s’en détacher, devra user de dissociations opposant, par exemple, la vraie doctrine à celle de la majorité (3). Mais il va de soi que la majorité peut ne pas être du même avis, et procéder à l’exclusion du membre non-conformiste. Une telle procédure peut être appliquée pour toute espèce d’action jugée incompatible avec les intérêts ou l’honneur du groupe. Presque toujours l’exclusion a pour
conséquence le rattachement de l’individu à un autre groupe, rattachement qui rend, dans certains cas, manifeste, la rupture avec le groupe précédent. »
P 437 : « Il arrive que l’exclusion soit recherchée par l’individu luimême : dans ce cas, celui qui possède certains caractères extérieurs servant couramment de critère pour reconnaître l’appartenance à un groupe, suscitera son exclusion – aux yeux des tiers particulièrement – en s’opposant aux croyances du groupe, on en adoptant les croyances d’un autre. Il en résulte qu’une même critique envers un groupe aura une portée très différente selon qu’elle émane de quelqu’un qui reste solidaire du groupe, de quelqu’un qui veut s’en détacher, ou de personnes qui lui sont, en tout état de cause, extérieures.
Notons que le problème du lien individu-groupe, dans l’argumentation, se complique, par rapport au problème acte-personne, par le fait de l’inclusion possible d’un individu dans un groupe dont il ne faisait pas partie jusqu’à présent. Si l’individu a défend les opinions du groupe B, il pourra être intégré, par les tiers, dans ce groupe. Dès lors ses arguments, ses jugements, seront interprétés comme étant ceux d’un membre du groupe B, et non d’un observateur étranger. D’où parfois l’intérêt, pour l’argumentation, de maintenir les distances entre l’individu et certains groupes qu’il favorise. »
P 437-438 : « Un groupe qui rejette immédiatement, et quasi automatiquement, tout membre dont le comportement est aberrant, qui ne consent jamais à servir de caution à ses membres, se rapproche le plus de la situation de la personne parfaite. Mais cela exige une critique constante, aussi sévère, au moins, que celle des tiers ; et cela entraîne, malgré tout, une modification du groupe, ne fût-ce que dans sa composition. Cette modification peut être perçue comme une simple opération mathématique, mais elle le sera, bien plus souvent, comme un remaniement. »
P 438 : « Plus fréquentes que les techniques de rupture sont les techniques de freinage. Un des progrès du droit a consisté à remplacer la responsabilité collective par la responsabilité individuelle, en permettant de ne pas mettre au passif du groupe les actes que la législation condamne et poursuit ; mais ce n’est qu’une technique juridique, que peut répudier un moraliste ou un sociologue.
Les techniques de freinage, d’usage plus étendu, seront le recours au préjugé et à l’exception. Cette dernière technique s’utilisera avec d’autant plus de succès que les individus passeront pour moins représentatifs du groupe : si les chefs, les délégués ou porte-parole officiels sont considérés souvent comme incarnant le groupe, c’est parce qu’il est plus difficile d’écarter leurs avis ou leurs opinions comme exceptionnels. On a souligné que Bismarck, dans ses discours parlementaires, combattait les partis dans la personne de leurs chefs (1).
Parfois on prétendra que les affirmations ridicules ou sottes d’un individu ne peuvent pas être, sans sophisme, attribuées au groupe (2), ce qui revient à exiger de l’auditeur qu’il procède à un triage, et ne considère point comme représentatif l’individu dont les affirmations sont erronées ou insoutenables.
Une autre technique de freinage destinée à montrer que l’individu ne représente pas le groupe, ne s’identifie avec aucun groupe déterminé, est de le solidariser pour une part de lui-même avec certains d’entre eux, pour une part avec d’autres. Selon Bernanos :
L’homme de l’Ancien Régime avait la conscience catholique, le coeur et le cerveau monarchistes, et le tempérament républicain. »
P 439 : « Toutes ces techniques de freinage ne sont pas sans retentir sur les deux composantes de la liaison individu-groupe. Le recours à l’exception ne tend pas seulement à freiner l’action qu’exerce le comportement de l’individu sur l’image que l’on se fait du groupe. Il peut aussi avoir pour effet de valoriser ou de dévaloriser l’individu, en le présentant comme unique, de provoquer exprès un effet de surprise.
Cette exemption du défaut commun est d’autant plus estimée, que personne ne s’y attend (1).
Plus le préjugé contre le groupe est défavorable, plus l’exception semble difficile à concevoir, plus
les membres du groupe qui ne désirent pas tomber sous le coup de la condamnation générale, devront œuvrer pour qu’on leur reconnaisse ce statut exceptionnel. De là ces remarques désabusées d’un noir :
J’ai souvent entendu ce raisonnement. Ma mère ne m’a-t-elle pas maintes fois répété que c’est déjà assez mal que je sois noir pour éviter de commettre la plus petite faute ? Oui, je sais que tout le monde, Blanc et Noir, est d’accord sur le fait qu’un Nègre, appelant si peu d’indulgence de par sa couleur, n’est tolérable que dans la mesure où il se comporte comme un saint.
Autre liaison de cœxistence, l’acte et l’essence
P 440 : « La notion d’essence, élaborée en philosophie, est néanmoins familière à la pensée du sens commun, et ses rapports avec tout ce qui l’exprime sont conçus sur le modèle du rapport de la personne avec ses actes. Nous avons vu comment, à partir de certains actes caractéristiques, on arrive à qualifier quelqu’un de héros, à stabiliser les aspects d’une personne (1). Par un procédé analogue on arrive, à partir d’un verbe, d’un adjectif ou d’une expression désignant une relation, à former des essences (« le joueur », « le patriote », « la mère »), caractérisant certaines classes d’êtres dont elles expliquent le comportement. »
P 441 : « Deux notions intéressantes, celles d’abus et de manque sont corrélatives à la notion d’essence, qui exprime la façon normale dont les choses se présentent. Il suffira de mentionner l’abus ou le manque pour que l’auditeur se réfère à une essence implicitement supposée. »
P 442 : « L’usage normal est conforme à l’essence ; l’abus doit être détaché de celle-ci, sous peine de la modifier profondément. Toutefois, aussi longtemps que l’on utilise le terme « abus », c’est signe que l’on veut préserver l’essence, que le débat ne porte pas sur elle. »
P 443 : « De même que l’abus, le manque ne peut être invoqué que si l’on a une notion, vague ou précise, de l’essence par rapport à laquelle il se détermine. Le critère permettant de prouver ce manque est entièrement subordonné à la conception que l’on se forme de l’essence. »
P 444 : « Ce qui est de trop se définit également par rapport à l’essence, soit par rapport à une essence déterminée, soit par rapport à une essence quelconque ; ce qui est de trop, dans ce dernier sens, ne pouvant être expliqué par aucune structure, par aucun ordre, n’aura ni poids ni signification.
[…]
On retrouve ces techniques dans l’allusion et l’ironie, la première se référant implicitement, la seconde explicitement à l’essence qui sert de critère de dévaluation. »
P 445 : « Chaque fois que l’on désire rendre stables, concrets et présents un groupe, une essence, on se servira de la Personnification. Cette figure argumentative permet de stabiliser les contours du groupe, d’en rappeler la cohésion.
[…]
La personnification sera souvent soulignée par l’emploi d’autres figures. Par l’apostrophe on s’adressera à ce qui est personnifié et devenu ainsi capable d’être pris comme auditeur ; par la prosopopée on en fera un sujet discourant et agissant. »
La liaison symbolique
P 446 : « Nous croyons utile de rapprocher la liaison symbolique des liaisons de cœxistence. En effet le symbole, pour nous, se distingue du signe, parce qu’il n’est pas purement conventionnel ; s’il possède une signification et une valeur représentative, cette signification et cette valeur se tirent de ce qu’il semble exister, entre le symbole et ce qu’il évoque, un rapport que, faute d’un meilleur terme, nous qualifierons de rapport de participation. »
P 452 : « Les figures de substitution, métonymie et synecdoque, ont été, selon les auteurs, diversement décrites et définies.
Ce qui nous paraît mériter attention, autant que le rapport structurel entre les termes substitués l’un à l’autre, est de voir s’il existe entre eux un lien réel et de voir quel il est. Sur ce plan, une distinction importante entre figures de substitution apparaîtra.
P 452-453 : « Dans les synecdoques, par contre, telles « la voile » pour le navire, « les mortels » pour les hommes, nous verrions que le terme substitué n’est plus uni à celui qu’il remplace par un lien symbolique, mais qu’il marque un aspect caractéristique de l’objet désigné : tantôt parce qu’il en est une partie, suffisante pour le reconnaître (la voile) ; tantôt parce qu’il en est le genre, mais un genre permettant de le caractériser de la façon la plus pertinente (les mortels par opposition aux dieux). »
P 453 : « Il va de soi que, si l’on porte attention surtout à la liaison entre termes, on pourra hésiter souvent entre l’interprétation comme métonymie ou comme synecdoque. Notons seulement (lue, si toutes les figures sont soumises à certaines convenances culturelles (on serait ridicule, prétend Dumarsais, si l’on disait qu’une armée navale était composée de cent mâts) (1), les figures basées sur la liaison symbolique sont les plus précaires – à moins de devenir signe et de perdre leur caractère de figure. »
L’argument de double hiérarchie appliqué aux liaisons de succession et de cœxistence
P 453 : « Quand on entend affirmer que tel homme est plus fort que tel autre, parce qu’il soulève des poids plus lourds, on ne sait Pas toujours si cette dernière hiérarchie sert de fondement ou de critère à la première.
[…]
C’est quand on se trouve en face de hiérarchies qualitatives que l’argumentation, ne pouvant être remplacée par la mesure ou le calcul, joue le plus grand rôle et que, pour soutenir ces hiérarchies, on aura recours à d’autres, souvent empruntées au monde physique. On se servira par exemple des notions de profondeur, hauteur, grandeur, consistance. »
P 461-462 : « Presque tous les arguments par double hiérarchie peuvent être traités comme arguments a fortiori : le dessein n’est pas alors de trouver la place exacte d’un élément dans une hiérarchie à l’aide d’une autre hiérarchie, mais de déterminer une limite a quo.
P 462 : « La troisième hiérarchie qui entre en jeu, et que nous appellerons confirmative, n’est pas dérivée terme à terme de la première, comme ce pourrait être le cas dans des enchaînements de hiérarchies tels : Dieux, hommes – lois divines, lois humaines -obéissance aux lois divines, obéissance aux lois humaines. Elle ne lui est donc pas entièrement parallèle, mais jouit d’une indépendance relative. S’il s’agit de fixer une conduite, on la rattachera à des éléments divers, tels cause, effets, conditions, qui permettent de constituer plusieurs doubles hiérarchies agissant dans le même sens. Dans l’exemple d’Isocrate, la plus grande importance du but poursuivi et la supériorité des moyens dont on disposait, viseront à accroître la honte résultant de la confrontation des deux situations. »
Arguments concernant les différences de degré et d’ordre
P 464 : « L’importance de cette distinction entre degré et ordre est bien marquée par ce mot de Ninon de Lenclos à qui lui racontait que saint Denis décapité aurait parcouru trois kilomètres portant sa tête : « Il n’y a que le premier pas qui coûte. » La réponse est spirituelle parce qu’elle souligne la valeur éminente d’une différence d’ordre par rapport à une différence de degré. »
Cf Nouvelles mathématiques et informatique.