La concentration de l’esprit |
À L’ÉTUDIANT :
Rappelons d’abord que notre but est de développer la puissance.
Dans cette cinquième leçon, nous traitons de la puissance de concentration de l’esprit, c’est-à-dire l’attention.
Comprenez-en bien l’importance.
Partout et toujours, les échecs ont pour cause principale les caprices, le désordre d’un esprit instable et vagabond !
Prenez la résolution de diriger votre pensée ; n’en soyez pas l’esclave.
Rien de plus facile quand vous en connaîtrez les moyens que cette leçon révèle.
Étudiez-la avec le plus grand soin. Pratiquez-en tous les exercices.
Vous sentirez rapidement croître votre puissance mentale.
Vous serez moins superficiel parce que l’attention donne des connaissances sûres ; or les connaissances sûres accroissent la mémoire, éveillent de nouvelles idées, suscitent l’action opportune.
LEÇON V
I. Qu’est-ce que concentrer son attention ?
Attention et concentration.
1. Vous voyez passer un film ; vous assistez à une pièce de théâtre ; vous entendez un concert : vous faites attention tout naturellement puisque ces vues et ces sons vous plaisent.
Cette forme d’attention est spontanée ; elle n’exige aucun effort. Mais d’autres formes de l’attention sont difficiles.
Ainsi étudier un sujet, résoudre un problème. Elles nécessitent une véritable éducation, dont nous allons vous exposer les principes.
Il y a attention et attention ; nous avons considéré d’abord l’attention ordinaire qui consiste à percevoir des faits consciemment et à dessein.
C’est là un premier degré, mais dès l’instant que vous faites un effort intense, que vous aiguillez vos facultés dans la même direction et sur un même objet, vous concentrez votre attention : tel est le degré supérieur de l’attention.
Mouvement et immobilité.
2. Ne croyez pas pourtant que fixer votre attention et concentrer votre esprit sur un point, ce soit l’immobiliser sur ce point.
C’est seulement exercer un contrôle conscient et voulu sur ses mouvements, de manière à ne l’occuper que des sentiments et des idées qui vous intéressent à ce moment.
L’exemple suivant vous fera comprendre comment fonctionne le mécanisme intellectuel.
Supposons par exemple qu’il s’agisse de savoir si vous devez construire une serre dans votre jardin.
Le désir vous en est venu dans le train ; la vue d’une nouvelle serre qu’on bâtissait a fusionné tous vos vagues souhaits antérieurs, et vous avez senti qu’il vous fallait aussi une serre. Vous vous demandez d’abord si vous pouvez faire cette dépense.
Vous tracez quelques chiffres sur un papier et vous émergez de vos calculs le visage triomphant. Maintenant, il y a les frais d’entretien : le chauffage en hiver, les réparations, la peinture, etc.
Quelques opérations de plus et vous aboutissez à une autre décision favorable.
Vous devez enfin songer au coût des plantes, des fruits et des fleurs que vous cultiverez.
Après avoir étudié ces divers points et d’autres semblables, vous constatez que vous pouvez, sans extravagance, vous offrir une serre et vous décidez d’aller voir un entrepreneur.
Le cercle des idées en corrélation.
3. Que s’est-il passé dans votre esprit pendant que vous concentriez vos pensées sur toutes ces possibilités ?
N’insistons pas sur les idées, les espoirs et les doutes qui le traversèrent momentanément, tandis que vous cherchiez la solution du problème ; ils ne sont pas sans importance, mais ils ne concernent pas directement le sujet.
Ce qui importe, c’est que vous étiez déterminé à réfléchir à la question de la serre jusqu’à ce que vous l’eussiez résolue : pour y parvenir, vous n’avez point fixé votre esprit sur un seul et même détail ; vous l’avez, au contraire, dirigé d’un aspect du sujet sur un autre, ramené au premier, appliqué à un troisième, et ainsi de suite.
Bien loin d’immobiliser votre esprit, vous l’avez fait voyager ; c’est en cela qu’a consisté votre volonté d’attention.
Un diagramme va rendre notre explication plus claire. « concentrer » sa pensée ne signifie pas : l’absorber sur un point unique, mais : examiner tour à tour des idées différentes qui ont toutes un lien commun.
Exprimons cette image par des lignes divergentes à partir d’un point de départ unique ; par exemple, dans un cercle, par des rayons ayant tous le même centre.
L’esprit est « concentré », dans la mesure où ses idées ont un « centre » commun, duquel l’on passe de l’une à l’autre.
Notez que la comparaison des rayons, c’est-à-dire des idées, a1, a2, a3, a4, etc., fait de mieux en mieux connaître le contenu du cercle envisagé.
Dans cette figure, le cercle représente l’espace dans lequel l’esprit se meut librement parmi les divers aspects du problème.
A, le centre du cercle, est le problème lui-même :
a = serre ; « être ou ne pas être » ?
Il est manifeste que vous ne résoudrez rien en fixant votre attention sur le problème même lorsque celui-ci présente quelque complexité. Au bout de quelques instants, au lieu de réfléchir davantage, votre esprit se vide : vous ne pensez plus du tout.
Les hindous extatiques, en fixant leur regard sur le trou d’une serrure — ou sur leur nombril — tombent de la sorte en catalepsie, à la façon des alouettes qui ont été fascinées par un miroir.
Ce n’est pas ainsi que l’on résout un problème, car non seulement l’idée de la solution n’apparaîtrait jamais, mais le sens du problème nous échapperait presque aussitôt.
L’esprit meurt d’inanition, s’il ne s’alimente en considérant, tantôt simultanément, tantôt successivement des objets différents. En fait, chaque problème se compose de plusieurs parties, et chacune d’elles doit à son tour retenir notre attention.
Vous pouvez donc sagement aller de a à a1, qui représente les frais de construction. Ce qui signifie que vous oubliez momentanément la serre pour ne penser qu’à l’argent dont vous disposez.
Quand ce point est réglé, vous revenez immédiatement à a, et, presque instantanément, vous vous trouverez à a2, c’est-à-dire aux frais d’entretien.
Vous vous rappelez que Bernard, votre ami de Meudon, vous a fait, à ce propos, un relevé de ses dépenses annuelles ; mais vous croyez pouvoir employer un mode de chauffage moins coûteux, et votre esprit voyage jusqu’à un magasin du faubourg
Saint-Antoine, où vous avez vu un appareil de chauffage qui vous conviendrait parfaitement. Vous reportant alors aux dépenses, vous effectuez votre total, et vous voyez que vous pourrez faire face au devis.
Revenu à a, vous sautez à a3, puis à a4 et ainsi de suite.
Encore n’avons-nous pas énuméré tous les détails, car ceux que nous avons examinés suffisent à notre but, qui est de vous faire comprendre la marche de la pensée attentive.
Cet exemple illustre bien les deux conditions d’un travail fructueux de l’intelligence : explorer un certain nombre d’idées connexes, les comprendre par leur connexion même ; mais ne pas s’évader de ce cercle, car ce serait sortir du sujet.
Il y a donc un élément de stabilité, puisqu’on reste à l’intérieur d’un seul et même ordre de considérations, et un élément de diversité ou de changement, puisqu’on envisage tour à tour les multiples aspects du sujet.
Les objets de la concentration.
A) attention extérieure ou observation.
4. Vous retrouveriez les mêmes conditions de l’attention, si vous examiniez par quel processus nous observons un objet extérieur.
D’où vient que par notre attention plus de lumière se trouve répandue sur la chose considérée ?
D’où vient que par suite nous y apercevons peu à peu en nombre croissant des détails jusqu’alors insoupçonnés ?
C’est parce que, sans détourner nos yeux de l’objet, nous le regardons successivement sous divers biais, nous l’interprétons par rapport à des idées très différentes, mais qui ont toutes ce caractère commun de correspondre à ses faces diverses, à ses attributs et qualités.
La leçon 3 vous a déjà appris à observer ; vous savez déjà que la perception est l’une des applications de la concentration de l’esprit. Voici sur ce point un exemple typique.
Halleck raconte qu’on dit un jour aux élèves d’une grande école, qui avaient tous vu des vaches : « voyons, combien d’entre vous savent si les oreilles d’une vache se trouvent au-dessus, au-dessous, derrière ou devant ses cornes ?
Seuls les élèves qui sont certains de la position, et qui sont prêts à donner cinq francs aux pauvres s’ils se trompent, lèveront la main. » il n’y eut que deux mains de levées.
Leurs possesseurs avaient dessiné des vaches, et avaient été, par suite, forcés de concentrer leur attention sur les divers caractères de ces animaux.
Durent se prononcer sur la manière dont s’effectuait la descente, la plupart d’entre eux se montrèrent persuadés que les pauvres animaux descendaient comme on ne les a certainement jamais vu descendre.
Il eût suffi de remarquer le mode d’implantation des griffes chez les félins pour pouvoir répondre à la question sans même avoir spécialement étudié le comportement des chats.
Même les jeunes domestiques de ferme, qui ont souvent vu des vaches et des chevaux se lever, savent rarement si ces animaux se dressent d’abord sur leurs jambes de devant ou sur celles de derrière, et si les habitudes à cet égard de l’espèce bovine sont les mêmes que celles de l’espèce chevaline.
Autre exemple encore : les feuilles de l’orme offrent une particularité que nous devrions tous remarquer la première fois que nous les voyons ; pourtant 5 % seulement des élèves d’une école purent la reproduire, bien qu’elle soit facile à dessiner.
Il ne suffit donc pas de vivre pour voir ce qui mérite d’être vu. En général, nous ne percevons qu’une très petite partie des choses qui frappent nos sens à toute heure du jour.
Il faut vouloir voir ; pour donner des résultats satisfaisants, la perception doit faire appel à la volonté, afin que celle-ci fixe et soutienne l’attention. b) Attention Intérieure ou Réflexion.
5. Elle a recours au même genre d’activité mentale que l’observation, car on ne peut pas résoudre un problème, prendre une décision, retrouver un fait dans la mémoire, sans faire un choix parmi les idées qui s’imposent à l’esprit à chaque moment donné, sans retenir et mettre en évidence les unes et écarter les autres.
Bref, il en est de même pour la réflexion qu’il en a été pour l’observation : il ne suffit pas de l’alimenter et de lui donner une vie intense, il faut encore la diriger, la guider, et on y arrive par la concentration de l’attention.
Les mobiles de la concentration.
L’intérêt.
6. C’est grâce à l’ intérêt que l’attention active est ordinairement provoquée, c’est-à-dire que l’élément émotionnel en est la force motrice.
De même que l’intérêt éveille l’attention, il existe aussi un intérêt issu de l’attention.
Bien des gens ont appris à aimer le bridge. Au premier abord, le jeu ne les intéressait pas, ils n’y jouaient que pour se conformer à la vogue du moment.
Mais, lentement, l’intérêt commença à croître. Bien qu’en premier lieu l’attention eût créé l’intérêt, ce fut ensuite l’intérêt qui soutint l’attention.
En tout cas, plus votre intérêt est vif, plus votre puissance de concentration est grande.
Cet intérêt se manifeste sous diverses formes dont nous allons indiquer sommairement les principales. En premier lieu, la curiosité.
A) La Curiosité. — De même que pour être bon observateur il faut désirer savoir, de même pour être fructueusement attentif vous ne serez jamais assez curieux. Vous ne découvrirez rien si vous ne cherchez point.
Mais réciproquement vous ne chercherez que si vous avez en tête quelque notion — fût-ce une prénotion — de ce que vous poursuivez.
Avoir de temps à autre des idées « directrices », qui inspirent une investigation, une tentative, un travail, voilà ce qui permet à un homme de se renouveler, de s’agrandir, de se faire.
b) L’ Utilité. — Un autre facteur de l’intérêt est l’utilité. En règle générale, la plupart ne font attention aux personnes, aux choses, aux circonstances que dans la mesure où elles se raccordent à leur métier ou à leurs préoccupations d’une manière ou d’une autre.
Le point de vue utilitaire est ainsi un excitant de l’attention ; et plus l’objet de l’attention présente d’utilité directe ou possible, plus l’attention est forte, concentrée.
Une excellente attitude sera de supposer que tout ce qu’on voit ou entend est une utilité pour soi-même, sinon tout de suite, du moins plus tard, un jour ou l’autre.
C) La Nécessité. — Autre excitant encore : la nécessité professionnelle. Quiconque veut réussir dans cette voie, doit avoir une attention sans cesse éveillée, afin de discerner les défauts, chercher les améliorations, augmenter le rendement du travail.
L’attention continue est l’une des principales qualités d’un bon ouvrier, d’un bon vendeur et d’un bon homme d’affaires, tout autant que d’un bon ingénieur ou d’un bon peintre.
Les exigences professionnelles sont parmi les formes d’intérêt les plus actives.
D) Le Danger. — À cette cause continue s’ajoute pour chacun de nous, surtout dans les circonstances si complexes de la vie moderne, une cause temporaire d’attention : le danger.
Ce n’est pas seulement en haute montagne ou en conduisant une automobile, mais aussi en traversant les rues, en se promenant sur une route qu’on est exposé, de nos jours au danger. Celui-ci détermine en nous une activité neuromusculaire plus rapide, avive notre attention et précipite nos mouvements
L’intérêt vital nous commande alors les perceptions à enregistrer et les gestes à faire.
Tous ces facteurs concourent à augmenter la puissance de notre attention.
L’habitude.
7. Nos Leçons précédentes vous ont montré qu’en exerçant la mémoire, on la développe, qu’en observant souvent on devient observateur. Il en est de même pour l’attention.
On prend l’habitude d’être attentif d’une façon générale ou pour certaines choses pour les quelles on a tendance à être distrait.
Ainsi, celui qui se livre à des études exigeant une attention soutenue sera plus capable de concentrer son esprit sur n’importe quel sujet mental qu’un autre homme, dont le travail mécanique dispense l’attention de toute contrainte.
Les choses pour lesquelles on a tendance à être distrait sont celles qui ne nous intéressent pas ; eh bien ! en les abordant souvent, elles finissent généralement par de venir intéressantes.
En tout cas, on arrive, grâce à l’habitude, à un pouvoir de fixation et à une économie d’efforts toujours croissants.
La volonté.
8. Mais en dehors de l’intérêt et de l’habitude, il existe encore un troisième mobile de l’attention dont on ne saurait trop mettre en évidence la valeur.
C’est l’effort de la volonté.
C’est cette « force additionnelle » qui est l’expression la plus intime de notre « moi »
Conscient et agissant.
C’est elle qui pèse sur nos décisions et c’est grâce à elle que notre attention peut s’arrêter sur un sujet voulu en faisant front aux courants de l’affectivité ou de l’habitude.
Quoi qu’en pensent ses adversaires, les déterministes et les matérialistes, le fait est que leurs doctrines restent dans l’obscurité de l’incertitude théorique tandis que le sentiment de la volonté libre existe et qu’il est le facteur le plus indispensable et le plus puissant de tout progrès individuel et collectif.
II. Les avantages de la concentration de l’esprit
On ne les connaît pas assez.
1. On ne se rend pas assez compte des avantages qui découlent d’une réelle maîtrise de l’attention et combien il importe faire des efforts dans cette direction.
L’attention nous fait apercevoir, dans la réalité ou dans nos pensées, une foule d’éléments, de détails qui peuvent avoir une grande importance, et qui, sans elle, nous échappent.
Faute d’attention, vous avez « vu », mais non « regardé » ; « entendu », mais non « écouté » : vous êtes donc plus mal informé que celui qui sait remarquer.
Si, au contraire, votre attention est en éveil, vous distinguez infiniment plus d’aspects de la réalité.
Voici un exemple typique : Vous donnez à une caisse une pièce monnaie, mais on vous la refuse. Pourquoi ? elle est de plomb, non d’argent.
Vous l’aviez d’abord acceptée, ensuite donnée — non sans la voir, mais sans la remarquer. Un coup d’œil, maintenant que votre attention a été attirée sur la couleur de cette pièce, vous suffit pour la reconnaître fausse. Il vous a manqué jusqu’ici la défiance, c’est-à-dire l’idée d’observer et de distinguer.
Dorénavant, vous vous direz : « attention à la monnaie que je reçois ; il pourrait s’y glisser de fausses pièces. » si vous aviez eu ainsi l’esprit en éveil, vous auriez aussitôt refusé la pièce.
La concentration et l’unité de l’esprit.
A. La concentration de l’esprit assure le développement et l’unité de toutes les opérations mentales.
2. Le premier avantage de la maîtrise de l’attention, et le plus évident, c’est qu’elle assure la coopération harmonieuse de toutes les fonctions mentales et leur maximum de puissance.
En effet, lorsqu’on soutient son attention, on exerce inconsciemment sa mémoire, en se rappelant les objets et les idées semblables à ceux qu’on examine.
On se sert également de son imagination pour concevoir des améliorations par des changements. On observe, on compare, on différencie, on juge les hypothèses pour les accepter ou les rejeter.
la concentration et le savoir.
B. La concentration de l’esprit permet d’acquérir des connaissances précises.
3. La maîtrise de l’attention a un second avantage : elle donne des connaissances précises. L’œil peut voir bien des choses sans que le spectateur les perçoive réellement ; celui-ci a conscience qu’elles existent, mais il ne pourrait les décrire.
Pensez à l’embarras où vous seriez si l’on vous invitait à dessiner dans tous ses détails, de mémoire, la façade de la maison que vous habitez ou même le pan de mur qui se trouve en face de votre lit ou de votre bureau.
À plus forte raison, songez combien il est difficile de donner le signalement exact d’une personne que l’on vient de voir cinq minutes avant l’instant présent. On ne perçoit bien, et par suite on ne retient bien, que ce à quoi on a fait attention.
La lecture des documents.
4. On lit trop souvent les actes des hommes de loi simplement pour remplir une formalité ; quelquefois, parce qu’on a pleine confiance en leur intégrité ; parfois, parce que l’heure est mal choisie pour cette lecture ; d’autres fois, parce que le temps presse pour les signatures.
Mais, plus tard, quand les ennuis commencent et que le contrat est sorti du coffre-fort, les effets de ce manque d’attention deviennent pénibles sinon même désastreux.
On a agi de telle ou telle manière, en croyant que le contrat renfermait telle ou telle clause ; en fait, cette clause n’était pas dans le contrat, ou était libellée autrement qu’on ne le supposait. La mémoire était mal informée, parce que la volonté d’attention n’était pas intervenue au moment voulu, ou n’avait pas eu la force nécessaire.
Il arrive qu’on paie très cher, pendant toute sa vie, un défaut d’attention de cette sorte.
Donc, prenez l’habitude de lire avec le plus grand soin tous les actes et contrats, en en pesant chaque mot et en prenant tout votre temps, sans égard à l’impatience possible des assistants.
La concentration et la mémoire.
D. La concentration de l’esprit accroît la puissance de la mémoire.
5. Un quatrième avantage de la maîtrise de l’attention, c’est qu’elle accroît la puissance de la mémoire.
Rien d’étonnant à cela : nous oublions beaucoup, parce que nous n’avons jamais réellement su ce que nous désirons nous rappeler.
La première impression du fait, de l’idée ou de la personne était indécise, à peine « esquissée ». Rien de défini, rien d’intense.
Nous n’avions pas cherché à obtenir une connaissance profonde et précise. On peut admettre comme règle générale que sans attention il n’y a pas de mémoire. Vous ne pouvez vous rappeler ce que vous n’avez jamais su.
Quand l’expérience originale est vague, le souvenir est vague aussi.
Ici encore, vous rencontrez l’élément moral dans l’éducation mentale : vous récoltez ce que vous avez semé.
Si vous « semez » de la négligence, vous ne pouvez espérer « récolter » de la précision.
Si vous « semez » de l’inattention, vous ne devez pas vous attendre à « moissonner »
Une abondante récolte de souvenirs.
Si vous « semez » de l’indifférence à la vie, il ne faut pas compter recueillir les fruits d’une belle sensibilité.
Pour obtenir le meilleur de ce que le monde nous offre, ses bénéfices extérieurs aussi bien que ses expériences intimes, il faut vivre en faisant attention.
Les richesses inestimables de la mémoire dépendent de notre effort consciencieux pour faire attention. Nous sommes tous responsables de la puissance de notre mémoire.
Certes, nous sommes inégalement doués de mémoire, mais la mémoire qui se réduit h une empreinte extérieure est celle qui vaut le moins : elle s’efface très vite.
« ce qui m’est entré par une oreille — disent certaines gens — est sorti par l’autre. »
La mémoire qui ne risque guère de s’effacer, la mémoire sûre et fidèle, c’est celle que nous assure la compréhension intellectuelle consécutive à un effort d’attention.
Quand vous avez compris, vous retenez.
Cette mémoire intellectuelle porte non pas, comme la mémoire sensible et passive, sur le concret, mais sur l’abstrait.
On peut être un esprit observateur sans être un esprit pénétrant ; être sensible à la forme extérieure des choses, à leur aspect pittoresque, sans les comprendre.
Ce qui doit être compris, c’est l’abstrait : l’intelligence atteint ce que les sens ne perçoivent pas ; et elle le retient sans, avoir à exécuter de prouesse mnémotechnique.
Ainsi du cours pelman : il serait bien inutile aux élèves qui n’y verraient et n’en feraient qu’un exercice de mémoire ; quand, par contre, il a été compris, il ne risque plus d’être oublié.
La concentration permet l’interprétation des données actuelles par les souvenirs antérieurs.
Sans ces idées préconçues, ou plutôt déjà possédées, l’objet que vous considérez n’est rien pour vous : il est incompris, comme inexistant.
En soi, la concentration ne projette aucune clarté ; mais un projecteur ne peut lancer dans le ciel son faisceau lumineux sans l’aide d’un mécanisme qui permet la formation de la lumière et du foyer.
C’est précisément le rôle que joue la concentration : elle fait sortir des ténèbres de l’inconscient des éléments qui deviennent lumineux.
Comme ces usiniers qui font eux-mêmes leur lumière, par un appareillage électrique, vous pouvez éclairer à vous seul vos actes, vos idées. Quelle sûreté plus grande dans la vie ! quelle économie de forces ! et combien d’échecs seront évités !
Allons, que votre devise, comme celle de goethe, soit : Plus de lumière !
La concentration et l’originalité.
E. La concentration de l’esprit permet de développer l’originalité et de faire des découvertes.
6. Enfin, la maîtrise de l’attention favorise les découvertes et développe l’originalité.
Les nouvelles idées sont fréquemment imprévues et spontanées.
On en conclut trop souvent que ce sont de pures inspirations, et qu’elles sont par conséquent hors de notre contrôle. Il n’en est rien.
Il est rare qu’un homme ait des idées vraiment originales sur les choses auxquelles il a peu pensé, et qu’il ne connaît pas. Si le maréchal foch recueillit sur le champ de bataille des inspirations, des idées, qui découvraient une nouvelle méthode de guerre, ce fut parce qu’il était profondément versé dans les questions de stratégie et de tactique.
Il en est de même dans toutes les spécialités, des plus humbles aux plus élevées : il faut savoir beaucoup pour trouver du nouveau, il faut faire attention à des milliers de détails déjà connus avant de discerner celui que personne n’avait vu.
C’est grâce à l’accumulation d’observations attentives des ouvriers et des ingénieurs que la bicyclette, l’automobile, l’avion se sont continuellement modifiés et améliorés.
La marque des grands esprits.
7. C’est un lieu commun en psychologie que l’une des principales différences entre un esprit de grande envergure et un esprit médiocre, c’est la puissance de l’attention.
Les hommes, comme pasteur, dont les noms sont associés à des conceptions profondément originales, ont été remarquables par leur aptitude à oublier, pendant des heures parfois, les données de la vie courante, et à consacrer entièrement leur esprit à la solution d’un problème.
À ceux qui le complimentaient sur son génie, newton répliquait que, s’il avait fait quelques découvertes, il le devait plus à sa force d’attention qu’à tout autre talent.
Les qualités de l’expert.
8. I1 importe de savoir acquérir de nouvelles habitudes. Car ce sont de nouvelles aptitudes.
L’homme expérimenté, l’« expert », c’est celui qui est dressé, par son expérience et ses connaissances précises, à remarquer tout ce qui fournit des renseignements sur la nature ou la valeur d’un objet ; c’est un homme « attentif » à certains indices, auxquels ne prend aucunement garde le commun des mortels.
Cette compétence est affaire d’habitudes ; c’est par habitude qu’on sait « voir », qu’on est capable d’attention.
L’expert est devenu maître en matière de discernement. Il est averti de la présence de circonstances nouvelles, parce qu’il n’ignore aucune des analogies et des différences concernant son sujet ; et son habileté est le résultat direct de ses efforts d’attention.
S’il s’est adonné à l’étude des essences forestières, il reconnaît les arbres à leur silhouette, même en hiver.
S’il est versé dans la musique, il sait apprécier les diverses interprétations d’une sonate pour piano, et peut en signaler le fort et le faible, alors. Qu’ils auraient échappé le plus souvent à une oreille mal exercée.
Efforcez-vous d’être un maître.
9. La plupart d’entre nous peuvent être des experts en quelque chose. Pour cela, il faut contracter l’habitude de faire attention même aux plus petits détails.
Vouloir être un maître dans une sphère de connaissances, si humble qu’elle soit, c’est avoir le respect de son intelligence et de sa personnalité. Ce n’est point de l’égoïsme, de la vanité, ou une arrogante assurance, mais le fier désir de justifier son existence en la mettant au service d’un idéal.
Ayez sans cesse devant vous cet idéal « être un maître », et pour y arriver, prenez l’habitude de l’attention.
III. La dispersion de l’esprit
Double écueil : arrêt ou instabilité de l’esprit.
1. L’esprit doit donc éviter deux dangers qui risquent de stériliser l’attention : sa fixation complète ou son vagabondage continuel.
La fixation complète de l’esprit, sauf dans des cas maladifs, est rarement à redouter, et se manifeste moins fréquemment que son instabilité.
Vous savez par expérience qu’on s’ennuie très vite quand on s’absorbe dans la considération exclusive d’un objet : cette lassitude presque immédiate porte à considérer aussitôt autre chose. D’ailleurs, si l’on s’hypnotise sur un seul objet, la conscience s’évanouit assez vite.
Par contre, la versatilité de l’esprit constitue un défaut extrêmement répandu.
Quel statisticien évaluera le gaspillage d’énergie qui se produit dans l’humanité par suite de l’inconstance des efforts, de la dispersion des pensées ?
Il importe de tirer au clair les causes de cette dispersion ; si l’on veut se rendre capable d’attention, la condition préalable est de ne point se laisser distraire.
Étudions donc d’abord ce grave défaut, la dispersion de l’esprit, pour en indiquer ensuite le remède.
Les causes de la dispersion de l’esprit peuvent être classées comme suit :
A. – Causes Extérieures à l’Esprit.
2. Il y a d’abord des causes extérieures à l’esprit, qui peuvent tenir soit à des conditions physiques, soit aux circonstances techniques et économiques du travail.
Diverses maladies nerveuses, héréditaires ou contractées, peuvent nous porter à l’instabilité mentale.
Un choc subi lors d’un accident risque de nous rendre incapables d’application. Les troubles nerveux retentissent sur notre vie consciente et contribuent à nous rendre agités, impatients, inquiets, impressionnables.
Le travail industriel moderne ravale souvent l’ouvrier au rang d’une simple machine : les mêmes mouvements toujours plus machinalement exécutés, voilà ce qu’on attend de beaucoup de travailleurs manuels.
À un moindre degré, il subsiste quelque chose de mécanique dans l’exercice quotidien d’une profession quelle qu’elle soit. Pendant ce temps que devient la pensée ?
Excédée par la monotonie de la besogne elle s’en désintéresse et vagabonde.
B. – Causes Intérieures à l’Esprit.
3. Les causes les plus sérieuses de la dispersion sont inhérentes à l’esprit même. Nous allons constater qu’elles tiennent à un manque d’équilibre entre nos diverses activités mentales. remarquons une fois de plus que, sans une harmonieuse synthèse psychique, il ne faut pas s’attendre à un bon fonctionnement de l’esprit. (V. Leçon I.)
1° Manque d’Intérêt.
4. Rappelez-vous le rôle capital du sentiment comme base de l’activité psychique.
Si vous êtes indifférent à tout, n’importe quoi pourra retenir votre regard pour quelques instants, mais, presque aussitôt, vous promènerez ce regard n’importe où, pourvu que ce soit ailleurs.
Rien ne vous attirera fortement, rien ne vous captivera à fond, car les choses n’ont de valeur pour nous qu’en proportion de nos désirs ou de nos besoins.
La recherche de ce qui nous fait vivre matériellement, et aussi la curiosité ou le désir de connaître, voilà des mobiles en l’absence desquels, comme le mot l’indique, nous demeurons “immobiles” et nous nous pétrifions dans l’inertie.
Rien de plus pénible que cet état. Seuls s’y plaisent les sujets atteints de débilité mentale — sujets dont l’état, d’ailleurs, se peut améliorer par une meilleure hygiène de l’esprit.
Les individus normaux essayent de s’y soustraire et, dans l’espoir de sauver leur santé psychique, donnent libre cours, par exemple, à leur imagination.
Tel est le cas, précédemment signalé, du travailleur dont l’esprit voyage à l’aventure pendant que ses mains exécutent la tâche fastidieuse. Mais c’est fuir une forme de dispersion pour tomber dans une autre.
2 ° Inconstance, versatilité.
5. Certains esprits éprouvent un vif attrait pour une tâche définie, puis pour une autre, et ainsi de suite, sans être ni apathiques, ni brouillons, ni incapables. Il leur suffirait pour travailler avec fruit, de persévérer assez longtemps dans chaque œuvre entreprise.
Ils sont, non pas distraits, mais impatients. Leur goût à la besogne est fécond tant qu’il dure, mais parfois il ne dure pas assez pour donner ce qu’on en devrait attendre. ils manquent leur but faute de ténacité.
D’autres personnes n’arrivent pas à se concentrer sur un sujet parce qu’elles ont un esprit naturellement nerveux, préoccupé, anxieux.
“quelques-uns des travailleurs les plus capables que je connaisse, dit william james, ont un esprit extrêmement dispersé.
Un de mes amis, qui fait une prodigieuse quantité de travail, m’a confessé que, s’il veut avoir des idées sur un sujet, il commence par un ouvrage tout différent, ses meilleures idées provenant du vagabondage de son esprit.
C’est peut-être là une exagération de sa part ; mais j’estime sérieusement qu’aucun de nous ne devrait se désespérer s’il est affligé de ce défaut. Il se peut que notre esprit soit gêné, inquiet, confus et cependant très productif.”
Nous ajouterons que ces gens-là devraient s’efforcer d’acquérir plus de maîtrise d’eux-mêmes.
3 ° Trop d’intérêts différents.
6. Souvent, la dispersion de l’esprit est causée par de trop nombreux sujets d’intérêt occupant l’esprit simultanément. On court comme on dit, “plusieurs lièvres à la fois”.
Certains de nos étudiants, au début, s’en glorifient. Ils assurent fièrement qu’ils s’intéressent aux affaires, aux arts, aux questions sociales, aux collections de vieilles porcelaines, au tennis, au jeu d’échecs, et à bien d’autres choses encore. mais ils terminent généralement leurs lettres en disant : “cependant, je ne sais pourquoi, il m’est impossible d’arrêter mon esprit sur rien”.
Les voilà qui prennent rang parmi les inconstants. Quoi d’étonnant ? l’attention a pris l’habitude de se mouvoir dans un champ d’activité trop étendu, elle saute perpétuellement d’une chose à l’autre.
La variété de nos aptitudes n’est pas illimitée. Nous ne pouvons nous occuper à fond que d’un nombre restreint de sujets.
Si l’intérêt que vous témoignez à un trop grand nombre vous empêche de concentrer votre attention sur quelques-uns, d’intérêt primordial, il est nécessaire de changer radicalement votre manière de faire.
Si vous vous intéressez à trop de choses, autant dire que vous ne vous intéressez à rien réellement. Il en résulte que vous ne réussissez aucune entreprise (“qui trop embrasse mal étreint”) et que vous ne profitez pas de vos efforts (“pierre qui roule n’amasse pas mousse”).
De cette dispersion, d’ailleurs, nous ne sommes pas toujours responsables :
Quelquefois. La multiplicité des sujets d’intérêt nous est imposée par nos fonctions.
Ainsi en est-il pour l’homme d’affaires tiraillé entre des obligations diverses.
Il peut cependant arriver à des résultats utiles en fournissant un très grand effort d’attention, pendant de courtes périodes, sur les diverses questions soumises à l’étude.
Un de nos amis emploie dans cc but le procédé suivant : il réserve à chaque sujet étudié une table spéciale, où sont classés tous les documents dont il a besoin et revigore son attention, élimine sa fatigue, en changeant de table — et de sujet — toutes les heures ; il peut fournir ainsi 10 à 12 heures de travail intense par jour.
4 ° Intelligence trop prompte.
7. Ce type d’intelligence, à des degrés divers, est beaucoup plus répandu en France que partout ailleurs. Ajoutons qu’il est beaucoup trop répandu, car s’il fait notre attrait il fait aussi notre faiblesse. ce don est souvent pour ceux qui le possèdent une véritable calamité.
Les uns apprennent vite, mais oublient tout aussi vite ; les impressions se succèdent dans leur esprit sans empreintes profondes ni durables. Les autres pensent aisément, mais ne sont pas maîtres de leur pensée ; ils ne la dirigent pas, ils la suivent ; ils sont esclaves de ses caprices. d’autres encore, se fiant à leur remarquable facilité, ne se donnent jamais la peine de réfléchir assez.
Ces hommes peuvent être brillants, mais s’ils n’y veillent, s’ils ne se défient d’eux-mêmes, ils restent superficiels.
Ils peuvent avoir une réelle valeur, un grand talent, connaître le succès, mais ils restent au-dessous d’eux-mêmes. Plus d’un, avec de tels dons, mais avec des réactions mentales mieux contrôlées, eût probablement atteint au génie et fait œuvre vaste, profonde, puissante.
À propos d’intuition.
8. Il y a cependant des hommes et des femmes qui semblent ne jamais réfléchir aux problèmes qui les touchent. Ils trouvent tout de suite une bonne solution, et suivent apparemment la première idée qui leur vient. on dirait qu’ils décident sans considérer la question, et sans peiner pour la résoudre.
Ne nous y trompons pas. Il s’agit le plus souvent d’affaires qu’une longue expérience leur a rendues familières.
Il y a aussi des exemples de personnes remarquablement douées, chez qui le raisonnement, la mémoire, l’imagination ne fonctionnent pas en semi-séparation, mais à l’unisson, comme un tout, ce qui écourte le temps nécessaire à la réflexion.
C’est la méthode idéale : on ne peut, toutefois, s’en rapprocher que par la rééducation systématique de ses facultés, suivant les principes de ce cours.
Mais là encore, lorsqu’on est en présence d’une décision importante, ou d’une œuvre durable, il est bon de se méfier de sa facilité : un sérieux contrôle de ses pensées et de ses intuitions est toujours indispensable.
IV. La technique de la concentration
Les remèdes à la dispersion de l’esprit.
1. Une comparaison fera bien saisir et le mal et le remède. Lorsqu’un fleuve se répand en de nombreux bras — telle la loire ensablée — le courant s’affaiblit d’autant, l’eau se perd dans le sol ou s’évapore.
Cependant cette Loire que maintenant, sur plus d’un point, on traverse à gué, du moins en été, était jadis navigable en toute saison. Que faudrait-il pour lui rendre sa puissance d’autrefois ? Boucher, obstruer ses dérivations capricieuses ; relever ses bords pour que l’eau ne se répande pas au dehors en temps de crue.
Ainsi faut-il agir envers l’esprit qui se disperse :
1° lui interdire toute distraction ;
2 ° endiguer le cours de la pensée et l’habituer à travailler dans la direction choisie ;
3 ° l’obliger à ne raisonner et à ne juger que correctement.
Ne pas être distrait, c’est bien ; être capable d’attention soutenue, c’est mieux.
Nous voulons vous rendre maître de votre esprit, vous assurer ce merveilleux instrument de succès, sans lequel ni le travail, ni les ressources matérielles ne vous seraient d’aucun secours : l’aptitude à penser.
C’est pour vous permettre d’acquérir cette aptitude que nous vous avons aidé à surmonter votre distraction.
Plus que jamais, nous vous demandons de nous suivre avec confiance et docilité.
Gardez-vous de la fausse concentration.
2. Il existe de faux attentifs, des esprits sérieux “à vide”, qui n’ont aucun mérite à ne point être distraits ou dispersés, car faute de ressources intellectuelles ils ne renouvellent pas assez leurs fonds de pensée.
Ils donnent l’impression d’être graves, réfléchis, parce qu’ils sont peu communicatifs et parlent peu ; ils ne sont que vides et inertes ; leurs idées sont courtes, limitées, médiocres.
À peine ceux-ci doivent-ils craindre la distraction : ils n’en sont guère capables et elle constituerait pour eux plutôt un progrès qu’un recul. Ils ne progresseront qu’à partir du moment où quelque chose les tirera de leur apathie, fût-ce pour peu de temps.
La vraie concentration ne saurait se confondre avec l’inertie : c’est une capacité de développement indéfinie, une aptitude à fouiller toujours plus profondément l’objet considéré, pour le comprendre davantage.
Au lieu de comporter l’apathie, elle requiert le plus vif intérêt pour la tâche entreprise, car on ne comprend et on ne réussit que ce à quoi on s’intéresse.
Soyez patient.
3. La concentration de l’esprit suppose, outre l’intérêt au sens courant du mot, un acharnement à étendre, à approfondir cet intérêt. Cela demande du temps, car des difficultés quelquefois considérables doivent être surmontées ; donc cela requiert effort et persévérance.
Le génie, a-t-on dit, est une longue patience.
Sir William Hamilton prétend que “la différence entre un esprit ordinaire et celui d’un newton consiste en ce que l’un est capable d’une concentration de l’attention plus soutenue que l’autre ; qu’un Newton peut sans fatigue enchaîner ses déductions en une longue série, qui tend vers une fin déterminée, tandis que l’homme de capacité inférieure est vite obligé de rompre ou de lâcher le fil des pensées qu’il a commencé à dérouler”.
Il existe naturellement des variétés individuelles. Ainsi, l’illustre physicien et mathématicien Henri Poincaré possédait une faculté d’abstraction capricieuse et instable ; il concentrait sa pensée avec une extrême vigueur, mais sans pouvoir s’appesantir longuement sur une même recherche. Il éprouvait le besoin de changer de travail ou de se récréer, sachant que la solution désirée apparaîtrait un peu plus tard, élaborée par la pensée subconsciente.
Nous ne donnons pas cet exemple pour consoler les versatiles, mais pour montrer que l’«appesantissement» exagéré peut être, dans certains cas, un abus de l’attention.
L’esprit doit conserver de la liberté, de l’aisance. Le savant ne saurait se montrer primesautier comme le poète, mais lui aussi ne fait de bon travail que si son intelligence reste vive, alerte, disons même joyeuse.
Selon votre tempérament, trouvez le juste milieu entre l’indolence et la précipitation, entre l’appesantissement et la versatilité. Votre pensée ne sera féconde que si elle se meut avec une certaine aisance.
Ajoutons que le temps exigé par l’attention s’explique par la nécessité d’aller puiser sous le seuil de la conscience pour trouver de quoi satisfaire aux actuels besoins de la pensée.
Quand vous vous faites servir un repas au restaurant, il faut du temps pour que le cuisinier, le sommelier exécutent leur besogne. Notre subconscient, voilà le sous-sol où se prépare la cuisine mentale.
La nécessité d’un travail préparatoire.
4. Par suite, ne croyez pas cependant que le premier venu, en concentrant son esprit assez longtemps sur un sujet, pourra faire des découvertes. Il y a une condition préparatoire.
Dans le cas de newton, c’était son émerveillement en présence de la nature, sa profonde connaissance des forces physiques, sou brûlant désir de découvrir les secrets des cieux.
Pour James Watt, qui reprit et compléta les expériences de Denis Papin, ce fut sa connaissance familière des formules mathématiques et des machines hydrauliques qui forma la base de ses découvertes sur la force motrice de la vapeur. Elles fournirent la matière première à de nouvelles méditations, que l’existence de la machine élévatoire de Newcommen avait provoquées.
Newton et watt possédaient tous deux cette absorbante force d’intérêt qui est réellement le premier facteur dans la production des idées nouvelles.
La concentration de l’attention donne à cet agent créateur l’occasion de s’exercer avec toutes les chances de succès.
Il se peut que la première période de concentration, ou même plusieurs autres, soit improductives ; car l’expérience démontre que la nouvelle idée vient soudain et d’une manière imprévue, parfois lorsque l’esprit est occupé par un sujet totalement différent.
Mais il est aussi vrai que ces nouvelles idées arrivent rarement, à moins qu’une certaine somme d’attention soutenue ne les ait précédées.
Dans toute création, la réussite ne se produit qu’après une intense et laborieuse réflexion, souvent poursuivie dans l’incertitude du résultat.
Seul le génie triomphe d’un risque inévitable : celui de demeurer dans l’obscurité ou dans l’erreur.
Rappelons-nous toutefois que, quel que soit le résultat immédiat, le travail fourni n’est jamais perdu pour aucun de nous.
Les conditions de l’attention.
5. Pour être pratiquement utile, l’attention exige que le corps et l’esprit soient également bien disposés, c’est-à-dire dénués de fatigue et en pleine possession de tous leurs moyens.
C’est à cette bonne disposition générale que fait allusion l’expression courante :
S’appliquer à quelque chose. Alors, notre être tout entier se porte sur la tâche à accomplir, se “colle” à elle pour ainsi dire.
Toutes nos fonctions entrent en jeu pour s’approprier et s’assimiler la chose sur laquelle l’attention se concentre ; cette chose cesse de nous être indifférente ; elle devient un instrument au service de nos besoins.
Donc, pour faire vraiment attention, il faut observer une attitude corporelle qui n’apporte aucune entrave au libre jeu des activités mentales et prépare, par réaction du physique sur le psychique, ces bonnes habitudes dont nous avons parlé à plusieurs reprises dans les Leçons précédentes.
Voici les principales conditions de l’attention :
A) Conditions physiques ;
B) Conditions mentales ;
C) La transformation de l’effort en habitude par la pratique soutenue d’exercices appropriées.
Cette habitude est le but final de toute éducation. Il faut que l’attention devienne si facile qu’on n’ait besoin d’aucun effort pour l’appliquer à n’importe quel sujet.
A. – Les conditions physiques de l’attention.
6. Elles sont constituées — pour nous expliquer brièvement — par un corps, des muscles et des nerfs exempts de toute fatigue et de toute douleur. La position du corps doit être bonne, l’atmosphère pure.
Qu’on prenne l’habitude de ne pas se laisser distraire par des bruits aigus ou continus.
On alléguera que peu de gens peuvent se créer de semblables conditions. On a tort.
La plupart peuvent, sinon obtenir des conditions favorables, du moins diminuer par un dressage approprié du subconscient les effets de conditions défavorables.
Il est possible de développer la faculté de concentrer son esprit à peu près partout. Les journalistes l’acquièrent tous plus ou moins.
Livingstone raconte qu’il fit toutes ses études dans le vacarme assourdissant d’une usine.
Mais ce n’est encore là qu’une attitude à quelque degré passive.
On peut augmenter non seulement la faculté d’attention, mais aussi toutes les activités de l’esprit à l’aide d’exercices physiques appropriés ; il semble qu’elles aient, en effet, besoin d’être “mises en branle” au préalable par une activité musculaire et loco-motrice.
1° – Utilité de l’exercice.
7. Quels sont les exercices physiques qui favorisent le mieux l’attention ? un professeur américain fit à ce sujet des essais sur plus de deux cents élèves d’écoles supérieures.
La marche obtint le plus grand nombre de suffrages — fait normal, car les exercices violents exigent une trop grande dépense d’énergie pour permettre à l’esprit de conserver toute sa force. Le rythme de la marche sert, au contraire, de stimulant.
Il en est de même du rythme de la musique vocale et instrumentale. Ce n’est pas sans raison que les religions éveillent le zèle, l’ardeur des fidèles en faisant chanter des hymnes : le rythme de la poésie et de la musique forme un tremplin qui lance l’esprit dans une certaine direction.
Voilà des excitants salutaires, tandis que l’alcool et d’autres procédés artificiels présentent plus de dangers que d’avantages.
Même la maladie peut, chez certaines natures, devenir un stimulant de la pensée :
Pascal ne se rappelait pas avoir passé une heure sans souffrir et tenait sa souffrance pour une faveur divine. Mais, bien certainement, chez la plupart des hommes, un minimum de santé est requis pour que l’esprit ait la liberté d’apprendre et de réfléchir.
C’est avec un corps sain qu’on cultive le mieux une âme saine : aussi les exercices corporels jouent-ils dans notre enseignement pelmaniste un rôle qui a été mesuré avec le plus grand soin, afin de contrebalancer l’action des défauts ou des faiblesses physiques.
2 ° – La digestion et la concentration de l’attention.
8. Chacun a pu faire l’expérience que le travail intellectuel est plus pénible aussitôt après avoir mangé. C’est que la digestion exige un appel de sang, qui appauvrit momentanément le cerveau.
L’étudiant devra donc adopter ici des règles d’hygiène qui conviennent à son tempérament, soit un repos en position allongée, soit au contraire une marche lente.
On peut aussi utiliser cette heure consécutive au repas d’une manière utile : classer des fiches ou se tenant debout, exécuter un travail manuel (menuiserie, mécanique, etc.), mettre des livres en ordre.
Ces exercices modérés ont pour effet d’ajuster les conditions corporelles aux besoins de l’esprit.
B. – Les conditions mentales de l’attention.
1° – Utilisez “toutes vos facultés.
9. Même quand notre corps est dans un état de santé et de bien-être, le travail intellectuel ne nous est pas toujours facile ni agréable. L’esprit doit être libre, et il doit être dispos.
Libre, c’est-à-dire exempt de fatigue, exempt de préoccupations. Il y a une fatigue non corporelle qui résulte de l’ennui, ou d’une besogne rebutante et prolongée.
Alors, quelque changement d’occupations vous reposera. . Ne contraignez pas à être attentif votre esprit déjà fatigué, à la condition toutefois qu’il y ait lassitude véritable, et non simple paresse.
Une obsession peut aussi nous priver de nos moyens : dans ce cas, il faut s’efforcer d’imposer à l’attention quelque tâche, car c’est la seule façon de se libérer, de chasser la hantise.
Dispos, c’est-à-dire prêt à travailler, ‘ en disposition’ de toutes ses ressources.
Rien de tel que la confiance en soi, la joie d’un succès antérieur, l’espoir d’un succès à venir, pour nous rendre le travail facile et fécond.
Pour obtenir de l’inconscient cc qu’on en attend — et presque tout, nous le savons — il faut lui faire crédit et lui donner le branle, comme nous le remarquions tout à l’heure.
Lorsqu’on commence l’étude du violon, on fait des exercices pour le doigté, de façon à surmonter cette difficulté technique. Le commençant tâtonne d’abord pour trouver ses notes ; il les trouve ensuite automatiquement, ‘sub-consciemment’.
De même, nous faisons des exercices pour que la concentration de l’attention ne soit plus un effort conscient, mais une habitude obéissant à l’intérêt et à la volonté.
Autrement dit, il faut éduquer l’attention d’une manière systématique, et selon une certaine méthode.
2 ° – Astreignez-vous à une discipline, à une méthode.
10. La liberté de l’esprit, condition de sa force, n’exclut pas, mais réclame une discipline. Qu’il se fasse au grand jour ou sous le seuil de notre conscience, le travail à exécuter est complexe : il ne sera satisfaisant qu’accompli avec méthode.
Une chose considérée, un problème envisagé a toujours de multiples faces ; classez, puis abordez tour à tour ces différents aspects. La solution qui doit se faire jour suppose de l’acquis antérieur et une adaptation de cet acquis au problème présent.
Tout cela ne réussit que grâce aux mêmes qualités d’ordre qui font que dans tel restaurant, vous vous réjouissez d’être servi ‘ vite et bien’ tandis qu’ailleurs c’est tout le contraire.
Il convient donc de dresser l’attention par la volonté.
Celle-ci vous préservera du risque de dispersions, si vous savez vous imposer un ordre dans vos pensées et dans vos actions. C’est elle qui bâtira les digues par lesquelles sera contenu le flux de la pensée.
Le moyen le plus pratique est de vous soumettre à un emploi du temps rigoureux, ainsi que nous vous y invitions dans la Leçon I. Il ne doit pas y avoir place pendant vos heures de travail pour la flânerie, pour le désœuvrement.
À moins d’être fatigué, même surmené, il est bon de toujours vous occuper pendant vos loisirs. Vous pouvez vous reposer en alternant vos occupations ou en remplaçant les plus ardues par les plus agréables.
Ayez à cœur de mener à bonne fin les entreprises que vous avez mises en train. C’est prodigalité, gaspillage de forces que l’abandon d’une œuvre commencée.
Pour soutenir votre volonté, pensez souvent que si vous quittez la partie avant cet achèvement, faute de courage ou de simple constance, vous êtes privé d’avantages que vous avez déjà chèrement achetés.
Évitez aussi de vous laisser dévier par de nouveaux projets. Inscrivez ceux-ci dans un carnet en vous imposant de n’y revenir que plus tard, quand les projets en cours auront abouti.
3 ° – Refusez de vous laisser distraire.
11. Ni les causes extérieures, ni les causes intérieures de la dispersion, précédemment énumérées, ne vous prédestinent fatalement à devenir distrait. L’influence des maladies et de l’hérédité même se peut contrebalancer par un entraînement rationnel, pourvu qu’on procède graduellement.
Ii dépend de vous d’opposer une fin de non-recevoir à une idée inopportune. Il dépend de vous pareillement d’être insensible à l’attrait d’une pensée qui vous détournerait de votre but. Il suffit de ramener patiemment l’esprit sur le point qui doit l’occuper chaque fois qu’il s’en éloigne ; il finit par y demeurer ; c’est une habitude à prendre.
4 ° – Ne perdez pas de vue votre sujet.
12. Toutes les observations que vous recueillez, toutes les pensées qui vous viennent, confrontez-les avec ce sujet. Conservez-en le souvenir, si elles vous permettent de le mieux comprendre ; sinon, rejetez-les.
La compréhension s’avive et s’aiguise par la juxtaposition sans cesse réitérée de données nouvelles à un point de repère maintenu devant l’esprit.
Cette obstination à rapporter tout ce que découvre la pensée au sujet qui l’occupe est un acte de volonté en même temps que d’intelligence.
5 ° – Favorisez l’intérêt.
13. Vous concentrerez d’autant mieux votre attention sur un sujet que vous vous y intéressez.
S’il n’offre pour vous aucun attrait, vous devez vous efforcer de lui en découvrir un. Il vous sera toujours possible de vous représenter les avantages du travail que vous entreprenez.
Évoquez-les souvent à l’aide d’images vivantes et agréables.
Faites de l’autosuggestion : persuadez-vous que vous n’avez jamais rien désiré avec autant d’ardeur et d’impatience ; vous serez ainsi bien préparé à fournir l’effort requis.
Par la suite, l’agrément propre du sujet vous captivera, car il est impossible de se livrer consciencieusement à une étude sans finir par s’y intéresser.
Nous vous avons d’ailleurs donné ces conseils dans la leçon ii et nous n’y revenons que pour mémoire.
C. – L’habitude de l’attention.
14. Nos leçons précédentes vous ont montré qu’en exerçant sa mémoire on la développe ; qu’en observant souvent on devient observateur. En vous appliquant volontiers, fréquemment, vous deviendrez appliqué.
Ne vous désolez pas d’être en ce moment brouillon, superficiel. Pour changer, vous n’avez qu’à prendre d’autres habitudes ; c’est possible et moins difficile que vous ne le supposez.
Vous avez tout à gagner : une plus sage économie. Un moindre effort, une meilleure organisation ; il suffit pour cela de prendre l’habitude de l’attention.
Apprendre la danse ou la bicyclette suppose des tâtonnements sans nombre, des essais d’abord malheureux et pénibles, puis de moins en moins gauches, et d’un rendement de plus en plus satisfaisant : c’est un travail d’attention.
La preuve en est que, sitôt l’apprentissage achevé et l’habitude prise, l’attention est devenue superflue et la conscience disparaît. Seul celui qui danse ou qui fait de la bicyclette sans penser aux mouvements qu’il exécute s’en acquitte bien.
L’habitude diminue la nécessité d’une grande attention, en déterminant un certain automatisme : ne croyez pas pourtant que l’attention soit entièrement absente ; il suffit d’un événement imprévu pour rompre l’habitude (la rencontre subite d’une auto à une croisée de chemins, par exemple), pour redonner à l’attention toute son importance.
Si votre puissance de concentration n’est pas aussi bonne qu’elle devrait l’être, cherchez-en la cause. Vous l’aurez vite trouvée. C’est souvent une mauvaise habitude.
Mettez-vous donc à l’œuvre pour en contracter une bonne.
Comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises, il faut, pour réussir, comprendre la nature de la concentration et pratiquer les exercices avec persévérance. Si vous voulez vraiment obtenir le contrôle de toutes vos opérations mentales, vous l’obtiendrez. ne vous jouez pas d’une question aussi importante.
Faites-en une affaire sérieuse. Considérez le temps et l’effort ainsi employés comme un placement qui vous rapportera un dividende au-delà de toute espérance.
1° – Facilité et économie.
15. L’idéal, c’est d’arriver à contrôler nos pensées, de telle sorte que nous puissions tourner notre attention dans n’importe quelle direction. De cette manière, nous faisons une réelle économie d’action.
Si vous deviez penser à la grammaire chaque fois que vous prononcez une phrase, vous seriez épuisé après une heure de conversation. Mais, comme vous possédez bien votre langue, vous en appliquez sans y penser les règles grammaticales, et pouvez ne plus songer qu’aux faits et aux idées.
C’est un gain inestimable lorsque le contrôle mental devient automatique ; l’épargne d’énergie est si considérable que tout individu devrait s’efforcer d’accroître le nombre de ses pouvoirs mentaux subconscients. Il est essentiel que ses facultés soient ainsi orientées qu’il puisse percevoir se rappeler, imaginer, se décider, et maintenir son attention sans effort.
C’est de cette condition que parle le professeur whitehead dans son « Introduction aux mathématiques ».
Après avoir expliqué quelques calculs, il dit : « cet exemple montre qu’à l’aide de symboles, nous pouvons opérer l’enchaînement des termes du raisonnement presque mécaniquement, par la vue seule. Alors qu’il faudrait autrement faire appel aux plus hautes facultés de l’intelligence. »
C’est une banalité exposée dans de nombreux livres, que nous devrions contracter l’habitude de penser à ce que nous faisons. Le contraire a sa part de justesse.
La civilisation avance « en étendant le nombre des opérations importantes qui peuvent s’exécuter sans qu’on ait besoin d’y penser ». Et tel est le service que rend le pelmanisme à ses Étudiants.
Au début, il faut que nous soyons conscients de nos actions. D’une manière générale, il devrait toujours en être ainsi, mais il existe de nombreux champs d’action où le progrès dépend de notre aptitude à faire inconsciemment ce que nous faisions autrefois consciemment.
Entre quelqu’un qui sait, et quelqu’un qui apprend à monter à bicyclette, il y a cette différence que le premier fait peu de mouvements et s’avance avec sûreté, tandis que le second s’agite… Et tombe, ou risque sans cesse une chute.
Le mécanisme de nos habitudes, tout agencé dans l’inconscient, nous assure une économie de forces et un maximum de rendement. C’est tout bénéfice, car, comme dit Titchener : « plus un travail est mécanique et plus l’esprit reste libre de se consacrer à de nouvelles œuvres ».
2 ° – Le moindre effort dans l’observation et la réflexion.
16. Il vous faut devenir observateur, réfléchit sans contrainte, mais comme naturellement.
L’étudiant qui a fait consciencieusement nos exercices obtient ce résultat : il voit, remarque, et juge en un instant ; et il exécute chacun de ces actes sans contrainte, sans avoir besoin de se dire, chaque matin : « il faut que j’ouvre les yeux et les oreilles aujourd’hui. »
Il était obligé de le faire, lorsqu’il apprenait à observer ; mais l’observation réfléchie est devenue chez lui une habitude ; maintenant, il l’applique inconsciemment aux hommes et aux choses, et avec une ardeur qu’il ignorait autrefois.
Jadis, il regardait autour de lui, sans but, se demandant ce qu’il pourrait bien faire, ou ne se demandant rien du tout !
Un jour, il eut une idée où vibrait un peu d’âme. Elle lui fut chère, et il la développa, la mûrit jusqu’à ce qu’elle devînt un pouvoir réel.
Aujourd’hui, il travaille dur, essayant de la mettre en acte ; mais il l’exprime rarement en mots, même à lui-même. L’ambition lui est devenue habituelle ; il agit parce qu’il ne peut faire autrement.
Sa mémoire a passé par les mêmes phases. Il « piocha » les exercices et la méthode jusqu’à ce que les effets de cette éducation se fissent sentir.
Le souvenir, qui lui demandait autrefois un puissant effort, est maintenant à peu près instantané, parce que son attention et sa concentration d’esprit sont les serviteurs attentifs de sa volonté, et lui fournissent, par là-même, des connaissances précises et durables.
3 ° – Le secret de l’organisation.
17. L’habitude de l’ordre dans la réflexion vous rendra bon organisateur.
Tout organisateur doit se poser deux questions principales :
1° Qu’ai-je à faire ? quelle œuvre dois-je accomplir ?
2 ° Quel est le meilleur moyen de l’accomplir ?
Ces deux questions en soulèveront beaucoup d’autres ; et quand on aura répondu à toutes, temporairement ou définitivement, on pourra commencer à exécuter son projet.
Supposons qu’il faille organiser un concert local et que la tâche échoie à quelqu’un n’ayant aucune expérience de telles entreprises.
On devrait répondre à la question 1 avec de minutieux détails, penser à la location de la salle, à l’engagement des artistes, à l’impression des affiches, des programmes, des billets et à une foule d’autres points.
Il faudrait se poser la question 2 à propos de chaque détail. Il y a la bonne et la mauvaise manière d’engager les artistes ; vous pouvez payer aussi cher des sujets médiocres que des bons ; il y a des programmes élégamment variés, et d’autres qui sont gâtés par des maladresses d’exécution. L’organisateur cherchera donc à trouver, pour chaque matière, la solution la plus efficace.
Qui n’a pas assisté à des concerts locaux où un peu de soin dans l’organisation — c’est-à-dire un peu plus de bon sens appliqué aux faits — aurait changé un succès modeste en un grand succès ? Ce soin est plus qu’un simple maniement mécanique des détails de l’affaire : il nécessite un déploiement d’imagination, mais quand on en a exécuté les suggestions, la salle de concert qu’on croyait ne remplir qu’à moitié peut se trouver trop petite.
Cet exemple nous montre combien complexe et délicate est l’organisation d’un événement isolé : une fête. À plus forte raison, devez-vous réfléchir pour bien disposer de votre temps, c’est-à-dire de votre vie.
On dit que le temps, c’est de l’argent : oui, mais bien plus encore, car il n’y a pas de limites à l’argent que vous pouvez gagner, tandis que votre existence est singulièrement limitée : les obligations, le sommeil, la maladie, la fatigue, bientôt l’affaiblissement de l’âge restreignent dans d’énormes proportions le loisir dont nous pouvons disposer.
Organiser, c’est prévoir et disposer ; c’est considérer le moment actuel ou à venir comme faisant partie d’un ensemble, le passé ou nos ressources acquises, et l’avenir ou nos possibilités, nos espoirs.
Ajuster les uns aux autres ses besoins et ses moyens, c’est le principe de toute économie. Appliquez-les non seulement à la gestion de votre budget, mais à l’organisation de toute votre vie. C’est le secret de la maîtrise, à laquelle cette Leçon vous a initié, et que vous approfondirez par la suite.
Chacun de nous a quelque chose à organiser : ses dépenses personnelles, ses déménagements, le développement de ses affaires, l’extension de sa clientèle, ou la préparation d’un examen. Cessons de travailler au hasard et n’importe comment.
Les vieilles méthodes élastiques ont fait leur temps. On a pu en retirer quelques profits fortuits, mais rien de plus. Nous sommes maintenant les disciples du système, et un système est une méthode rationnelle appliquée aux affaires de la vie.
Pour acquérir un esprit méthodique et développer vos pouvoirs de réflexion, d’imagination et d’organisation, choisissez donc un sujet dans la liste ci-dessous et étudiez-le :
1. La formation d’une société littéraire.
2. Postuler un emploi.
3. Composer le trousseau d’un élève interne.
4. Un projet de propagande politique ou sociale maison par maison.
5. Préparer une excursion par chemin de fer et autocars.
6. Organiser un meeting pour protester contre les inégalités de l’impôt sur le revenu.
V. Conseils spéciaux
1. Nous allons vous montrer maintenant comment l’attention et la concentration de l’esprit sont utilisées dans un certain nombre de cas particuliers. D’une manière générale, on peut distinguer deux cas principaux d’utilisation de l’attention dans le plan mental :
1° pour suivre la pensée d’autrui.
2 ° pour suivre sa propre pensée.
Un exemple typique du premier cas est la lecture ; un exemple typique du second, la recherche de la solution d’un problème. Le premier stade consiste naturellement à éliminer du champ de l’attention tout ce qui pourrait la gêner.
Le pouvoir de chasser les pensées nuisibles.
2. Beaucoup de pensées surgissent en nous à notre insu. Les unes ont été suggérées par des impressions extérieures ; d’autres par des lectures ou des conversations.
Enfin, il existe dans le fond de nous-mêmes, dans notre subconscient, toutes sortes de désirs et d’idées qui ne surgissent dans la conscience que sous l’influence des circonstances, indépendamment de notre volonté active.
Nous ne sommes pas toujours responsables des pensées qui nous entrent dans l’esprit, mais, comme l’a écrit le docteur hanna dans son livre bien connu le cerveau et la Personnalité, nous sommes responsables des pensées que nous y laissons demeurer.
Chacun de nous doit surveiller ses sentiments et ses pensées, les passer au crible de sa raison et rejeter aussitôt celles qui lui apparaissent indignes de lui et nuisibles.
Nous nous permettons parfois de nourrir des pensées mauvaises que nous n’avons pas l’intention de voir réalisées, mais elles nous deviennent familières et un jour vient où, à notre surprise et à notre chagrin, nous les réalisons sans trop savoir comment.
Surveillons aussi notre entourage et le milieu où nous vivons, car ils fournissent à la sphère subconsciente de notre esprit bien des idées que nous réprouvons et dont la présence nous surprend lorsque nous la constatons. Évitons dans toute la mesure du possible les êtres et les choses pouvant avoir sur nous une influence pernicieuse.
Malgré ce contrôle mental, il arrive cependant qu’on soit obsédé par quelque pensée indésirable.
Il faut alors présenter à l’esprit un sujet particulièrement agréable qui le retienne sans trop de peine. Cela peut n’être qu’un amusement, une distraction. ce qui importe, c’est d’opposer un courant plus fort à la force des idées malsaines.
Sachez que pour réagir il faut agir même si vous devez commencer sans conviction.
Quiconque est le jouet d’idées fixes ou d’obsessions, ou momentanément amoindri par un grand chagrin, par une grosse perte d’argent, peut aussi dévier ses préoccupations en tâchant de se passionner pour quelque chose.
On doit choisir un domaine qui excite la curiosité et exige de l’activité à la fois physique et mentale, si possible même un domaine où il soit possible de faire une découverte.
On distrait ainsi l’attention de soi-même pour la porter au dehors, sur des phénomènes naturels ou sur ses semblables. Aussi la vie sociale est-elle à considérer comme un excellent adjuvant de l’attention.
On doit rechercher la société des autres, s’intéresser à leurs joies et à leurs peines. Ce n’est qu’à leur contact qu’on peut espérer « se changer les idées ». le stade suivant consistera à développer méthodiquement sa culture générale, comme il est dit dans la leçon 10. nous y reviendrons.
Pour suivre une lecture. (1)
3. La lecture implique deux fonctions différentes, presque soudées par l’habitude :
1° La lecture proprement dite, c’est-à-dire le déchiffrage des lettres et la reconnaissance des mots.
2 ° La compréhension de ce qu’on a lu.
Chacune de ces deux fonctions s’exécute avec une vitesse différente. Or, au lieu de toujours plier la vitesse de la lecture à la rapidité de la compréhension, nous faisons souvent l’inverse : nos yeux lisent d’un mouvement uniforme et continu sans accorder à la compréhension les temps d’arrêt qui lui sont nécessaires. résultat ? nous ne comprenons pas ce que nous lisons.
Nous ne comprenons pas davantage si le sujet est pour nous sans intérêt, s’il ne nous est pas familier, si nous sommes la proie d’une violente préoccupation mentale : la encore, il y a dissociation entre la compréhension et la lecture proprement dite.
Pour éviter cette perte d’énergie et de temps, voici quelques conseils pratiques :
1° Ne prenez pas la mauvaise habitude de lire sans comprendre : quand vous vous surprenez à le faire, arrêtez aussitôt votre lecture ; si vous êtes distrait par d’autres idées, notez-les pour y revenir plus tard. Au besoin, mieux vaut y penser franchement pour libérer l’attention de cette obsession. (1) l’ensemble de ces conseils a paru dans le n° 23 de notre revue la psychologie et la vie, sous le titre : la mémoire des choses lues, par le docteur S. Hosiasson.
2 ° Lisez d’une façon active : méditez le titre du chapitre en vous demandant ce que celui-ci peut contenir ; stimulez par avance votre curiosité.
3 ° rattachez le sujet de votre lecture à vos connaissances antérieures.
4 ° faites de temps en temps de brefs résumés de ce que vous avez lu, pour voir si votre attention a fonctionné comme vous le désirez. Soulignez certains mots au passage, afin de vous en servir comme points de repère. 5 ° Lisez tous les jours dans une langue étrangère, afin de vous obliger à lire plus lentement et en pesant le sens exact de chaque phrase, sinon de chaque mot. 6 ° Assimilez en le transformant le style de l’auteur au vôtre. Voici comment : lisez une phrase ou quelques phrases et racontez-vous-en le contenu immédiatement, non pas dans le but d’exercer votre mémoire, mais pour apprendre à assimiler. Vous verrez qu’au bout de quelque temps, vous arriverez à lire votre auteur avec une facilité toujours croissante, car vous aurez fait la connaissance de sa « langue », de ses manières de s’exprimer, de ses pensées, de ses images, de ses symboles. 7 ° Concrétisez votre lecture, c’est-à-dire représentez-vous par images chacune des phrases. Nous reviendrons sur ce point dans la Leçon VII.
Pour suivre une conversation.
4. Il vous arrive peut-être d’éprouver de la difficulté à suivre une conversation, bien que vous ne soyez ni dur d’oreille, ni timide et que vous soyez parfaitement en état de comprendre le sujet. Vous constatez au bout de quelque temps que vous êtes à mille lieues de cc qu’on dit ; vous ne percevez plus qu’un ronron monotone.
Que faut-il faire pour éviter ce défaut, avec ses conséquences ?,
1° Quoique vous soyez celui qui écoute, tâchez d’écouter d’une façon active : faites mentalement de petits résumés instantanés de ce qu’on dit ; arrêtez si possible l’interlocuteur quand vous ne comprenez pas, évitez de prendre la mauvaise habitude d’écouter sans comprendre. Ne vous gênez pas pour prier votre interlocuteur de s’exprimer brièvement (bien entendu d’une façon délicate), lorsque ses longueurs ou ses redites commencent à vous fatiguer. Tâchez de stimuler votre propre intérêt par la prévision de la suite et par des questions et des remarques que vous intercalerez â propos.
2 ° Voici encore un moyen que nous avons fait appliquer avec d’excellents résultats : répétez mentalement ce que vous entendez dire, d’abord en faisant des mouvements imperceptibles de prononciation avec les lèvres ; c’est une habitude à prendre, car au début on est un peu troublé par la nouveauté de la méthode
3° Observez bien la mimique de votre interlocuteur. N’oubliez pas qu’elle exprime autant ce qu’il pense que ses paroles. On comprend bien mieux quelqu’un en le regardant qu’en lui tournant le dos ou en se trouvant dans une autre pièce ; car le geste est aussi une « parole ».
Pour suivre une conférence ou un cours.
5. Les observations précédentes sont également valables ici, sauf qu’on ne peut intervenir dans l’exposé. Il importe pourtant de ne pas rester passif, de ne pas laisser l’esprit vagabonder à propos d’une phrase ou d’un mot saisis au passage. on y réussira en suivant nos conseils :
1° Prenez des notes par écrit.
2 ° Si cela n’est pas possible, tâchez d’établir mentalement un plan et pendant que le conférencier traite une question, ayez toujours en vue les points précédents de son exposé.
3 ° Autant que possible, préparez d’avance le sujet du cours ou de la conférence.
Lisez ce qui s’y rapporte ; essayez de vous faire d’avance une. Opinion personnelle et évaluez la différence entre votre manière de concevoir le sujet et celle de l’orateur. 4 ° Combattez ce que nous appellerons « l’illusion de faire attention ». Souvent l’auditeur est hypnotisé par la belle voix du conférencier, par ses gestes, son ton, sa façon de parler, et le sujet lui échappe. Ou bien, se trouvant assis loin du conférencier, l’auditeur perd sans s’en rendre compte le gros de son attention à saisir la parole.
Ressaisissez-vous dès que vous avez conscience de votre faiblesse et critiquez mentalement l’orateur et ce qu’il dit.
Pour étudier un sujet, résoudre un problème.
6. « Rapide comme la pensée », dit la sagesse populaire. Ajoutons : « rien ne nous échappe comme la pensée. » et, bien que nous la sentions plus près de nous que celle d’autrui, c’est notre propre pensée qui est la plus difficile à saisir. le contenu de la conscience change d’un moment à l’autre : il faut autant d’effort pour maintenir un sujet dans le champ de l’attention que pour diriger celle-ci où l’on veut. il n’existe pas de problème qui ne se laisse résoudre à condition de savoir et de pouvoir diriger son attention pendant le temps nécessaire.
Les deux principaux défauts qui s’opposent à la résolution d’un problème sont :
1° Le manque de patience dû à la fatigue dans la poursuite du problème.
2 ° Le fait de ne pas savoir le limiter.
Pour vaincre le premier de ces obstacles, il faut :
A) Augmenter l’intérêt porté au sujet et savoir le soutenir ;
B) S’entraîner à penser à des choses peu intéressantes.
C) Augmenter progressivement le temps consacré au problème.
Pour limiter le problème : il faut le réduire à sa forme la plus simple : par exemple, quelqu’un qui voudrait atteindre le bonheur, cherche les voies qui y conduisent. Il n’aboutira à rien s’il s’attaque à ce problème d’une manière trop vaste et imprécise. ce n’est qu’en analysant ses tendances et ses opinions qu’il réduira les concepts abstraits du bonheur à leur forme concrète et personnelle.
Il éliminera ainsi du problème tout ce qui n’est pas essentiel et le verra réduit à un but bien déterminé. Par exemple : la science, la gloire, l’argent, l’activité politique ou les arts. il pourra arriver à une réduction encore plus grande, à une seule activité bien déterminée.
L’inventeur de la première machine volante dut réduire son problème à la forme essentielle : « Vaincre la pesanteur. »
Ii faut éviter tout ce qui nous fait dévier du chemin direct, en d’autres termes, faire un choix rigoureux parmi les idées qui nous viennent.
Si nous reprenons notre exemple de l’inventeur. Il doit repousser la pensée du beau voyage qu’il pourrait effectuer avec son appareil, le nom qu’il lui donnerait, l’esthétique de son extérieur, le nombre de personnes qu’il pourrait y placer, en somme, toutes les questions qui ne sont pas essentielles et dont il pourra s’occuper plus tard.
Pour penser à plusieurs choses à la fois.
7. Ceci semble très difficile au premier abord, et même impossible à certaines personnes. En réalité, on ne pense jamais à plusieurs choses à la fois, mais il se produit une succession très rapide de cieux ou plusieurs thèmes de pensée.
Cette capacité est indispensable dans certaines professions : un chef doit s’occuper de plusieurs besognes à la fois ; un pianiste est obligé de penser à la fois à plusieurs lignes de musique, etc. Elle se laisse développer par un entraînement approprié.
Pour s’exercer, il faut commencer par deux opérations mentales dont l’une soit habituelle, automatique ; par exemple, tout en lisant à haute voix une page (sans faire l’effort de comprendre) tâchez de faire mentalement une multiplication ou de développer une série (2, 4, 8, 16, etc.). Ayant réussi cet exercice, tâchez de le refaire, mais cette fois en lisant sans prononcer, ce qui est plus difficile !
Récitez une poésie que vous savez par cœur, ou énumérez les jours de la semaine ou les mois de l’année, et en même temps faites un calcul mental, d’abord peu, puis de plus en plus compliqué.
PAS DE DÉFAILLANCES
Vous pouvez aussi lire, plusieurs articles à la fois, chacun cinq minutes et vous dresser à changer rapidement, et sans fatigue, de sujet, sans jamais perdre le fil des idées différentes. Voyez à quoi réussissent les joueurs d’échecs qui conduisent jusqu’à vingt parties à la fois. Chacun de nous peut donc s’entraîner dans cette direction.