Comment organiser la vie mentale |
À L’ÉTUDIANT :
De nombreux livres ont été écrits pour enseigner à lire les autres livres, parmi lesquels l’un des meilleurs est celui d’émile faguet, l’art de lire. Mais leur point de vue n’est pas exactement le nôtre.
Il importe d’abord de connaître un certain nombre de règles générales. Lorsqu’on les a bien comprises et assimilées, on doit mettre en œuvre sa propre initiative et ses préférences.
Un livre est un regard jeté sur la vie à travers les yeux d’un autre homme. Comment juger la valeur de ce livre ? En complétant la lecture par l’observation directe de la vie.
Quelle que soit la valeur que vous accordiez au volume imprimé, vous devez le compléter par votre propre vision et par votre propre réflexion.
Utilisez les bons écrivains ; puis, à leurs jugements, ajoutez les vôtres.
La présente leçon est en premier lieu une invitation au recueillement ; l’étudiant y est convié à réfléchir sur la lecture et l’étude. Ne dites pas que vous n’avez pas le temps de lire et d’étudier.
À tout prix, par une meilleure utilisation de vos loisirs, il faut trouver chaque jour quelques moments pour cette détente et pour cet enrichissement de votre personnalité.
Quoiqu’il s’agisse pour une part d’une occupation désintéressée, la lecture méthodique sera pour vous une source de grand profit.
En outre, cette leçon a pour but d’indiquer à l’étudiant quelles sont les lectures auxquelles il devra s’adonner pour développer sa culture générale. Comme dans nos autres Leçons, nous nous plaçons ici avant tout au point de vue pratique.
Les pelmanistes appartiennent à des milieux familiaux et professionnels très différents ; aussi l’instruction qu’ils ont reçue pendant leur enfance et leur adolescence varie-t-elle entre des limites très éloignées.
Nos conseils doivent être utiles à la fois aux pelmanistes qui n’ont reçu qu’une instruction élémentaire (jusqu’au certificat d’études) ; ceux qui ont pu acquérir une instruction primaire supérieure et professionnelle ; enfin à ceux qui ont obtenu la licence et le doctorat des diverses facultés, ou qui sont sortis des grandes écoles et occupent actuellement des postes d’ingénieurs, de directeurs d’usine, etc., ou sont médecins, juges, etc.
Nous avons pensé que le résultat pratique que nous avons en vue serait atteint en sériant sous trois rubriques principales les ouvrages dont nous recommandons la lecture.
Dans la première, marquée 1, nous rangeons des ouvrages d’un caractère relativement élémentaire et qui peuvent servir de complément aux livres scolaires proprement dits.
Sous 2 et 3 on trouvera des ouvrages plus étendus ou plus spéciaux qui exigent une instruction avancée.
Tout pelmaniste pourra ainsi discerner à coup sûr la catégorie d’ouvrages qu’il jugera la plus profitable à son point de vue personnel.
Mais il doit être bien entendu que nous ne demandons pas à nos étudiants d’acquérir des connaissances encyclopédiques ni de consacrer leurs forces à l’étude de toutes les sciences et de tous les arts en même temps. Bien au contraire.
Pour commencer, nous conseillons à chaque étudiant de choisir les deux ou trois sujets d’étude énumérés dans cette Leçon qui lui plairont le plus ou qui par quelque côté se rattachent à son métier ou à sa profession, métier ou profession qui serviront de point de départ pour l’acquisition d’une culture à la fois plus approfondie et plus étendue.
Il pourra, par la suite, ajouter d’autres études à celles qui l’intéressent déjà ou même, après un ou deux ans, opérer des remplacements.
Ainsi, lorsqu’on aura par exemple une connaissance suffisante des grands peintres, on pourra étudier les grands musiciens ; ou encore, remplacer la littérature française contemporaine par la littérature anglaise, italienne, russe ou suédoise.
Le principe reste dans tous les cas que l’étude doit être systématique et non pas brouillonne.
Une fois de plus, nous répéterons notre conseil général, qui est plus de mise avec la leçon x qu’avec aucune autre : il faut travailler sans hâte inutile, sans anxiété, sans énervement.
Le vrai pelmaniste sait qu’il a pour lui la patience et le temps.
LEÇON X
Chapitre premier
Pourquoi il faut lire
1. Nécessité de la lecture.
Vous entendrez souvent les ignorants médire de la connaissance qui s’obtient par les livres et la traiter de « livresque ». Certes, elle ne supplée pas à celle qui s’obtient par la vie.
Mais l’expérience de la vie que chacun de nous peut acquérir est nécessairement fragmentaire et limitée. Il faut donc l’accroître de l’expérience d’autrui, qui a été consignée dans les livres. Eux aussi nous font vivre.
Par eux, nous supprimons l’espace et le temps et nous obtenons des aperçus sur l’avenir. L’homme ne diffère de l’animal que par l’intérêt qu’il porte à ce qui dépasse ses besoins immédiats.
La culture humaine repose en très grande partie sur l’existence des livres, qui étendent toujours davantage notre horizon intellectuel et mettent à la disposition de tous les observations et les découvertes de chacun.
C’est grâce au livre que la pensée individuelle devient un bien commun à toute l’humanité. Dédaigner la lecture, c’est se priver de la richesse intellectuelle accumulée par les générations passées.
Il serait ridicule de ne pas vouloir profiter de ce trésor. Bien mieux, ce serait maladroit. L’étude désintéressée, faisant mieux connaître la nature et les hommes, est l’utilitarisme le plus sûr.
Par la lecture, vous vous cultiverez ; plus vous serez cultivé, plus vous travaillerez vite et avec un rendement supérieur.
La culture de l’esprit est le meilleur moyen de développer et d’affermir sa propre personnalité. C’est ce que nous avons déjà exposé dans notre Leçon IX ; ici, nous devons à nos Étudiants de leur expliquer comment on peut s’enrichir par la lecture et de leur indiquer les procédés pratiques les plus efficaces et les plus rapides d’utilisation de la lecture.
2. Comment tirer parti des livres ?
Faute de conseils expérimentés et de méthode, la plupart des hommes ignorent comment constituer et utiliser une documentation conforme à un certain but.
A-t-on besoin d’un groupe de faits pour un discours ou un rapport, on ne sait où les prendre ; doit-on consulter quelques livres à la hâte, on ne sait pas se servir des tables et des index ; désire-t-on connaître les ouvrages qui font autorité sur un sujet, on ne sait où ni à qui s’adresser et on se trouve perdu comme des marins sans cartes ni boussole.
Et si, pour le travail en cours, on veut consigner certains faits nécessaires, on ne sait comment résumer les textes qu’on a lus, parce qu’on ignore l’art de prendre des notes.
Il existe une technique spéciale pour l’emploi rapide et rationnel des livres, des revues, des journaux, bref de tous les documents imprimés ou manuscrits.
On l’enseigne dans les cours de licence et de doctorat, à l’école des chartes et à l’École pratique des Hautes-Études, etc., mais plutôt dans un but strictement scientifique qu’en vue de l’usage courant.
Aucun savant, aucun professeur ne pourrait cultiver sa science ou faire ses cours sans posséder à fond le maniement de sa documentation. Celle-ci doit être considérée comme l’outillage fondamental du travail intellectuel, exactement comparable à l’outillage nécessaire au travail manuel dans l’atelier et à l’usine.
Dans les deux cas, il faut s’astreindre à un certain apprentissage. Or, il ne viendrait à l’idée de personne de vouloir conduire une machine à fileter ou un métier à tisser sans l’avoir appris. mais trop de personnes s’imaginent qu’il suffit de lire pour savoir et pour retenir, et se lancent dans toutes sortes de lectures sans but ni méthode.
C’est donc un grand tort, que de distinguer entre « Manuels » et « Intellectuels » ; ils ne diffèrent que par l’objet auquel ils appliquent la méthode et par la nature de l’outillage, lequel varie selon la matière et le but, mais non pas essentiellement, par la méthode elle-même.
On peut être à la fois un excellent « manuel » et un excellent « intellectuel ». C’est ce qu’avait fort bien compris rousseau, qui écrivit son traité d’éducation l’émile, pour réagir contre cette distinction arbitraire et superficielle.
Malheureusement, son enseignement n’a pas été compris ; aussi tenons-nous à insister fortement ici sur la possibilité qui se présente à tous les « Manuels » d’être aussi des « Intellectuels ». Et réciproquement.
,
Un bon livre dont vous assimilez les enseignements peut marquer une époque dans votre vie. Une belle idée pénétrant en vous, vous imprégnant, peut transformer votre existence. On a dit souvent que « les pensées sont des choses ».
Elles le sont, puisqu’elles deviennent ces invisibles réalités qui empoisonnent les sources vives de notre être ou qui nous poussent en avant et nous dirigent vers des fins plus belles.
Savoir apprécier à leur juste valeur les pensées épanouies dans la littérature, c’est posséder une faculté qui nous fera profiter des meilleures réflexions des générations antérieures dans leur juste perspective, et nous affranchira des erreurs du passé et du présent.
Car, ainsi que l’a si bien dit Descartes, la lecture judicieuse « de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées » (Discours de la Méthode.)
Il y a aussi des pensées qui sont des attitudes de l’homme à l’égard des choses.
Ainsi, tandis que la géographie, l’histoire, les sciences physiques et naturelles décrivent des êtres et des objets, le roman, la poésie, la religion, la philosophie expriment des attitudes humaines.
Comme l’humanité vit dans la nature, ces deux éléments de la culture, la description et l’interprétation, sont inséparables. C’est dans les livres qu’on les trouve systématiquement combinés.
Dans nos précédentes leçons, nous avons à plusieurs reprises insisté sur l’importance de l’observation directe en tant que gymnastique mentale. Ici, nous devons ajouter qu’à elle seule l’observation ne suffit pas.
Chacun doit tirer un enseignement de ses expériences sensorielles, c’est-à-dire les interpréter par la comparaison avec les expériences d’autrui. Ces expériences sont consignées dans les livres et c’est pourquoi leur lecture est nécessaire à qui veut connaître à la fois soi-même et l’univers.
4. L’étendue des connaissances humaines.
Un fait qui effraie d’abord beaucoup de personnes, c’est l’étendue des connaissances humaines. Analyser un sujet, apercevoir, en consultant le catalogue d’une bibliothèque, ses innombrables ramifications, désespère l’Étudiant, qui se dit : « Jamais je ne saurai cela ». Rassurez-vous.
Sans doute, le champ des connaissances est si vaste qu’il s’étend au-delà de toute conception et que nous sommes obligés de nous spécialiser dans une section relativement circonscrite. Mais la signification de sphères entières de connaissances peut être saisie en partie, bien que la masse des détails puisse nous échapper.
En outre, tout se tient, et avant de se perdre dans cette masse de détails, il est toujours possible de considérer d’abord le rapport entre certaines sphères de connaissances et d’autres.
Ainsi, l’histoire de l’antiquité se relie à la connaissance de la géographie actuelle des régions méditerranéennes ; l’économie politique se rattache à la botanique par l’étude des plantes cultivées.
Le classement rationnel des diverses sciences constitue un fil d’ariane qui permet de se guider dans le labyrinthe des faits de détail. « Il n’y a de science que du général » a-t-on dit. Cela signifie qu’en comparant des faits de détail de même ordre, on obtient une première donnée générale.
En comparant ensuite plusieurs données générales du premier degré, on obtient une généralisation du deuxième degré. Et ainsi de suite. La généralisation est donc une opération nécessaire, à laquelle on s’entraîne aussi bien qu’à la spécialisation.
Renan avait d’ailleurs fait remarquer avec raison que la généralisation est une spécialité comme une autre, qui a ses règles propres, et que tout le monde peut acquérir, plus ou moins.
Grâce à elle, l’étendue et la multiplicité des connaissances humaines se réduisent à des formules relativement simples et assimilables par tous. S’instruire consiste donc à passer alternativement du particulier au général et du général au particulier.
5. Connaissance quantitative et connaissance qualitative.
Celui qui déclare superficielle la connaissance du général commet une méprise. Le général, s’il ne se réduit pas à de vains mots, révèle le fond, l’essence des choses.
Des observations très simples peuvent être très importantes et il peut y avoir grand mérite à s’en aviser, si l’on sait les rattacher à la catégorie générale à laquelle elles appartiennent.
Ce qui est superficiel, c’est l’attitude qui consiste à ne pas chercher les causes des faits ou à prendre pour des causes n’importe quoi, au hasard, sans avoir, au préalable, soumis les phénomènes observés à une analyse critique.
Être superficiel consiste ainsi à changer de sujet d’études sans méthode. Aussi l’Étudiant doit-il éviter ce défaut ; il doit élaborer d’abord un plan général par rapport auquel il classera au fur et à mesure ses acquisitions nouvelles.
À ce point de vue, il est intéressant de rappeler l’observation suivante d’herbert Spencer : « ma connaissance des choses, dit-il, aurait pu être appelée superficielle, si on l’avait mesurée par le nombre des faits qui me sont connus ; mais on l’aurait peut-être trouvée profonde, si on l’avait mesurée par la qualité de ces faits. Un de mes amis, qui avait étudié à fond la botanique, m’affirma, un jour, que si j’avais connu autant de détails sur la structure des végétaux qu’un botaniste de profession, je n’aurais jamais pu parvenir aux idées générales que j’ai formulées sur la morphologie des plantes ». (Autobiographie, p. 335).
6. La difficile question du temps.
On entend dire souvent que « le temps, c’est de l’argent » : mais, somme toute, l’argent n’achète pas le temps. Le temps est un de nos biens les plus précieux, et à mesure que la vie devient plus complexe, il est plus difficile d’en trouver suffisamment pour exécuter tout ce qu’on a à faire et tout ce qu’on voudrait faire.
Très souvent il arrive que si on a si peu de temps disponible en dehors des heures de travail, c’est qu’on a mal organisé à la fois son travail et ses loisirs. Il existe toujours un moyen de répartir logiquement les efforts et de faire en moins de temps une même quantité de travail utile.
Naturellement, le résultat dépend en majeure partie de la profession ou du métier.
Mais le principe fondamental est partout le même : il faut travailler en série, c’est-à-dire classer par catégories.
Si, par exemple, un médecin a à faire beaucoup de visites dans sa matinée, il gagnera du temps en les faisant d’après le quartier s’il s’agit d’une ville, et d’après la répartition géographique des localités à visiter s’il s’agit de la campagne ; faute de quoi il perdra beaucoup de temps en allées et venues inutiles.
De même, la correspondance d’affaires, les rapports à rédiger, les ordonnances pharmaceutiques à exécuter peuvent toujours être répartis en série de manière qu’on fasse à la suite les opérations mentales et manuelles qui sont de même type.
Nous conseillons donc d’étudier avec soin ce qu’on nomme « l’emploi du temps ».
On peut découvrir alors qu’un emploi du temps dont on s’est servi durant quelques mois est défectueux, soit qu’il accorde plus de place qu’il ne devrait au sujet d’importance secondaire, soit qu’une circonstance nouvelle en démontre les inconvénients. Si occupé que vous soyez, ne dites pas que vous manquez de temps.
Apprenez plutôt à bien tirer parti de vos moindres moments de liberté. Une malle peut contenir beaucoup plus de linge et de vêtements si on les range méthodiquement, que si on les y empile pêle-mêle.
L’ordre fait gagner de la place ; il fait aussi bien gagner du temps. Le temps ainsi gagné, employez-le à travailler au développement de votre esprit.
Mais il ne suffit pas de bien organiser le temps consacré au travail. L’art d’utiliser ses loisirs présente une importance au moins égale.
Les moments qui ne sont pas consacrés au travail professionnel, mais qui nous appartiennent en propre, sont notre bien le plus précieux. Au lieu de gaspiller cette richesse, faisons-la fructifier. Trop peu de personnes savent tirer parti de leurs loisirs.
Tel dispose d’une heure ou deux dans la soirée ; un autre n’est libre que le matin ; quelques-uns ne savent jamais à quel moment de la journée ils seront inoccupés ; plus d’une femme mariée ignore quand elle aura une heure à elle.
Il y a enfin l’homme qui n’a rien à faire, mais qui se dit pris par les « devoirs mondains » ; et l’écolier qui prétend n’avoir jamais un moment à lui !
Comment tous ces individus vont-ils organiser leur vie de façon à conserver la santé, à être heureux et en même temps à utiliser de leur mieux les circonstances qui pourraient être utiles au développement de leur culture intellectuelle et sociale ?
Simplement en remaniant leur emploi du temps et en l’adaptant au but poursuivi.
7. La fatigue.
Mais, direz-vous peut-être, à travailler sans cesse on est fatalement voué au surmenage. C’est une erreur.
Se reposer ne consiste pas à ne rien faire, mais à changer, sinon de travail proprement dit, du moins d’occupation.
Le plus fatigant pour un individu normal et sain c’est l’oisiveté et la paresse, car elles empêchent l’élimination des toxines et permettent à la pensée de vagabonder sans but défini.
Rêvasser et flâner sont les formes les plus dangereuses de l’oisiveté. Pour résister à la tendance à la paresse, il faut varier ses occupations : lire, faire de la musique, s’occuper de jardinage, aller au théâtre ou au cinéma, faire une promenade avec un but défini (étude de monuments anciens, herborisation, recherches géologiques, etc.)
Bref, il faut éviter autant que possible d’interrompre le jeu normal de l’activité musculaire et cérébrale.
Ici aussi un certain choix s’impose, et selon deux possibilités. Ou bien l’on s’occupera de quelque chose qui se rattache, par un côté ou un autre, à la profession ou au métier (un menuisier peut étudier l’histoire du meuble, un comptable l’histoire financière de l’europe contemporaine, un chimiste la géologie ou la biologie végétale, etc.)
Ou bien on s’occupera avec méthode d’un sujet très différent de la spécialité professionnelle (un médecin s’intéressera à l’archéologie, un mathématicien à l’économie politique, un mécanicien à la nature, etc.).
Il va de soi que dans les deux cas, le but secondaire ne doit pas envahir ni dominer le but principal, mais être considéré comme une gymnastique quotidienne. Ce qu’il faut, c’est, comme nous le disait un de nos étudiants à qui ce procédé avait bien réussi.
“adapter le travail récréatif au travail rémunérateur”.
Il arrive parfois qu’on se sente incapable d’exécuter exactement le programme qu’on s’était tracé pour sa soirée. On est, par exemple, trop fatigué par une journée chargée de travail urgent. En pareil cas, le plus sage est de renoncer sans arrière-pensée ni scrupules inutiles.
Un emploi du temps ne doit pas être trop rigide ; il ne doit pas devenir l’objet d’une superstition. Quand une réelle fatigue (non pas une simple répugnance) vous accable, sortez vous promener, faites une partie de billard ou jouez avec les enfants.
Si, lorsque vous commencez votre travail de la soirée, vous vous sentez attiré par le dernier sujet de votre liste au lieu du premier, cédez à votre désir ; car il est l’indice d’un état mental favorable dont il faut savoir profiter. Votre travail n’en sera que plus agréable et moins pénible.
Mais ceci à charge de revanche. Le lendemain, occupez-vous du sujet laissé de côté la veille.
8. Équilibrez vos lectures.
Il existe trois raisons fondamentales de lire :
1 ° par métier ;
2 ° pour s’instruire ;
3 ° par plaisir.
C’est donc tantôt la volonté, tantôt l’intelligence, tantôt la sensibilité qui se trouvent intéressées. Notre équilibre mental, nous l’avons vu dans nos précédentes leçons, exige une culture équivalente de chacun de ces trois éléments psychiques.
Il s’agit donc d’équilibrer nos lectures de manière à ne pas subordonner deux d’entre eux au troisième ; par exemple, il faut éviter de ne consacrer ses loisirs qu’à la lecture des romans, car ce serait accorder au sentiment une prépondérance nuisible.
Certes, on ne saurait formuler ici une règle absolue. Après un travail très fatigant, une lecture même difficile peut constituer un excellent repos.
Beaucoup d’ouvriers, de commerçants, de fonctionnaires, etc., consacrent leurs loisirs à la t. S. f. et lisent dans ce but tout ce qui concerne ses progrès ; en sorte que cette lecture technique est pour eux un délassement.
Au contraire, l’écrivain ou le professeur qui a fourni pendant sa journée un travail cérébral intense, se reposera mieux en cultivant un petit jardin, en faisant de la menuiserie ou de la mécanique, en allant au cinéma ou au théâtre.
Dans la plupart des métiers et des professions, on est obligé par surcroît de se tenir au courant des revues spéciales ou même des publications générales qui touchent de près ou de loin au gagne-pain.
L’important est alors de compléter la culture technique acquise et développée par la profession au moyen de lectures qui en sont éloignées et donnent des aperçus sur d’autres domaines intellectuels.
Nous insistons beaucoup sur la nécessité de ce complément ; il constitue en fait la base de la culture générale. Surtout en matière de lectures, il ne faut pas se spécialiser trop tôt, ni trop strictement, sinon on perd le contact avec le mouvement universel des idées et des arts et l’on en arrive bientôt à se sentir isolé, sinon même inférieur.
Sans prétendre que les proportions que nous indiquons ci-dessous soient valables dans tous les cas et pour tous les individus, nous conseillons de répartir les loisirs réservés à la lecture de la manière suivante, en prenant pour base de temps un mois entier :
Lectures techniques : 3/10
Lectures de culture générale : 3/10 ;
Lectures agréables (romans, etc.) : 4/10.
Il faut considérer, d’ailleurs, que certains romans dits documentaires, par exemple les romans régionalistes qui décrivent les mœurs de nos provinces, servent en même temps à la culture générale ; on pourrait aussi classer dans cette section les biographies et les récits de voyages.
9. La méthode des lacunes.
Pour conclure ce chapitre, nous citerons quelques passages d’une lettre d’un de nos Étudiants qui a réussi à acquérir une culture générale suffisante grâce à un procédé qu’il nomme la “méthode des lacunes” : “J’ai toujours été avide de savoir et n’ai pas eu d’autres moyens d’apprendre que la lecture (je suis un ouvrier, un ‘ primaire’). Les moments dont je disposais pour lire étaient mes heures de loisirs ; je préférais naturellement que cette lecture soit pour moi un délassement et comme beaucoup sont dans mon cas, on s’explique par là la vogue des livres de vulgarisation. On peut d’ailleurs apprendre bien des choses et à juger assez juste avec ces livres, si l’on sait garder l’esprit critique. ‘ À ce sujet, j’ai employé un ‘ procédé’ mental qui, utilisé méthodiquement, peut rendre bien des services.
‘ Chaque fois qu’au cours de mes lectures je rencontrais un point que mon savoir antérieur ne me permettait pas de comprendre. je comptais sur le hasard d’une lecture ultérieure pour combler cette lacune. Au bout de plusieurs mois, voire des années, s’il arrivait que je puisse élucider le point obscur avec satisfaction, je ‘ raccordais’ dans mon esprit les divers éléments du problème resté en suspens et, de cette façon, ces connaissances nouvelles étaient vraiment gravées dans mon souvenir. ‘ On pourrait appeler ce procédé la méthode des lacunes sans paradoxe car, pour un esprit curieux, un ‘ vide’ dans le savoir laisse une impression vive. De cette façon, je suis arrivé à me donner une certaine érudition, dont je ne suis pas trop mécontent.’
Nous ne recommandons pourtant pas que l’on reste des années ni même plusieurs mois sans élucider le ‘ point obscur’, particulièrement lorsqu’on peut le faire plus tôt avec un petit effort.
Mais il faut se garder d’être obsédé par le désir de tout savoir en un temps relativement restreint. Il faut se cultiver sans hâte anxieuse et là, comme partout, savoir avancer avec patience.
Chapitre II
Comment il faut lire
La lecture est un art qui utilise une technique spéciale et qui obéit à un certain nombre de règles. Faute d’en avoir été avertis, la plupart lisent sans aucun profit.
N’importe quelle lecture peut développer la culture générale, même celle du journal, à condition de classer ce qu’on lit par rapport à un plan élaboré d’avance et de compléter les notions éparses en recourant à des ouvrages plus complets et systématiques.
1. Discerner les rapports.
Prenons pour exemple les événements de chine, qui ont dès maintenant une répercussion grave sur la politique de l’Europe et dont le développement peut modifier profondément la situation du Japon et celle des Français et des Hollandais, des
Anglais et des américains en extrême-orient.
Il convient de situer d’abord ces événements actuels dans leur cadre géographique, donc de recourir à un atlas et à un traité de géographie physique et économique aussi détaillé que possible ; il faut les rattacher aussi aux événements antérieurs, donc consulter les ouvrages qui traitent de l’histoire de la Chine.
C’est seulement alors qu’on comprendra, non seulement les articles plus ou moins explicatifs que donnent les grands journaux, mais aussi les « nouvelles » brèves transmises de Chine en Europe.
En trois ou quatre jours, on peut être documenté suffisamment pour comprendre dorénavant la suite des événements, si on a eu soin :
1 ° de noter les faits géographiques et historiques saillants ;
2 ° de couper les articles des journaux et revues relatifs à la chine ;
3 ° de constituer avec tous ces matériaux un dossier auquel il sera facile de se reporter.
En appliquant ce procédé à tous les pays, les principaux événements politiques locaux se trouveront classés au fur et à mesure par rapport à la politique internationale. Ne pensez pas que ce travail incombe uniquement au journaliste de profession.
Celui-ci le fait, mais d’une manière approfondie, et possède un outillage perfectionné ; mais nous, lecteurs généraux, dont le sort dépend dans une certaine mesure de ce qui se passe dans le reste du monde et non pas seulement dans notre ville ou notre village, nous pouvons nous contenter de données moins détaillées.
En dehors de la spécialité individuelle, il suffit d’acquérir en toutes directions des connaissances générales et de pouvoir, grâce à elles, situer les détails les uns par rapport aux autres, afin de se faire une opinion personnelle.
Ceci s’applique non seulement à la politique, mais tout autant à la littérature, aux beaux-arts, aux diverses sciences.
Savoir lire consiste à savoir distinguer entre l’important et le secondaire, entre le permanent et le transitoire, entre l’essentiel et le formel, entre l’idée et l’expression.
Prenons maintenant un roman, par exemple germinal, de zola.
Nous avons à discerner l’architecture du roman, c’est-à-dire voir comment il est construit ; quelles sont les caractéristiques des divers personnages considérés isolément ; quelles sont leurs caractéristiques quand ils font partie d’une foule ; quelles sont les passions en lutte ; quelles sont les idées et les opinions qui meuvent les divers personnages ; quel est l’enchaînement des événements ; par quels procédés Zola a évoqué au moyen de mots les sentiments et le bruit d’une foule en grève, etc.
Savoir lire, c’est donc savoir discerner les rapports entre les idées, les sentiments et les formes.
Sans doute, c’est la méthode que la plupart des spécialistes appliquent à la lecture des ouvrages et des périodiques relatifs à leur spécialité. Mais le fait curieux est que la plupart aussi oublient d’appliquer cette même méthode aux livres et articles de la spécialité voisine, ou aux œuvres de littérature pure.
Bien mieux, un industriel ou un commerçant n’a que rarement l’idée qu’un livre est une construction charpentée et agencée exactement comme une usine ou une machine.
De ce point de vue, la critique des livres prend un aspect particulier, dont nous allons exposer quelques éléments, en commençant par ceux qui sont d’ordre interne et subjectif.
2. La technique de l’interprétation.
En publiant un livre, un écrivain invite le public à partager ses réflexions ; nous n’y parvenons qu’en confrontant notre expérience avec la sienne.
Pour préserver notre propre individualité, nous devons faire l’épreuve de ses opinions.
Sont-elles justes ? sont-elles à propos ? sont-elles utiles ? sont-elles bien exprimées ?
Montrons ici un esprit critique amical. Admettre absolument tout ce qu’on lit, ou prendre systématiquement le contre-pied de ce qu’on trouve dans un livre, ce sont là deux formes de puérilité, indignes d’un esprit mûr et réfléchi.
Vous avez le droit, même le devoir, de réagir à ce que vous lisez, mais seulement en vous plaçant au point de vue de l’auteur. La seule sorte de réfutation d’un auteur qui vaille consiste à montrer, non qu’il pouvait adopter un autre point de vue, mais qu’à son propre point de vue il devait faire autre chose, ou mieux.
Une certaine sympathie est nécessaire pour interpréter un auteur : nous devons, pour ainsi dire, nous asseoir à ses côtés, voir et sentir avec lui, de façon à comprendre son intention et à apprécier avec équité les résultats auxquels il est parvenu.
Les préjugés et l’hostilité nuisent à ce que nous pourrions appeler cette « manœuvre mentale ». Ils nous forcent en quelque sorte à nous « opposer » à l’auteur ; en conséquence, nous ne saisissons pas ce qu’il veut dire, car nous ne pouvons pas, dans cette attitude, voir par ses yeux et sentir avec son cœur.
Il est à présumer que l’écrivain a consacré de nombreuses heures de réflexion à son œuvre ; faites-lui donc confiance avant de le juger. Aborder un livre avec des idées préconçues, ou un esprit hostile, c’est se priver de beaucoup de choses bonnes et profitables.
Certains auteurs ont un style ardu, dont peut-être ils sont fiers, mais leur pensée vaut la peine qu’on la dégage. C’est un effort que vous ne ferez point si votre esprit est chargé de préventions ; et vous risquez d’y perdre beaucoup.
Lire, c’est nourrir l’esprit. De même que l’estomac prépare l’incorporation des aliments à l’organisme en les enrobant de sucs digestifs, l’esprit comprend par interprétation les données nouvelles au moyen des connaissances anciennes.
Plus on sait déjà, plus on profite de sa lecture, car elle nous intéresse par ce que nous y apportons de nous-même autant que par ce qu’elle nous transmet.
3. Lecture active et lecture passive.
Comme l’a fort bien montré paul fauconnet, dans un article publié par la psychologie et la vie dans son numéro de juillet 1927, il y a deux manières de lire : la manière passive, qui est la plus répandue, et la manière active.
« on sait le mal, dit-il, que peuvent faire les romans aux paresseux qui les dévorent pour occuper leur temps : veillées prolongées, illusion d’activité ; au terme, sensation douloureuse de vide. Or, les lectures les plus sérieuses ont souvent un effet comparable.
Voici un jeune homme, que je sais laborieux. Il a donné à la lecture le meilleur de ses journées. en fin d’année, il confesse ses désillusions.
Sentiment de surcharge, de dispersion ; les lectures faites restent un infiniment petit dans l’infiniment grand des lectures à faire. Expérience cent fois répétée : j’essaye de faire le bilan ; je demande à un découragé ce qu’il a lu : il a peine à citer les titres.
Je le presse un peu sur le contenu, il se dérobe. De ce livre-ci, il n’a qu’un souvenir confus. celui-là, il l’a lu il y a trop longtemps ; trop longtemps, à cet âge ! entendez quelques mois.
Cet autre livre, il ne l’a que parcouru, ou lu en partie… Bref, disproportion énorme entre le temps qu’on a donné à la lecture et le bénéfice qu’on a tiré. dans la majorité des cas, on est conduit au même diagnostic : lecture passive.
La lecture passive est un piège pour la paresse. Assis devant une table, je me laisse traverser par ma lecture. j’ai l’air de travailler.
Avec un peu de complaisance, je pourrais me dire que j’ai bien employé mon temps.
J’aurais lu moins longtemps et je serais plus fatigué, si c’était vrai. La lecture active réclame un dur effort. on la reconnaît à l’effort qu’elle coûte.
Quand vous prenez un livre d’études, un bon livre qui en vaut la peine, ne l’abordez pas passivement. Mettez-le à la question. il n’est pas mauvais de commencer par la fin.
La table des matières est chose essentielle. Avec elle, la préface, la conclusion, quelques passages à découvrir dans le texte, vous devez rapidement désarticuler le livre. Le plan d’un ouvrage, même excellent, est, dans une large mesure, arbitraire.
Ne vous laissez pas conduire comme un enfant, par le doigt ; ne commencez pas sagement à la page 1, pour mettre le signet à la page 40, après deux heures de lecture.
Cherchez à dominer votre auteur dès le premier contact.
L’auteur a un secret, ou deux, ou trois : il n’en a pas cent. Allez vite : découvrez les idées maîtresses.
Quelle est la méthode ? quels sont les postulats ? quel matériel de faits et d’idées le livre met-il en œuvre ? à quoi aboutit son effort ?
En exagérant grossièrement ma formule, pour rendre mon conseil plus clair, je dirai : comprenez d’abord, vous lirez ensuite. Le jeu est dangereux.
On se trompera, les premières fois. Avec l’habitude, on apprendra vite à tomber juste.
Et puis, procédez par reprises successives ; vérifiez vos premières interprétations. Rien n’est plus fécond qu’une seconde lecture qui vous oblige à rectifier les résultats de la première. “
Un bon procédé consiste à sortir du livre pour le mieux comprendre. L’auteur a écrit d’autres ouvrages ; d’autres auteurs ont écrit sur lui ou ont traité le même sujet.
Quelques coups de sonde, à côté, aideront l’activité à s’éveiller. Allez chercher dans un autre livre la clef de celui que vous lisez. tout ce qui vous met dans l’attitude de celui qui interroge est bon : ne soyez pas exclusivement celui qui écoute.
Il y a des esprits vigoureux, des tempéraments robustes, qui assimilent bien du premier coup. Mais dévorer des livres n’est pas sain pour tous ; je parle pour les faibles, pour ceux qui se laissent habituellement traverser par leurs lectures. À ceux-là, une gymnastique est nécessaire. Qu’ils la pratiquent ; ils s’affranchiront peu à peu de la nécessité d’y avoir recours.
Même à ceux qui n’étudient pas, mais qui cherchent à se rééduquer eux-mêmes, cette gymnastique sera salutaire. La lecture active est une école d’énergie, de volonté.
Lire ainsi est long, sans doute. On lira peu. mais on aura bien lu.
Quelques livres bien assimilés, dans une année, laisseront plus de profit que beaucoup de livres mal lus. Chacun d’eux allumera dans l’esprit un foyer d’où la lumière rayonnera.”
4. La technique de la lecture.
La première condition pour bien lire, c’est donc de lire avec attention. Encore faut-il savoir sur quoi doit porter notre attention.
On distingue ici plusieurs éléments : la notion abstraite ou idée ; le sentiment ; l’image ; les mots ; l’agencement des mots ou phrase ; le rythme. Un lecteur exercé embrasse tous ces éléments d’un seul coup d’œil ; mais pour atteindre ce point, où la lecture est un véritable plaisir, il faut un certain entraînement.
La méthode qui préside à cet entraînement est d’abord analytique, puis synthétique.
Quand vous lisez, vous devez d’abord vous poser un certain nombre de questions :
Qu’est-ce que l’auteur veut dire ; quel est le sentiment qui l’anime et dont il veut que nous soyons animés comme lui ; pourquoi a-t-il choisi tel mot plutôt que tel autre ; pourquoi écrit-il en petites phrases sèches (par exemple Mérimée) ou en longues phrases ondulées (comme Bossuet et Chateaubriand) ; ce rythme correspond-il au sentiment sous-jacent, ou le contredit-il ?
Cette analyse est nécessaire surtout quand on lit pour la première fois une œuvre d’un certain auteur. Chaque écrivain de valeur possède son rythme personnel, un vocabulaire qui lui est propre, une manière de présenter les choses qui n’appartient qu’à lui.
Il faut donc, avec chaque auteur, déterminer par l’analyse par quoi il ressemble à d’autres, et par quoi il en diffère. Nous ne demandons pas que vous deveniez des critiques littéraires à proprement parler, mais que vous appreniez au moins les principes de la critique littéraire, qui sont assez simples.
Comme en peinture et en sculpture, vous devez éviter aussi de juger la valeur littéraire et artistique de l’œuvre d’après le sujet traité.
Ainsi, un auteur peut mettre en scène des criminels, mais son œuvre peut être admirable au point de vue artistique ; en sens inverse, un auteur peut ne traiter que de sujets vertueux et n’en être pas un meilleur écrivain pour cela. Il convient donc de distinguer deux plans critiques : celui du contenu et celui de l’exécution.
Ii faut ainsi arriver progressivement à sérier les auteurs et à donner la préférence à ceux qui connaissent bien leur langue et les effets qu’on en peut obtenir. Peu à peu le sens littéraire s’affine par ce travail analytique, et on éprouve alors en présence d’un ouvrage mal écrit la même sensation désagréable que devant un tableau mal fait ou en entendant de la musique mal exécutée.
Pour bien sentir le rythme propre à un auteur, le mieux est de lire à haute voix chaque jour pendant quelque temps divers passages pris au hasard.
Du français bien écrit se reconnaît aussitôt à ce qu’on peut le « dire » sans fatigue.
L’exemple le plus typique à ce point de vue est celui des fables de la fontaine ; on doit les lire comme de la prose, sans se soucier des coupures typographiques.
On constate alors que tous les mots et toutes les phrases d’une fable “entrent”, comme on dit, les uns dans les autres, font un tout parfaitement rythmé, et que toute la fable se récite d’un bout à l’autre sans aucun effort.
On fera la même expérience avec les classiques, avec flaubert, alphonse daudet,
Maupassant, barrès et l’on discernera alors la différence entre le français « bien écrit »
Et le français « mal écrit ».
Au travail d’analyse doit succéder le travail de synthèse. Il exige un certain exercice préalable. le mieux est d’essayer d’écrire comme l’auteur qu’on vient de lire.
On se rend compte ainsi du mécanisme employé par l’auteur pour agencer ses mots en phrases, puis ses phrases en paragraphes représentant chacun un développement continu ; enfin, on comprend comment les chapitres sont constitués et comment leur ensemble fait un livre, c’est-à-dire une œuvre qui répond à certaines conditions de structure, d’harmonie et d’équilibre.
L’acquisition de cette technique permet de voir, rien qu’en feuilletant un livre nouveau et en parcourant la table des matières, comment l’auteur a conçu son sujet et dans quelle mesure il a réussi à l’exécuter.
Quand il s’agit d’un roman, il vaut mieux lire une première fois rapidement pour connaître “l’histoire ”, puis reprendre le livre phrase à phrase pour se rendre compte de la technique spéciale à l’auteur et apprécier les détails (descriptions, analyses psychologiques, actions et réactions des personnages, etc.)
Une œuvre scientifique, au contraire, doit être lue dès les débuts selon le procédé analytique, puis une deuxième fois pour dégager les idées directrices et situer les détails de l’exposé et de la démonstration par rapport au thème fondamental de l’ouvrage.
5. Le sens des mots.
Tous les conseils qui précèdent ne sont évidemment valables que si le lecteur connaît bien sa langue. Ceux qui ont étudié du grec et du latin comprennent mieux les mots français que ceux qui n’ont reçu qu’une instruction primaire, puisque le français vient de ces deux langues.
On possède ainsi le sens primitif, étymologique, de chaque mot et ceci donne au style, même dans une simple lettre commerciale, une précision et une fermeté particulières très sensibles. Aussi l’étude des langues germaniques n’a-t-elle pas pour les Français, les Italiens, les Espagnols, etc., la même valeur pédagogique et littéraire que celle du latin.
Il faut, en lisant un bon auteur, chercher toujours dans quel sens il emploie les mots qui constituent son vocabulaire. À ce point de vue, nous recommandons surtout l’étude des Essais de Montaigne et des Caractères de La Bruyère ; Rousseau est bien moins précis ; Voltaire a un vocabulaire relativement pauvre.
On a tout avantage à recourir aux dictionnaires qui indiquent l’origine des mots français, à rechercher leur sens étymologique et à examiner quelles nuances se sont au cours des siècles ajoutées à ce sens primitif.
Cette étude du sens des mots est dite sémantique ; c’est une science relativement nouvelle, qui est nécessaire non seulement à quiconque veut écrire, mais aussi à quiconque désire comprendre à fond ce qu’il lit.
Un deuxième élément de la lecture est l’étude de la place des mots. Selon qu’un mot est placé avant ou après un autre, selon qu’il est situé entre deux virgules, il acquiert dans la phrase soit un sens spécial, soit un sens renforcé.
L’atténuation, ou au contraire le renforcement, du sens par la position du mot dans la phrase est l’une des techniques les plus délicates de l’écrivain. Par suite, le lecteur doit prendre garde à cet élément à la fois littéraire et musical et se rappeler le fameux exemple de molière : “belle marquise, d’amour me font vos beaux yeux mourir.”
La valeur de position des mots se remarque surtout dans la lecture à haute voix. Nos grands prosateurs et les poètes modernes qui écrivent en “vers libres” ont toujours su faire de cet élément spécial un emploi judicieux.
Dans notre vers classique au contraire, il est rare que le poète ait réussi à l’utiliser parce qu’il était esclave de la métrique. Il faut alors remplacer la valeur de position par l’intonation.
Soit ce vers de corneille, dans cinna :
J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer.
On peut à volonté forcer la voix sur les mots embrasse, mon, rival, mais, c’est, étouffer, qui évoquent des sentiments et des actes différents.
Essayez vous-même de mimer l’embrassement et l’étouffement, la ruse ou l’hésitation que suggère, mais, la volonté et la cruauté qui sont dans c’est pour ; et vous verrez que même dans une phrase aussi simple et aussi directe qui appartient en somme au langage ordinaire, il existe plusieurs possibilités de nuances.
Le lecteur fera donc bien, quand il commence un auteur, de chercher si dans un même paragraphe qui expose le développement d’une idée, d’un sentiment ou d’une situation, l’écrivain a su faire concorder le sens, la place, la nuance, le son et le rythme avec la marche de ce développement.
Il ne faudrait pas croire que ces observations ne sont applicables qu’à la littérature proprement dite et à la poésie ; on peut discerner dans des écrits philosophiques et scientifiques comme ceux de Descartes, de d’Alembert, de Claude Bernard, de Ribot, d’Henri Poincaré, de Bergson, un sens tout aussi affiné du son et du rythme.
Un philosophe excellent, guyau, avait même résolument affirmé et mis en pratique ce principe que la langue philosophique et scientifique doit être aussi “poétique” que celle du poète.
Une lecture vraiment active est donc celle qui ne se contente pas de chercher le sens de ce qui est lu, mais tâche aussi de discerner et d’évaluer comment ce qui est lu a pu être écrit.
On peut, comme exercice pratique, essayer ensuite d’écrire “à la manière de”, c’est-à-dire tenter un pastiche, pour voir si on a bien compris le procédé de l’auteur.
Inimitables, parce que sans procédé aucun, sont la fontaine, dans ses fables et
Voltaire, dans ses lettres. C’est ici la perfection littéraire parce que tous les éléments du style sont combinés sans effort apparent, selon des proportions si harmonieuses qu’on a l’impression que n’importe qui parlerait et écrirait ainsi. Or, c’est tout le contraire.
Savoir lire enseigne, par l’étude critique des techniques des divers auteurs, à s’exprimer correctement en parlant et en écrivant.
6. Lectures créatrices.
Nous devons lire pour concevoir de nouvelles idées. Cela consiste à comparer les dires de l’auteur avec les informations et les idées que nous possédons déjà sur le même sujet ; c’est un autre moyen d’unifier nos connaissances ; seulement, dans ce cas, nous “confrontons” le passé et le présent dans le but de concevoir une nouvelle idée.
En effet, dit encore paul fauconnet dans l’article que nous avons déjà cité :
“pourquoi lire comme si l’on ignorait tout du sujet qu’on aborde ? on en a toujours quelques lueurs. Concentrez-les.
Dès que vous avez effleuré l’ouvrage nouveau, définissez, aussi nettement que possible, ce que serait votre manière de traiter le sujet.
Posez-vous des questions, que vous poserez à votre auteur. Constituez des cadres. ce que vous lirez devra y rentrer, ou plutôt les faire éclater et vous contraindre à les refaire.
Vous sentirez mieux le prix des nouveautés. Vous saurez ce que la lecture apporte, ce qu’elle confirme, ce qu’elle détruit.
Une attitude quelque peu combative ne nuira pas à l’intelligence de la pensée que vous avez à comprendre : au contraire. Bien entendu, quand vous comprendrez que vous n’aviez pas compris, vous céderez. Mais, mieux vaut céder peu à peu à votre auteur, que vous offrir à lui comme une cire molle.”
Prenons un exemple. À l’école, on vous a donné quelques notions sur le gulf stream, et il vous suffisait alors de savoir qu’il prend naissance dans le Golfe du Mexique, qu’il se dirige vers le Nord, et qu’il modifie le climat de l’Europe occidentale.
Plus tard, vous avez voulu connaître de nouveaux détails sur l’origine de ce courant d’eau chaude ; en étudiant le sujet, vous apprenez que les géographes l’expliquent par l’échauffement des eaux dans la région équatoriale.
Vous vous écriez : “ah c’est donc ça !” et si vous n’avez pas l’esprit critique trop développé, vous acceptez l’explication fournie. Dans le cas contraire, il vous reste un doute ; vous vous demandez si la cause alléguée suffit à expliquer le résultat.
Quelques mois s’écoulent et un livre décrivant le tremblement de terre de la
Martinique vous passe par les mains. Votre intérêt pour le golfe du mexique et les îles avoisinantes s’accroît.
C’est à ce moment que vous “confrontez” vos lectures passées et vos idées récemment acquises. Voici un immense courant d’eau chaude poursuivant sa course du Golfe du
Mexique vers le nord-est ; et voilà, dans la même région, des îles volcaniques.
Ces îles volcaniques n’ont-elles aucune relation avec l’origine du gulf stream ? les couches de terrain formant le lit de l’Océan ne seraient-elles pas assez minces dans ces parages pour que le feu central pût échauffer la température de la mer ?
Si la réponse était affirmative, la théorie des courants équatoriaux ne s’en trouverait d’ailleurs pas nécessairement détruite.
Les deux théories peuvent être exactes, bien que nous ignorions le degré de vérité de chacune d’elles. Il est même possible que votre “nouvelle” idée sur les origines volcaniques du Gulf Stream ne soit pas du tout une idée neuve ; en fait, c’est une vieille hypothèse depuis longtemps rejetée.
Mais là n’est pas la question. Le processus mental n’en reste pas moins bon. c’est celui qu’il faut adopter, car il réalise entre vos lectures passées et présentes une union créatrice.
7. Unifiez vos connaissances.
Considérons un autre exemple, qui soulignera la valeur des interrogations directes. Si vous étudiez la géographie, l’histoire, l’économie politique et sociale, ne les considérez pas comme des groupes de faits isolés et indépendants ; envisagez-les dans leurs relations réciproques.
Savoir trouver le pas-de-calais sur une carte d’europe est une chose ; c’en est une autre que de connaître le rôle qu’a joué ce bras de mer dans les destinées de la Grande-Bretagne et de la France ; mais ces deux choses sont étroitement connexes.
N’apercevez-vous pas que tout se tient ? il est aussi vrai de dire que le pas-de-calais sépare la france et l’angleterre ou qu’il les unit. Rien de plus intéressant, à cet égard, que d’interpréter l’une par l’autre la géographie et l’histoire.
Quelle est l’influence des montagnes sur le développement de la pensée ?
Quel rôle les alpes ont-elles joué dans l’histoire et le commerce ?
La situation de la grèce dans la mer méditerranée a-t-elle causé l’essor de son génie ?
Ces questions, et des milliers d’autres, sont de celles que se pose un esprit curieux, et, bien que les réponses qu’on y fait puissent n’être pas entièrement satisfaisantes, elles contiennent généralement assez de vérité pour démontrer l’unité de tous les intérêts humains.
Et notez-le bien, cette unité n’est pas seulement un sujet de calmes réflexions philosophiques : c’est un fait qui vous concerne souvent, car chaque vie en subit les conséquences.
En effet, les phénomènes sont solidaires les uns des autres et il ne faut pas croire que ce qui se passe dans un coin quelconque du monde soit sans influence sur le reste.
Ceci est vrai notamment des phénomènes économiques, qui sont de nos jours dans une interdépendance de plus en plus rapide et immédiate.
La disette de quelques denrées en bretagne ou en picardie fait renchérir les prix dans le pays entier ; une maladie de la vigne dans le bordelais ou trop de sécheresse en
Languedoc, change la valeur des vins à lille ou à strasbourg.
La valeur de la soie à lyon dépend des prix, non seulement à milan, mais en chine.
La solidarité des choses matérielles se retrouve dans d’autres phénomènes plus spirituels.
Buckle nous a montré que le nombre des mariages était réglé par le prix du blé, et il est possible que quelque chercheur isolé, s’appuyant sur l’idée du professeur jevons — lequel a affirmé que les crises commerciales sont causées par les taches du soleil, — découvre une loi encore inconnue du système solaire concernant non la matière, mais l’esprit.
8. L’usage des classiques.
Les classiques forment la base de l’enseignement que fournissent les lectures. Or, il y a la bonne et la mauvaise méthode pour étudier un classique, qu’il s’agisse d’un grand livre de sagesse ancienne ou de pensées plus modernes.
Nous allons supposer, par exemple, que vous avez choisi une édition des sonnets et des Odes de Ronsard, dûment annotés par un critique compétent.
Après avoir lu quelques vers, vous vous reportez aux annotations pour préciser la signification d’un mot ou d’un autre ; vous consultez également un dictionnaire classique et un manuel de littérature.
Pendant ce temps, le poème lui-même, qui est la véritable réalité, est laissé de côté.
Ceci est la mauvaise manière d’étudier un classique.
Laissez les détails pour une seconde lecture. La première doit être consacrée à goûter le plaisir qu’elle procure et à apprécier le message du poète. ce message s’adresse à l’âme plus qu’à l’intelligence pure.
Étudiez de cette manière les grandes pensées du passé et du présent. Imprégnez-vous de leur esprit ; saisissez leurs intentions ; assimilez leur philosophie. Ensuite, d’un pas plus lent, éclaircissez leurs obscurités et découvrez leurs beautés cachées.
Vous pénétrerez le sens d’un texte classique si vous apprenez à situer :
1 ° le morceau dans l’œuvre ;
2 ° l’œuvre dans la production entière de l’écrivain ;
3 ° l’écrivain dans son temps ;
4 ° son temps dans le milieu historique, c’est-à-dire l’avant et l’après.
Par classiques nous n’entendons d’ailleurs pas seulement les auteurs de l’antiquité ou ceux du dix-septième siècle. Le mot change de sens à mesure que les siècles s’accumulent et que les nouvelles générations conçoivent de nouvelles formes d’art.
Actuellement, les romantiques sont déjà pour nous classiques, comme sont classiques les représentants de l’école réaliste et naturaliste ; même les écoles littéraires dites parnassienne et symboliste appartiennent déjà au passé et leurs adeptes représentatifs, comme Leconte de Lisle pour la première, Verlaine et Mallarmé pour la seconde, sont rangés parmi les « classiques ».
Il en va de même en prose : chateaubriand et stendhal sont maintenant élevés au rang des classiques tout comme l’étaient voltaire, rousseau, bossuet, etc.
Les traités et manuels de littérature sont obligés de classer les écrivains dans un certain nombre de groupes nommés écoles et munis chacun d’une étiquette ; mais ces divisions sont toujours à quelque degré artificielles.
L’écrivain, quel qu’il soit, est toujours plus riche et plus varié que cette étiquette ne permettrait de le supposer. Aussi le lecteur fera-t-il bien de ne pas se laisser trop influencer par ces distinctions destinées à l’enseignement et de lire les grands écrivains sans se préoccuper d’abord comment on les classe théoriquement.
De même, il fera bien de ne pas lire seulement d’un auteur dit “classique” ce qu’on nomme ses chefs-d’œuvre. Pour comprendre Corneille, la pièce intitulée Mélite est bien plus intéressante que les grandes tragédies, moins franches et plus artificielles, comme le Cid.
Celui qui veut comprendre les auteurs de l’antiquité et des siècles passés doit supposer qu’il est leur contemporain et les lire comme s’il vivait avec eux. Le caractère des grands écrivains est en effet d’être universellement humain, comme en dehors du temps et de l’espace.
Il suffirait souvent de changer quelques noms propres et d’éliminer certains détails locaux ou certains termes spéciaux ou sortis de l’usage, pour moderniser leurs œuvres.
Si, dans les dialogues de socrate, les personnages se nommaient pierre et jean, le raisonnement et l’analyse psychologiques ne seraient modifiés en rien et l’actualité du
“drame socratique” sauterait immédiatement aux yeux.
Lire les classiques, c’est donc leur tendre la main à travers l’espace et le temps et chercher dans leur œuvre ce qui est éternel.
9. Le procédé de la formule.
Tout esprit qui a laissé son empreinte dans le monde doit avoir été poussé intérieurement par quelque idée spéciale. Il avait un objet en vue, et c’est ce que la formule essaye de définir.
La méthode des formules, judicieusement appliquée, donne d’excellents résultats.
C’est celle d’hippolyte taine. Dans une lettre à de witt (1855), il écrit : “la difficulté que j’éprouve dans une investigation, c’est de découvrir un trait caractéristique et dominant, d’où tous les détails peuvent être réduits presque géométriquement ; en un mot, ce dont j’ai besoin, c’est d’avoir la formule de mon sujet”. II donne alors un exemple. La formule pour Tite-Live est : « Un orateur qui devient historien. Ses fautes, ses qualités, son influence… en découlent… Possédant la formule, dit-il ailleurs, vous avez le reste. Les faits tiennent au large dans une demi-ligne : vous enfermez 1,200 ans et la moitié du monde dans le creux de votre main. »Walter Pater, l’essayiste anglais, adopta la même méthode. Son biographe dit qu’avant de traiter un sujet, il se demandait toujours : « Quelle est la véritable nature de cet homme ou de cet objet ? Quelle est l’impression particulière, la qualité du plaisir particulier que son œuvre nous fait éprouver et que nous ne pouvons trouver ailleurs ?
En un mot, quelle est sa formule ? »
Le danger consisterait à pousser cette méthode trop loin. Taine voulait tout déduire géométriquement, mais, malgré son talent, il n’y réussit point.
Vous ne pouvez renfermer une personnalité dans une formule, mais vous pouvez souvent trouver une formule qui vous aidera grandement dans votre travail d’interprétation.
Peut-être y a-t-il une formule pour platon, une pour saint paul, une pour pascal.
Mais il faudrait bien se garder de croire qu’une telle formule puisse définir, l’homme tout entier ; elle ne peut qu’indiquer la signification de cette partie de lui-même qui se trouve exprimée dans son œuvre.
C’est déjà un très grand avantage, et nous pensons que c’est un exercice intellectuel attrayant, que de chercher la formule des auteurs qu’on étudie.
Le procédé de la formule peut s’appliquer d’ailleurs non pas entièrement à un auteur, mais à l’une de ses œuvres seulement.
Comme exercice, choisissez un roman de balzac, flaubert, daudet, france, etc.,
Tâchez de dégager les conceptions dominantes de l’œuvre et d’en établir la formule ; puis, faites le même exercice avec d’autres romans des mêmes auteurs et confrontez les résultats.
Vous constaterez par exemple, que plusieurs romans de flaubert se ramènent à la formule du bovarysme.
Chapitre III
Ce qu’il faut lire
Après avoir formulé ces principes généraux, nous devons à nos étudiants de leur indiquer les ouvrages principaux qu’il leur convient de lire. On doit distinguer ici entre les livres qui traitent de généralités et ceux qui traitent de spécialités. Pour ces derniers le problème est relativement simple.
1. Spécialités et généralités.
Il va de soi que chaque professeur, médecin, avocat, ingénieur, agriculteur, technicien en mécanique, électricité, optique, etc., est obligé de se constituer une bibliothèque personnelle comprenant les publications fondamentales nécessaires à sa profession
(dictionnaires, traités et manuels, monographies) et de se tenir au courant des découvertes nouvelles en s’abonnant aux revues spéciales et en achetant les ouvrages nouveaux.
Par contre, d’autres professions n’exigent pas la constitution d’une riche bibliothèque personnelle : la comptabilité, le commerce de gros et de détail, la réparation mécanique.
De même les employés de banque, les secrétaires et dactylographes n’ont pas non plus autant besoin de livres ou de périodiques spéciaux pour se perfectionner au point de vue strictement professionnel.
Dans d’autres cas, commerce d’importation et d’exportation, commission, etc., des statistiques suffisent en principe. Mais il faut tout de même connaître les à-côtés de la profession, notamment la publicité et son organisation.
Dans la pratique, il se présente donc toutes sortes de possibilités, qui vont de l’ouvrage le plus général à l’ouvrage le plus spécial.
Sur ce dernier point nous n’avons guère d’indications à donner, sinon la suivante : qu’il faut éviter de se laisser dépasser dans sa profession, ce qui revient à dire qu’il faut se tenir au courant des découvertes et des procédés nouveaux d’une manière continue et systématique.
Pour chaque spécialité, il existe de nos jours des revues qui signalent et résument les nouvelles publications et des répertoires bibliographiques nationaux et internationaux constamment tenus à jour. C’est à chacun de choisir parmi les revues de sa spécialité celles qui répondent le mieux à ses besoins personnels.
2. Le vocabulaire et l’étude des mots.
Chaque science et chaque art emploient un certain nombre de mots particuliers dont le sens n’est pas intelligible du premier coup pour ceux qui ne sont pas spécialistes dans cette science ou dans cet art. L’ensemble de ces mots constitue un vocabulaire spécial.
Trop de gens ne se donnent pas la peine, en lisant, de chercher à connaître le sens précis des mots et, par suite, ne comprennent pas vraiment l’exposé de l’auteur.
Nous recommandons de ne jamais se laisser aller à cette paresse, qui est l’une des formes de la lecture passive dont nous avons parlé ci-dessus, mais de toujours recourir au dictionnaire dès qu’un mot rencontré au hasard des lectures ne paraîtra pas clair.
En outre, même les mots du langage courant se présentent avec beaucoup de nuances selon l’époque et selon l’auteur ; ici aussi s’impose un recours au dictionnaire.
Toutes les fois qu’on étudie un mot, il faut lire le commentaire qui l’accompagne, regarder quel est son sens primitif et étymologique, comparer les textes cités par le dictionnaire où ce mot a été employé selon ses diverses nuances. On apprend ainsi, non seulement à bien comprendre ce qu’on lit, mais aussi à écrire et à parler avec précision, sinon même avec élégance.
Ajoutons qu’apprendre par cœur les divers sens d’un mot tels que les donnent les dictionnaires un peu complets est un excellent exercice de mémoire.
Un autre procédé pour bien connaître sa langue consiste à serrer de près le sens des synonymes. En réalité il n’y a pas de synonymes exacts ; chacun peut voir que les mots coursier, destrier, cheval, rosse, dada, tout en concernant un même animal, le désignent sous des aspects différents. Autrement dit, ces mots sont unis les uns aux autres par un rapport analogique.
La connaissance des rapports analogiques est très utile à ceux dont la mémoire n’agit pas automatiquement. Si j’ai besoin du mot miséricorde et qu’il me fasse momentanément défaut, j’arriverai à l’évoquer par les mots charité, bonté d’âme, sensibilité, pitié. Tous ces mots forment un groupe analogique.
C’est un très bon exercice, en lisant, de remplacer dans un texte un mot par ses analogues et de chercher pourquoi l’auteur a choisi celui-ci et non pas celui-là. On apprend ainsi à bien comprendre l’auteur, et à employer soi-même les mots dans le sens voulu.
Mais les mots ont entre eux des liens bien plus complexes. Le progrès suivant consistera donc à étudier l’histoire de sa langue maternelle ; non seulement l’histoire de la langue littéraire, mais aussi celle des dialectes et patois.
C’est alors seulement qu’on arrivera à comprendre pourquoi et par quoi le français du vingtième siècle diffère du français des siècles précédents et quelles sont les caractéristiques des diverses écoles littéraires.
3. La littérature.
Chacun doit avoir à cœur de connaître au moins les grandes lignes de l’histoire littéraire de son pays, car la littérature est l’une des forces principales de rayonnement d’un peuple.
La littérature française est riche et variée. C’est de france que sont partis plusieurs grands mouvements littéraires qui ont ensuite réagi sur la littérature des autres peuples :
Le grand mouvement des chansons de geste au moyen âge ; celui de Montaigne, d’Henri Estienne et de Rabelais pendant la Renaissance ; au dix-septième siècle, le mouvement classique, caractérisé par Corneille, Racine, etc. ;
Au dix-huitième le mouvement des encyclopédistes, de rousseau, de voltaire ; au dix-neuvième, le mouvement romantique ; puis le naturalisme, le symbolisme, etc.
Il convient de lire d’abord un traité de littérature peu détaillé, de manière à bien connaître les grandes lignes et les caractéristiques principales de chaque période littéraire. Le mieux est de commencer par un aide-mémoire comme ceux qui sont destinés à la préparation du baccalauréat.
Ensuite, on lira des traités plus étendus et plus détaillés, en apprenant les faits, mais en réservant son opinion pour ce qui concerne les appréciations et les critiques.
Chaque auteur d’un traité de littérature et chaque critique littéraire a nécessairement des points de vue personnels. Aussi convient-il de contrôler les critiques littéraires les uns par les autres, jusqu’a ce qu’on soit capable de se faire une opinion soi-même.
Cette opinion personnelle doit être fondée sur la lecture des écrivains eux-mêmes.
Sans doute, on peut commencer par des extraits, des morceaux choisis ou des anthologies ; mais il faut se rappeler que ces choix sont eux aussi dictés par des préférences individuelles. Le mieux est donc toujours de lire les œuvres complètes.
Nous ne conseillons pas de s’attaquer ainsi à toutes les périodes littéraires en même temps ; chacun peut choisir celle qui lui plaît le plus et l’étudier à fond. Il faut aussi prendre garde que certains écrivains classés officiellement parmi ceux de second ou de troisième ordre sont souvent plus proches des lecteurs du vingtième siècle parce que plus sincères.
La lecture des mémoires, dont quelques-uns (retz, grammont, saint-simon,
Chateaubriand, etc.) ont une valeur littéraire certaine, est aussi une bonne introduction aux études littéraires.
Il ne faut pas considérer la littérature comme si c’était un ensemble de faits morts, mais tâcher de se replacer dans le milieu psychologique et social où ont vécu les écrivains.
Dans leurs œuvres, ils ont exprimé non pas tant des sentiments abstraits que des sentiments qu’ils ont à quelque degré éprouvés comme les héros qu’ils font parler ; les écrivains ont comme nous aimé et souffert ; leurs œuvres sont des miroirs.
Donc, intéressez-vous à eux ; et comprenez que, sous ses formes si diverses, la littérature d’un peuple exprime des tendances profondes, qui ont d’ailleurs varié au cours des siècles.
Puisez aussi dans la lecture des auteurs les formes parfaites d’expression des idées, les rythmes psychiques.
Un écrivain est, comme un peintre ou un musicien, une personnalité plus sensible que la moyenne, plus riche et plus nuancée. S’il a écrit, c’est pour vous communiquer cette richesse ; donc, empruntez-lui sans crainte, car c’est répondre à son désir.
N’oubliez pas que les classifications littéraires sont approximatives et que l’homme, dans chaque écrivain, était bien plus complexe que ne le donne à entendre l’étiquette qu’on lui applique dans un simple but d’étude.
Bossuet est certes aussi « romantique », par le mouvement de sa phrase et la magnificence de ses images que Chateaubriand ; de ce même Bossuet à Flaubert, la distance n’est pas si grande que le feraient croire les manuels. En plein classicisme, il y a eu des poètes qui ont senti la nature aussi vivement et qui l’ont exprimée aussi directement que Verlaine.
Aussi vous conseillons-nous, quand vous aurez compris les grandes lignes de l’évolution littéraire en France, de choisir certaines séries, par exemple les poètes épiques ou les poètes lyriques, et de chercher à voir comment des sentiments identiques ont été exprimés par des moyens différents au cours des générations.
Comparez de même des prosateurs ; étudiez par exemple comment ont été décrits des paysages de plaine ou de montagne par des écrivains appartenant à des périodes littéraires différentes.
Ainsi comprise, l’étude de la littérature aiguise l’observation des formes verbales et affine le jugement ; elle est un exercice psychologique de premier ordre.
4. L’étude générale des sciences.
Nous n’avons pas à indiquer ici à chaque spécialiste quels sont les livres et autres publications qui lui sont nécessaires dans l’exercice de sa profession, mais seulement à rappeler aux divers spécialistes qu’ils doivent garder le contact avec les sciences voisines.
C’est un grand défaut, très répandu de nos jours, que de croire que les diverses branches de la science sont indépendantes les unes des autres et séparées comme par des murs et des cloisons.
Depuis quelques années se dessine, fort heureusement, un mouvement de concentration et de synthèse des sciences. On a fini par admettre que certaines d’entre elles sont nécessairement à cheval sur ces prétendues séparations.
Ainsi, la géographie, qui était autrefois regardée comme « littéraire », est aussi devenue « scientifique » par adjonction de la géologie, de la biologie et, dans une autre direction, de l’économie politique. On ne sépare plus comme autrefois, la physique de la chimie ; mais on parle de physique-chimie.
Les spécialistes doivent donc se tenir au courant des progrès des sciences voisines de la leur. Nous ne disons pas qu’il leur faut étudier ces sciences connexes à fond et dans le détail ; ce qui importe, c’est d’en connaître les principes fondamentaux et de comprendre dans les grandes lignes leur orientation théorique et leur application pratique.
Sans doute, même l’étude des théories générales de chaque science, l’intelligence et l’application de ses méthodes d’observation et d’explication, nécessitent une instruction poussée jusqu’à un certain niveau.
Nous ne conseillerons pas à n’importe qui de se lancer dans la théorie des atomes et des molécules ou dans le calcul des probabilités. Mais chacun peut concentrer ses efforts sur celles d’entre les sciences qui lui procureront plus de profit et plus de plaisir intellectuels.
Très utile, et relativement moins pénible, est aussi l’histoire des diverses sciences : la biographie des savants, l’exposé de leurs méthodes, de leurs recherches et de leurs découvertes, la critique de leurs théories donnent à l’esprit un entraînement excellent.
Nous vivons dans une période où les sciences ont fait des progrès rapides et stupéfiants : ce qu’on sait actuellement n’est pourtant que peu de chose auprès de ce qu’on ignore.
La téléphotographie, la radioactivité, les ondes hertziennes, l’aviation, permettent tous les espoirs : il serait indigne des pelmanistes de se désintéresser des progrès qui vont radicalement modifier le type essentiel de notre civilisation.
5. Philosophie et psychologie.
La philosophie n’est plus comme autrefois un domaine réservé à quelques esprits réfléchis et pénétrants : depuis la diffusion de l’imprimerie, les pensées et les systèmes élaborés par les penseurs sont devenus un bien commun à tous et nul n’a le droit d’ignorer cette activité mentale qui est la plus haute et la plus belle de toutes.
Nous ne recommandons pas à nos étudiants de commencer par les philosophes actuels ; il faut d’abord avoir étudié les philosophes antérieurs de manière à connaître au moins les grandes lignes des divers systèmes selon leur ordre historique et logique.
La base de toute pensée pour les européens est la philosophie grecque ; c’est sur cette base qu’ont été construits tous les développements ultérieurs.
Il faut ensuite acquérir au moins quelques notions sur les philosophes du moyen âge, parce que leur influence a persisté au dix-neuvième siècle et a reconquis une certaine faveur au vingtième.
Fondamental est le système de descartes ; on étudiera aussi avec soin les deux systèmes divergents de Kant. Au dix-neuvième siècle ont été élaborés plusieurs systèmes philosophiques qui conservent leur influence de nos jours dans une direction ou une autre.
Rappelons ici qu’on ne doit pas étudier les divers systèmes philosophiques d’une manière abstraite, mais chercher dans chacun d’eux des enseignements pratiques. Il est faux de prétendre que « tout a été dit ».
Il n’a pas été dit la millième partie de ce qui pourrait être dit, ou sera dit d’ici cinq mille ans.
Car la connaissance de la nature augmente, la psychologie personnelle s’enrichit ; nous avons des sensations plus affinées que les romains ou les grecs chez lesquels une élite d’une quinzaine d’individus à peine par génération représentait à elle seule la civilisation supérieure.
Un homme moyen moderne est aussi loin de l’homme moyen grec ou romain que celui-ci était lui-même éloigné du sauvage de l’époque préhistorique. La quantité de choses que sait un mécanicien ou un typographe est formidable à côté de ce que savaient Socrate ou Aristote.
Mais il y a certaines données universellement humaines qui sont nécessairement immuables, puisqu’elles font partie de la condition spécifique de l’être humain.
Ces données, nous demandons à l’étudiant de les découvrir par lui-même dans les écrits des philosophes de tous les temps et de tous les pays.
C’est ainsi qu’il distinguera sous la variété des formes et des activités, les grandes lois qui règlent l’activité humaine et qu’il se sentira en communion non pas seulement avec les penseurs de partout, mais aussi avec les hommes de partout.
Autrefois, le terme « philosophie » avait un sens extrêmement étendu ; puis un certain nombre de sections se sont séparées et ont acquis leur autonomie : la métaphysique, la logique, la morale (ou éthique) et surtout la psychologie.
Cette dernière intéresse les pelmanistes tout spécialement ; elle se subdivise en psychologie théorique, représentée en France surtout par Théodule Ribot et en psychologie expérimentale, organisée d’abord par Alfred Binet.
La revue la psychologie et la vie, fondée par l’institut pelman, a pour but de tenir le grand public au courant des méthodes et des buts de cette science sous ses deux aspects.
Nous recommandons aussi à nos lecteurs d’étudier les ouvrages consacrés à la logique, afin de se rendre compte du mécanisme du raisonnement et du jugement.
6. Sociologie et économie politique.
Au cours du dix-neuvième siècle a été élaborée une science nouvelle : la sociologie, c’est-à-dire l’étude des éléments et des facteurs de la vie en société.
Cette science possède son domaine et sa méthode propres en ce qu’elle étudie les phénomènes collectifs, par opposition à l’ancienne philosophie et psychologie qui étudiaient les phénomènes individuels.
La sociologie a un aspect pratique sur lequel on n’a d’ailleurs encore insisté que fort peu. Étudier la psychologie des masses est une chose ; utiliser cette connaissance pour le bien de tous en est une autre, mais qui est en dépendance de la première.
Bien comprise, la sociologie contribue à faire disparaître toutes sortes de préjugés hérités des siècles passés et à saisir les avantages des innovations sociales.
Il est certain que la vie du paysan moderne est en progrès sur celle du paysan-esclave de l’antiquité ou du paysan-serf du moyen âge. Nos paysans connaissent l’écriture, la lumière artificielle, les moyens de transport rapide, les avantages de l’hygiène, et de plus en plus se trouvent, par le téléphone et la t. s. f., en contact direct avec le monde tout entier.
Cette différence de vie influe nécessairement sur l’évolution à la fois des conceptions et des institutions.
C’est ici que la sociologie apparaît comme capable d’exercer une influence en ce qu’elle fait comprendre « pourquoi » on vit de telle manière actuellement et « comment » il serait possible de vivre autrement dans quelques années ou quelques siècles, étant donné que l’évolution des conceptions et des institutions se fait selon un certain nombre de lois générales.
Une section spéciale de la sociologie, l’économie politique, joue un rôle à la fois théorique et pratique de plus en plus grand.
Il importe de connaître au moins dans leurs grandes lignes les divers systèmes économiques élaborés au cours du dix-neuvième et du vingtième siècle et qui ont pour but d’expliquer les rapports du Capital et du Travail.
Ces systèmes ont exercé une influence à la fois économique, sociale et politique profonde ; il faut donc savoir ce que c’est ; pour cela, recourir aux traités sérieux et non pas seulement aux articles de journaux ou aux ouvrages de vulgarisation superficielle.
L’étude est alors un peu plus pénible ; mais du moins, on y gagne de comprendre les phénomènes qui se déroulent sous nos yeux et dans le mouvement desquels nous sommes tous entraînés, bon gré, mal gré.
Plus la civilisation se complique, plus le facteur économique devient puissant ; plus aussi les répercussions des phénomènes locaux s’internationalisent.
Aussi ne saurions-nous assez attirer l’attention de nos étudiants sur une science qui a longtemps été cultivée seulement par un petit nombre de personnes, mais qui de nos jours tend à devenir une véritable force mondiale.
Nos étudiants n’ignorent pas que dans toutes les grandes discussions politiques, on fait appel maintenant à la collaboration des économistes.
Les problèmes du change, de la vie chère, de l’apprentissage, etc. Sont toujours à l’ordre du jour et il vaut mieux acquérir sur ces problèmes des données précises et scientifiques que de vivre dans une ignorance d’autant plus dangereuse pour l’individu et pour la nation que l’ère des grandes crises est loin d’être close.
7. Histoire.
Les événements actuels sont la conséquence d’événements antérieurs ; aussi la connaissance du passé est-elle nécessaire à l’intelligence du présent.
Il est inutile de s’appesantir beaucoup sur ce qu’on nomme l’histoire-batailles, ni sur les dates de naissance et de mort des souverains, ou de savoir par cœur celles des traités de paix, ou encore le détail des campagnes militaires.
Mais tout le monde doit avoir des notions précises sur l’histoire des institutions, et connaître les caractéristiques des diverses périodes de la civilisation.
Actuellement encore, on distingue en europe deux régions où la psychologie collective diffère : celle qui a été romanisée et celle qui ne l’a pas été. De même, les effets de la Renaissance se font encore sentir de nos jours ; ceux de la Révolution française sont dans leur plein développement.
Il faut étudier non pas seulement l’histoire nationale, mais aussi celle du monde entier.
Nous entrons, grâce à la rapidité accrue des paquebots et des locomotives, grâce aussi à l’automobile, à l’aviation, à la t. S. f., dans la période internationale par excellence.
Aussi l’enseignement de l’histoire se modifie-t-il rapidement ; on tend à mieux mettre en lumière les relations entre les peuples, on cherche à dégager les lois de la formation des états, des nations et des nationalités.
L’histoire se subdivise en un certain nombre de sections qui ont peu à peu acquis une certaine autonomie : l’histoire de la littérature, des beaux-arts, des sciences, dont nous avons déjà parlé ; puis l’histoire des techniques, l’histoire des religions, l’histoire de la philosophie, du droit, des institutions politiques. Pour chacune de ces spécialités, il existe des manuels, des monographies, des revues.
Deux spécialités présentent un intérêt particulier pour les pelmanistes : l’histoire des croyances et coutumes populaires, parce que chacun de nous vit dans un certain milieu et doit tâcher de comprendre les caractéristiques de ce milieu ; et l’histoire des doctrines économiques, parce que tout le développement économique est en relation avec certaines conceptions générales concernant le libre échange, le protectionnisme, le salaire, la valeur, le capital, etc.
Les pelmanistes doivent savoir que le milieu psychique d’une part, le milieu économique et social d’autre part, sont des faits dont ils ne peuvent faire abstraction et qui influent directement sur leur vie individuelle.
8. Géographie et anthropologie.
Si l’histoire étudie les hommes dans le temps, la géographie les étudie dans l’espace.
Tout ce qu’on a dit ci-dessus de la tendance à l’internationalisation des relations humaines s’applique à la géographie.
On ne peut plus, comme autrefois, vivre à l’intérieur des frontières, ni même à l’intérieur de l’Europe. De plus en plus, la politique d’un État particulier réagit sur celle de tous les autres.
Les états-unis influencent le sort de l’europe, mais ne pourraient vivre sans l’europe ; ces deux parties du monde ont les yeux fixés sur la politique du japon et celui-ci tient à savoir comment évoluent politiquement la belgique et la hollande.
Aussi recommandons-nous toutes les fois que passe dans un journal ou une revue une discussion où interviennent des données géographiques (traversée en avion de l’Atlantique, événements de Chine, etc.) de consulter un atlas et mieux encore de dessiner un petit croquis comprenant les éléments principaux de la discussion.
C’est en effet par le croquis qu’on apprend le mieux la géographie et qu’on arrive à se représenter visuellement les diverses régions du globe.
Le domaine de la géographie s’est beaucoup étendu ces années dernières et s’est subdivisé en un certain nombre de spécialités comme : la géographie sociale, la géographie physique, la géographie météorologique, etc.
Une section nouvelle, dite géographie humaine, est à cheval sur deux sciences, la géographie proprement dite ou étude de la Terre et l’anthropologie générale ou étude de l’Homme.
Ce qui nous intéresse le plus, c’est évidemment la manière dont sont réparties sur la surface de la terre les diverses races et leurs civilisations.
L’anthropologie se subdivise en anthropologie physique ou étude des races humaines et en ethnographie, ou étude de leurs civilisations depuis l’époque préhistorique jusqu’à nos jours.
Il importe de plus en plus, de nos jours, de comprendre les bases des diverses civilisations, car le contact devient de plus en plus intime entre elles.
Malgré la tendance à l’uniformisation sur la base technique (chemins de fer, électricité, etc.), il subsiste entre les divers peuples des différences profondes et essentielles, sans la connaissance desquelles on ne comprend rien à la politique mondiale.
La géographie, l’anthropologie physique et l’ethnographie de nos colonies doivent être apprises à fond.
Nos colonies sont en effet un enjeu important dans la force de résistance et de rayonnement de la France ; aucun Français ne doit s’en désintéresser. L’Afrique du Nord est moins une colonie qu’un prolongement naturel de la métropole ; on doit la connaître aussi bien que le sol natal.
Pour ces raisons, la géographie et l’anthropologie générale, trop délaissées jusqu’ici, ont pris récemment le rang de sciences de première nécessité.
9. Beaux-arts.
L’étude des beaux-arts comporte deux sections : l’étude historique et l’étude esthétique.
La première, qui n’est qu’une section spéciale de l’histoire, consiste à connaître la vie des sculpteurs, des peintres, etc., ainsi que les caractéristiques du milieu naturel et du milieu social où ils ont vécu ; puis, la liste de leurs œuvres et l’endroit où elles sont conservées.
L’étude esthétique est bien plus complexe. Elle comprend nécessairement une partie technique, car la manière de travailler la pierre n’est pas la même chez les divers sculpteurs ; de même, chaque peintre, ou presque, a sa manière propre d’employer ses couleurs ; ceci est vrai aussi du graveur sur cuivre, du ciseleur de métaux précieux, de l’émailleur et du cloisonner.
Dans tous les arts plastiques, il y a un côté métier qu’il est souvent difficile de comprendre si l’on n’a pas mis soi-même la main à la pâte.
Cette technique est caractéristique non seulement des divers artistes en particulier, mais aussi des « écoles ».
Ainsi, les impressionnistes n’ont pas appliqué les couleurs sur leur toile comme l’appliquaient les peintres de la Renaissance ; certains peintres ont travaillé à plat, d’autres en relief. Il y a ici toutes sortes de modalités, qui exigent une étude spéciale.
Vient ensuite l’appréciation du résultat obtenu, qui constitue l’étude esthétique proprement dite. La critique esthétique est celle où l’on a le plus promulgué de dogmes qui tendaient à opposer des barrières aux innovations. Nous nous garderons bien de formuler ici des règles qui seraient sans utilité aucune.
Sinon la suivante : on doit autant que possible se mettre à la place de l’artiste et tâcher d’éprouver les mêmes sentiments que lui, en admettant d’avance que tout artiste est sincère et a voulu exprimer quelque chose.
Un artiste se distingue des hommes ordinaires en ce que sa sensibilité est plus affinée et qu’il voit dans les choses plus que les autres. Il faut donc faire un effort pour se mettre à sa place.
C’est ce qu’on a exprimé en disant qu’un portrait ou un paysage sont un « état d’âme ».
Si, en effet, on compare les paysagistes français, anglais, hollandais, etc., qui ont traité des sujets semblables, on constate une très grande différence non seulement dans le choix des éléments du tableau, mais aussi dans leur disposition (celle des paysages de Watteau est caractéristique par son architecture) et dans la combinaison des teintes.
Nous ajouterons un conseil pratique : ici aussi, il ne faut regarder les classifications des auteurs de traités et des critiques d’art que comme des cadres commodes.
En fait, chaque artiste vraiment puissant et original a appartenu à plusieurs écoles à la fois et a exprimé au cours de sa vie plusieurs manières de sentir, en utilisant plusieurs « manières » d’exécution.
Ceci est vrai de la musique comme des divers arts plastiques. Inférieurs sont les artistes qui, ayant trouvé une « manière », l’ont ensuite répétée toute leur vie et en ont fait un « procédé ».
Le véritable artiste est celui qui se renouvelle sans cesse : le spectateur ou l’auditeur doit donc se renouveler avec lui.
10. Dictionnaires et encyclopédies.
Il faut prendre garde, en utilisant ces instruments de renseignements, de toujours regarder d’abord la date de rédaction et de publication.
Un dictionnaire qui a été rédigé il y a une vingtaine d’années est forcément incomplet ; mais une encyclopédie qui date de vingt ans donne des idées fausses sinon dans la partie historique proprement dite de chaque article (et encore, puisque des documents ignorés peuvent avoir été découverts dans l’intervalle) du moins dans la partie interprétative.
Ceci est vrai surtout des sciences : dans une encyclopédie datant de vingt ans on ne peut trouver que des explications erronées de la chaleur, de l’atome, de la cellule, de la lumière, des vibrations, ondes et ondulations (lumineuses, électriques, caloriques, hertziennes, etc.)
Si l’on commence à étudier un sujet, le recours à une encyclopédie est recommandé parce qu’on obtient ainsi une vue condensée de l’historique d’une question.
Mais on doit se dire que depuis la publication de ce dictionnaire ou de cette encyclopédie, des progrès ont été faits non seulement sur des points de détail, mais aussi dans les généralités.
La plupart des recueils de ce type terminent chaque article par une bibliographie plus ou moins complète : on cherchera quelle est la date la plus récente des ouvrages signalés et on complétera ensuite l’étude en recourant aux ouvrages parus ultérieurement.
En règle générale, les connaissances acquises dans une encyclopédie ne sont utilisables que sous bénéfice de contrôle ; il ne faut jamais se baser sur elles dans une discussion scientifique ou technique, mais tâcher de se procurer les ouvrages les plus récents sur la question à l’étude ou en discussion. Comme souvent ces ouvrages font allusion à des faits devenus historiques, on pourra recourir au dictionnaire ou à l’encyclopédie pour comprendre ces allusions.
On remarquera en outre que cette sorte de publications est le plus souvent collective ; or, les auteurs des divers articles n’ont pas tous la même valeur ; quelques-uns sont des vulgarisateurs sans autorité scientifique fondée sur des recherches personnelles ; cette diversité des auteurs introduit donc un autre élément de moins-value.
Nous insistons beaucoup sur l’importance de ces remarques : le pelmanisme n’a pas pour but d’instruire à moitié et incomplètement, mais d’indiquer à chacun la méthode pour s’instruire à fond et exactement.
Nous ne voulons pas que nos étudiants deviennent des demi-savants, mais qu’ils assimilent les procédés de pensée et d’exécution qui caractérisent les savants véritables, autrement dit : qu’ils acquièrent à la fois la précision critique et l’exactitude du jugement.
11. Valeur des études comparées.
Il doit être bien entendu que les divisions et subdivisions indiquées ci-dessus ne sont qu’un procédé de classement et que dans la vie réelle, les diverses sciences se fondent l’une dans l’autre.
Ainsi, la psychologie touche à la sociologie, qui touche à l’économie politique, qui touche à la géographie, qui touche à l’ethnographie, qui touche à l’histoire de l’art, laquelle touche à l’esthétique ; et ainsi de suite.
Aussi, en présence de la variété des productions de l’esprit et de l’effort humains, ne faut-il nullement perdre la tête ni vouloir tout apprendre et tout comprendre à la fois.
On peut commencer par n’importe quelle science pour acquérir peu à peu des connaissances précises, quoiqu’encyclopédiques.
Il suffit de comprendre que la méthode scientifique est une : qu’elle est exactement la même dans la botanique et dans la critique d’art, dans la chimie et dans la sociologie ; et que ce qui diffère, ce sont uniquement ses applications à telles ou telles séries de faits.
C’est une grande découverte de la fin du dix-neuvième siècle que d’avoir mis en lumière l’importance, pour l’intelligence des diverses sciences, de la méthode comparative.
Auparavant, on laissait chaque science évoluer dans son plan propre ; puis on a compris que comparer la psychologie humaine à la psychologie animale, par exemple, faisait comprendre les deux spécialités plus à fond, par application d’une double méthode de détail : la méthode des ressemblances et la méthode des différences.
Tour à tour la linguistique, l’histoire des religions, la critique littéraire, la critique artistique, la sociologie, la psychologie, la morale, etc., ont adopté cette méthode.
Elle est totalement entrée dans les mœurs des savants actuels.
Récemment, la méthode comparative a pénétré aussi dans le domaine du droit, ce qui est très important pour l’avenir politique du monde.
Comme la tendance universelle est de recourir plutôt à des pourparlers entre représentants officiels qu’à des guerres, il faut connaître à fond les systèmes juridiques élaborés au cours des siècles par les divers peuples et les divers états.
Ajoutons que chaque étudiant peut appliquer la méthode comparative dans le domaine de ses goûts et de ses recherches. Il peut comparer le style des églises de village des diverses provinces, les plantes des plaines et celles des montagnes, un romancier français à des romanciers étrangers (Balzac à Dickens et à Dostoïevski par exemple).
La méthode historique instruit en profondeur, si l’on peut dire ; et la méthode comparative instruit en largeur ; car elle augmente le nombre des points de vue et empêche les évaluations étroites et arbitraires.
Chapitre IV
Comment profiter de ses lectures
Il ne suffit pas de lire méthodiquement les livres et revues qu’on juge capables de développer la culture spéciale ou la culture générale.
Encore faut-il que le fruit de cette activité volontaire et réfléchie ne soit pas perdu, mais qu’il en reste dans la mémoire des traces utilisables, parce que coordonnées.
Sans prétendre épuiser ici un sujet aussi complexe, il nous faut au moins donner quelques indications qui mettent l’Étudiant à même d’acquérir la technique nécessaire.
1. L’art de prendre des notes.
Lisez avec un carnet de notes ou un paquet de fiches à portée de la main. Il y a toujours dans un bon livre quelque chose dont on tient à se souvenir. Dans ce cas on copie textuellement certains passages, certaines phrases ou expressions qui pourront servir de citation.
Si la citation doit servir un jour d’argument, il importe que vous conserviez les mots exacts de l’écrivain, et non votre propre version. Il faut placer le texte copié entre guillemets ; si on omet un ou plusieurs mots, une ou plusieurs phrases, on doit les remplacer par des points afin de constater plus tard qu’il y a une lacune dans le texte reproduit.
Au texte copié, il est bon d’ajouter les remarques qu’il vous suggère ou des renvois à d’autres passages du même auteur ou d’auteurs différents traitant du même sujet.
Par exemple, si vous lisez les maximes de la rochefoucauld et que vous désiriez vous souvenir de la pensée suivante :
« La gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l’esprit », vous la copiez, puis vous la critiquez :
N’y a-t-il donc aucune gravité qui soit parfaitement naturelle et sincère ? l’essence de la gravité, c’est le sérieux ; un homme ne peut-il être sérieux sans être hypocrite ? la maxime de la rochefoucauld n’est-elle pas un bon exemple de raisonnement concluant à faux du particulier au général ?
Pasteur était grave, mais sa gravité ne fut pas inventée pour masquer les « défauts » de son esprit.
Les fiches ont sur le carnet l’avantage de pouvoir être classées de plusieurs manières, selon les besoins ou l’intérêt du moment.
En principe, il vaut mieux que les fiches soient toutes semblables comme papier, format et épaisseur. Mais on doit se garder ici de devenir maniaque.
Beaucoup de publicistes, de critiques littéraires, de savants qui font un usage considérable de fiches emploient des morceaux de papier quelconque (feuilles blanches de lettres reçues, verso d’enveloppes, verso de prospectus, etc.).
L’important, avec les fiches, est plutôt l’indication du contenu au moyen d’un titre afin de pouvoir d’un coup d’œil voir ensuite quels sont les matériaux exacts qu’on a accumulés au cours des années sur un sujet donné et comment les utiliser.
De plus, il ne faut pas faire d’économies de papier : un même passage d’un auteur peut appartenir à plusieurs séries de recherches. Il faudra donc faire autant de fiches qu’il y a de séries.
Soit un travail à faire sur le folklore français et dans un auteur un passage sur les feux de la saint-jean en savoie ; il faudra une fiche pour feux cérémoniels, une autre pour 24 juin, une pour saint jean, une pour solstice d’été, une pour savoie, car le fait appartient à cinq séries, et on en aura besoin dans cinq chapitres différents.
Inscrivez sur vos fiches :
1 ° la substance du livre ;
2 ° vos jugements sur l’ouvrage.
Vous atteindrez l’essentiel en faisant d’abord abstraction des détails. Un livre bien composé renferme une idée centrale ; vous ne pouvez vous vanter de l’avoir compris que si vous saisissez en toute netteté l’idée dominante et l’ordonnance logique des développements, autrement dit la façon dont les détails s’agencent dans l’ensemble.
Ces conseils valent dans le cas où vous lisez un livre qui ne touche pas directement à vos occupations ordinaires ou à votre spécialité.
Si au contraire il s’agit d’un livre spécial, ce sont plutôt certains détails qui vous intéressent et dans ce cas, ce sont eux que vous noterez et coordonnerez par rapport à votre but personnel.
On doit toujours, en prenant des notes, indiquer avec soin la page et l’édition du livre ou la date de la revue d’où proviennent les documents reportés sur carnet ou sur fiche ; le but de la note est de conserver un document exact et de décharger la mémoire d’un travail qui la fatiguerait inutilement.
Toute fiche bibliographique doit porter :
Le nom et le prénom de l’auteur, la date et le lieu de publication, le nom de l’éditeur, le format en termes usuels (in-folio, in-4 °, in-8 °, in-16, in-18) ou en centimètres (hauteur et largeur) ;
Enfin le prix de vente (selon les cas, par exemple s’il s’agit de tirages de luxe) ; il est bon de toujours citer l’édition (ainsi 3e édition ou 5e mille) parce que l’auteur a le plus souvent fait des corrections, ajouté des documents, rectifié ses opinions au cours des éditions successives.
2. Le classement des notes.
Un mot, maintenant, sur la forme matérielle que devrait avoir ce travail. Si l’on se sert d’un cahier, les pages en seront numérotées, et les indications relatives à leur contenu seront inscrites dans un carnet séparé, dont les pages doivent être groupées dans l’ordre alphabétique.
Ce répertoire alphabétique vous servira de guide pour vos lectures des (a) livres, (b) revues et aussi © pour les citations ou les précis. Ce sera en quelque sorte le foyer de toute votre activité intellectuelle.
L’usage de larges enveloppes dont on a ôté la patte est commode pour conserver les coupures faites dans les journaux et les revues. On peut inscrire et numéroter sur un côté de l’enveloppe toute addition nouvelle.
Supposez, par exemple, que vous êtes intéressé par les projets de perfectionnement de la race. Vous prenez une enveloppe de grandes dimensions, et, à mesure que vous recueillez des informations, une à une, vous les inscrivez de la manière indiquée en les numérotant au fur et à mesure.
Conserver ces coupures détachées vaut beaucoup mieux que les coller dans un cahier, car cette dernière méthode devient très incommode lorsqu’on a besoin d’en consulter plusieurs en même temps.
Naturellement, chaque coupure placée dans l’enveloppe est inscrite dans le répertoire alphabétique que vous possédez ; les inscriptions et les numéros enregistrés sur un côté de l’enveloppe vous permettront de trouver aisément les renseignements que vous désirez, chacun d’eux étant désigné par un titre et un numéro d’ordre.
Ce système est suffisamment pratique et exact pour les cas ordinaires ; mais, pour de vastes sujets comprenant une grande masse de faits, on est obligé d’avoir recours à des procédés plus compliqués : classeurs ou meubles à tiroirs.
Pour les fiches, on trouve partout des boîtes spéciales ; mais on peut, dans la plupart des cas, se contenter de boîtes ordinaires (à chaussures, à papier à lettres, à cols, etc.) au moins provisoirement, jusqu’au jour du classement définitif des fiches accumulées pendant une période plus ou moins longue.
Les fiches traitant d’un même sujet peuvent, comme les coupures de journaux et de revues, être placées dans des enveloppes portant un titre général et numérotées. Une inscription au répertoire permet ensuite de retrouver rapidement le paquet de fiches nécessaire.
3. Utilité du compte rendu.
Comme le dit fort bien m. Paul Fauconnet dans l’article déjà cité, il y a deux manières de noter comme il y a deux manières de lire :
Le meilleur témoin d’une lecture active, c’est un compte rendu, un rapport qui, en quelques pages, condense la substance du livre, le situe, le juge. Chez un esprit vigoureux, ce compte rendu se fait tout seul, à mesure qu’on lit. Le novice devrait s’imposer de l’écrire, et même de le récrire, après avoir lu une nouvelle fois. Il n’y a pas d’exercice plus salutaire. J’estime que, dans nos classes, on le néglige trop. Inventer sur un sujet, composer par développement est un travail excellent. Mais rendre compte, faire rapport, envelopper en quelques pages un ouvrage étendu est un autre travail, fort efficace.
On apprend à lire en rendant compte.
Je dis rendre compte, et non : analyser. On a répété trop ce conseil : lisez la plume à la main. Trop souvent cette plume est encore un paravent pour la passivité. La paresse abonde en sophismes. Livre à gauche, papier à droite, on prend des notes. Comment se ferait-on des reproches ? Les notes sont là, qui attestent le travail. Mais, bien souvent l’esprit n’a fait que réfléchir sur le cahier, page par page, la pensée qui sortait du livre. Il n’y a toujours que l’auteur qui pense. Les notes sont passives, si elles ne fournissent, au terme, qu’un sommaire du livre, bon, tout au plus, comme mémento. Elles sont actives, si elles accumulent des matériaux pour le compte rendu.”
Donc, quand vous avez terminé un bon livre, prenez votre plume et écrivez dans votre carnet ou sur vos fiches un sommaire de vos impressions et des critiques qui se sont présentées à votre esprit.
Au premier abord, la tâche peut être assez difficile, car, bien que vous sembliez avoir une idée définie des arguments ou des intentions de l’auteur, vous éprouvez une certaine hésitation lorsqu’il vous faut l’exprimer par écrit.
Pourquoi cela ? parce que, jusqu’ici, vous n’avez pas appris à organiser les pensées qu’éveillent vos lectures.
Vous en récoltiez et emmagasiniez un certain nombre, mais vous ne faisiez aucun effort pour les grouper logiquement.
Vous constaterez souvent que certaines de vos idées sont beaucoup plus vagues que vous ne l’aviez cru ; vous pensiez qu’elles étaient claires, définies et puissantes ; cependant, quand il a fallu les écrire, vous avez soudain aperçu la brume qui les enveloppait.
Vos impressions existent, en effet, sous forme plutôt de sentiment que de conclusions raisonnées.
En outre, à moins que le contenu d’un livre ne soit absorbé très lentement, il est malaisé de systématiser les réflexions qu’il suggère. Ce processus se fait plus tard, surtout lorsqu’il s’agit des livres rapidement parcourus.
On doit alors recommencer la lecture en prenant des notes qui serviront à rédiger le compte rendu.
Un compte rendu implique une certaine attitude critique ; c’est par là qu’il diffère de l’analyse, qui n’est qu’un exposé résumé. Le point sur lequel il convient d’insister d’abord c’est la méthode de l’auteur.
Vous ne pouvez l’apprécier qu’en prenant des points de comparaison dans d’autres ouvrages, du même écrivain ou non. Pour avoir tout droit de juger, vous devriez pouvoir mieux faire que l’écrivain : cas exceptionnel.
Cependant, votre appréciation aura de la valeur si vous apercevez quelque grave défaut. Ainsi : une thèse générale étayée sur un fait unique. ou sur des probabilités suspectes.
C’est ici que les notes que vous aurez prises au cours de la lecture vous seront utiles en ce qu’elles vous permettront de grouper les faits ou les arguments de l’auteur autrement qu’il n’a fait.
Ce nouveau groupement vous donnera la possibilité de rédiger vos opinions personnelles d’une manière suivie et c’est en cela que consistera la rédaction du compte rendu, fondé sur votre méthode et non plus (surtout en cas de désaccord), sur celle de l’auteur.
4. Autres moyens mnémotechniques.
Prendre des notes, inscrire sur un carnet ou sur des fiches, analyser et rendre compte, ce sont là les moyens les plus simples pour avoir sous la main les documents dont on peut avoir besoin.
Mais il ne faut pas faire ce travail d’une manière machinale ; écrire doit aider à fixer les idées et les faits par la mémoire visuelle. Autrement dit, en notant et en écrivant, il faut ajouter ce petit effort supplémentaire d’attention qui ensuite permettra d’évoquer sans recours aux fiches les données inscrites.
À lui seul, le fait qu’on a écrit est un adjuvant : la mémoire musculaire est entrée en jeu en même temps que la mémoire visuelle. On peut faciliter le travail de cette dernière en utilisant divers procédés secondaires.
Supposons qu’on veuille acquérir des connaissances générales et coordonnées dans plusieurs domaines à la fois, par exemple dans les diverses branches de l’art.
Il est facile de réserver à chaque branche une couleur de fiches spéciale, par exemple, rose à la peinture, jaune clair à la sculpture, vert clair à l’architecture, gris clair à la gravure, etc. Il se formera alors une association entre la branche scientifique étudiée et la couleur de la fiche.
Ce procédé peut être appliqué de bien des manières. Si on veut étudier à fond l’histoire de France, on peut consacrer une couleur de fiches sinon à chaque règne, du moins à chaque dynastie ou à chaque période.
Ces observations valent aussi pour le choix des couvertures de carnets ou de cahiers, pour les enveloppes et surtout pour le choix des chemises en papier fort où l’on répartit ses documents d’après un certain plan.
On ne saurait croire combien la variation des couleurs selon un système plus ou moins rigide soulage l’effort purement matériel de la recherche des dossiers et des documents et combien, par suite, elle diminue la tendance à l’énervement.
On peut aussi varier les formats des fiches, des carnets, des chemises, etc., et même, si les sujets sont nombreux et complexes, combiner les deux séries de variations.
Jusqu’ici nous avons insisté sur l’utilité des notes, car, par suite de l’éducation reçue dans les écoles, c’est davantage par la mémoire visuelle des choses écrites que nous emmagasinons nos connaissances. Mais si l’on possède une mémoire plus souple et plus diversifiée, ce recours à l’écriture peut n’être pas nécessaire.
Un de nos amis s’était donné pour but de rédiger un grand traité synthétique qui devait, une fois achevé, comprendre une douzaine de volumes. Il avait, dès le début du travail, associé chaque division à une certaine couleur et s’était procuré un grand nombre d’écheveaux de soie.
Chaque fois qu’il lisait un livre lui appartenant, il mettait à chaque page autant de fils de soie de couleur différente que les deux pages se faisant vis-à-vis contenaient de faits relatifs aux divers volumes prévus.
Sa bibliothèque présentait ainsi un aspect bizarre ; mais la valeur pratique du procédé était certaine ; du premier coup, il pouvait voir où trouver des documents sur telle ou telle question.
Au fur et à mesure de la publication des volumes ce savant enleva des fils de couleur ; sept volumes sont déjà parus, mais d’autres sujets ont surgi et les fils ont été utilisés de nouveau selon un autre plan de recherche.
Certains savants mettent de même dans leurs livres des bandes de papier de couleur ; d’autres font des traits ou des annotations en marge, parfois avec des crayons de couleur différente.
Bref, nous ne voudrions pas imposer absolument un système quelconque ; il vaut mieux, en définitive, que chacun en élabore un qui soit adapté à la nature de sa recherche et à ses goûts personnels.
Le but essentiel est de simplifier le travail et de fixer en les classant les documents et les idées. La manière dont on s’y prend n’est en somme que secondaire, pourvu qu’on se soit tracé par avance un plan bien défini et qu’on s’en tienne résolument au système adopté.
5. Bibliothèques publiques et répertoires.
Supposons que vous ayez décidé de vous renseigner sur un sujet, par exemple sur les
“sources d’énergie inutilisées”. Vous réunissez et ordonnez vos idées personnelles, puis vous vous rendez dans une bibliothèque publique pour recueillir de plus amples informations.
Que faites-vous lorsque vous y êtes ? cela dépend en grande partie de la manière dont vous vous êtes préparé, et si vous savez exactement ou non ce que vous voulez. Vous n’aurez là-dessus des idées claires qu’à la condition d’avoir mûri la question et esquissé votre propre plan.
Se rendre à une bibliothèque avec des notions vagues, c’est gaspiller beaucoup de temps. Mais, si l’on a inscrit sur un carnet, ou une feuille de papier, les divers points à éclaircir, on peut diriger intelligemment ses recherches.
Supposons que vous ayez noté les points suivants :
1. Article dans revue, il y a quelques années, intitulé “attelons le soleil ” ;
2. article intitulé “servons-nous des marées”, par un savant étranger.
Vous avez d’autres notes, mais ce sont là des articles que vous vous rappelez avoir lus lorsqu’ils parurent. Il s’agit de les trouver et de les relire.
Vous devez donc consulter la table et les répertoires sur fiches de cette bibliothèque où vous comptez travailler ; les répertoires bibliographiques, généralement classés dans l’ordre alphabétique par noms d’auteur, premier mot du titre et index des matières, manuscrits ou imprimés, sont à la disposition du public, d’ordinaire dans la salle commune.
En outre du catalogue-répertoire de la bibliothèque, vous pouvez consulter des publications privées comme les répertoires de Brunet et de Lorentz.
À la disposition du public sont aussi les grands dictionnaires et les encyclopédies dans lesquels la plupart des articles sont suivis d’indications bibliographiques. Mais ces indications s’arrêtent nécessairement à une certaine date ; il faut donc les compléter avec soin, en suivant l’ordre chronologique.
Vous chercherez donc les livres et articles désignés sous les rubriques “Énergie”, “soleil”, “marées”, “lumière”, “chaleur” .
Lorsque vous aurez trouvé le renseignement dont vous avez besoin, vous réclamerez auteurs des articles ont exprimé sur le sujet des conceptions entièrement nouvelles pour vous, bien que vous puissiez parfois en contester la justesse.
Pour les ouvrages récents, il existe dans presque tous les pays des publications périodiques éditées par le syndicat des éditeurs.
Ainsi en France la Bibliographie de la France, en Allemagne le recueil publié chez Hinrichs, en Grande-Bretagne le Publisher’ s Circula, etc., qui paraissent toutes les semaines.
On peut aussi recommander à ce point de vue le Supplément littéraire du Times (hebdomadaire) qui contient à la fin de chaque numéro un relevé assez complet des publications nouvelles de langue anglaise classées par catégories scientifiques.
À ces répertoires nationaux, on ajoutera les répertoires internationaux dont un grand nombre sont d’organisation récente.
Ainsi pour la chimie on publie aux états-unis, depuis une dizaine d’années, un répertoire excellent, avec analyse de tous les articles de revues, brevets, etc.
Pour le folklore il paraît à Bâle et Berlin une bibliographie annuelle depuis 1919. Peu à peu on arrivera ainsi à se tenir au courant dans toutes les directions scientifiques.
On peut signaler ici l’excellente initiative de la section artistique du bureau de
Coopération intellectuelle de la société des nations (siège à paris), qui a commencé la publication du relevé des collections conservées dans tous les musées du monde.
Le premier fascicule (1927), est consacré aux musées de la hollande, le deuxième à ceux de la Pologne ; les autres pays suivront.
La joie du succès
Les indications qui précèdent, même très sommaires sur certains points, mettent chaque Étudiant à même de commencer sur des bases vraiment solides et scientifiques le travail de régénération intellectuelle qui est l’un des buts principaux du Pelmanisme.
À maintes reprises, nous avons insisté sur la nécessité pour chacun d’acquérir une culture générale aussi variée, aussi étendue et pourtant aussi coordonnée que possible.
Rappelons une fois de plus que la méthode est une et qu’il importe peu, en somme, par quel bout des sciences on commence, pourvu qu’on poursuive ensuite l’effort dans la voie choisie.
Rappelons aussi que toutes les connaissances se tiennent et qu’un mécanicien peut avoir un intérêt pratique direct à savoir bien plus que la mécanique, non seulement mais aussi parce que l’association des idées suggère souvent dans le métier même des solutions ou des initiatives par transposition à ce métier de procédés utilisés dans d’autres métiers.
C’est ainsi que ce mécanicien ne perdra pas son temps s’il étudie la ferronnerie d’art, la gravure, la ciselure d’une part, les mathématiques, notamment la géométrie descriptive et la mécanique mathématique d’autre part.
La répercussion de la culture générale sur le caractère est aussi un fait à signaler : plus on sait de choses, plus on est apte à les situer exactement au plan qui leur convient, c’est-à-dire qu’on cesse de grossir les petits détails de la vie quotidienne et on ne regarde comme importants que les événements qui le sont vraiment.
On porte sur les personnes des jugements mieux équilibrés et plus équitables ; on comprend mieux les faits sociaux, le sens des réformes en cours, les complications de la politique internationale ; bref, on se situe mieux soi-même dans le tourbillon humain.
Sans doute, le travail d’étude comme nous l’avons conseillé demande un peu de peine et d’application, surtout au début.
Mais que l’étudiant se rassure : il s’agit d’une technique, qui s’apprend comme celle de la menuiserie ou comme la conduite d’une machine.
PAS DE DÉFAILLANCES !
Il y faut un certain apprentissage ; mais quand cet apprentissage est terminé, on voit les éléments se coordonner, la machine marcher sans à-coups ; l’on éprouve la satisfaction du travail bien fait et le plaisir de la virtuosité.