Le pelmanisme en action |
À L’ÉTUDIANT :
Nous avons démonté devant vous, pièce par pièce, l’esprit humain. Notre dernière leçon vous montrera quel doit être le fonctionnement normal de cet esprit, de votre esprit. Voilà ce que nous entendons par le PELMANISME EN ACTION.
Cette dernière leçon est décisive : elle doit vous rendre ce que nous vous avons
Enseigné non seulement tout à fait intelligible, mais pleinement utilisable.
Les parties ne se comprennent que par le tout. Maintenant vous êtes en mesure de saisir pour chaque fonction, pour chaque aspect de votre être, sa nature et son rôle.
Maintes connaissances, maints aperçus que nous vous avons donnés vont à présent vous apparaître non plus comme objets de curiosité spéculative, mais comme précieux pour la réalisation de vos desseins.
Savoir, c’est pouvoir : comme nous ne vous avons appris que de l’utile, il faut que vous « réalisiez » toute l’utilité pratique de nos enseignements.
Rien ici de scolaire : c’est le livre de la vie qu’il convient que vous sachiez lire et interpréter, car chacun de vous doit y ajouter une page.
LEÇON XII
I. La discipline pelmaniste
Méthode et discipline.
1. Nous vous avons indiqué une méthode ; il va falloir en faire, pour la vie entière, votre discipline.
Si, une fois le cours achevé, vous repreniez simplement vos occupations comme avant de venir à nous, sans avoir en rien modifié votre vie, vous auriez perdu votre temps et votre peine. Or il ne faut jamais avoir travaillé en vain.
Un excès contraire, ce serait de reprendre avec servilité nos exercices, indéfiniment.
Certes, toute compétence qui cherche à se maintenir, à s’accroître, a besoin de s’exercer.
Un pianiste, même émérite, fait sans cesse des gammes ; un gymnaste, même et surtout s’il est champion, s’assouplit sans trêve. Mais il convient que vos exercices soient dorénavant conformes à vos possibilités, adaptés à vos buts.
Ils doivent se confondre avec votre existence, exprimer l’habitude définitivement prise de toujours vous contrôler, de toujours mieux faire.
Résumé de la méthode.
2. Notre principe, ce fut l’efficacité de l’entraînement.
Si nous avons présenté la rééducation des facultés sous forme d’une gymnastique mentale, c’est parce que l’expérience montre, dans la pratique assidue, un infaillible moyen d’accroître et d’assouplir nos aptitudes.
Nous avons reconnu que l’entraînement doit être continu et progressif. C’est insensiblement qu’un timide perd son manque d’assurance pour acquérir la confiance en soi ; c’est insensiblement qu’un paresseux se transforme en travailleur méthodique et zélé.
Tout le secret de ces rénovations spirituelles consiste en ceci : une habitude nouvelle se substitue à une ancienne.
Une pareille substitution n’est possible que par le long exercice et la permanence d’une tendance qui, pour se maintenir, doit se développer.
Ne vous reposez donc jamais paresseusement sur des habitudes que vous croiriez avoir enregistrées une fois pour toutes : si vous négligiez de les réviser et, surtout, d’y faire appel en prenant soin de les ajuster à des conditions sans cesse changeantes, elles auraient tôt fait de perdre tout pouvoir et de vous devenir inutiles.
En disant que l’entraînement doit être progressif, nous n’entendons pas simplement qu’il nous fera plus développés que nous ne sommes. Nous voulons montrer qu’il doit procéder par ordre, du plus simple au plus complexe.
Il faut commencer par les tâches les plus aisées, pour aborder ensuite les plus ardues.
Le succès dans les premières permet la réussite dans les secondes.
Si vous débutez n’importe comment, si vous abordez d’emblée les plus grosses difficultés, si vous vous attaquez à tout à la fois, l’échec ne saurait manquer.
L’effort doit garder un caractère méthodique et graduel.
Précepte essentiel à observer : chaque étape devra avoir été parcourue complètement avant d’aborder l’étape suivante.
Un vrai pelmaniste est celui qui a cultivé le sens de la perfection : une besogne n’est achevée que lorsqu’elle a été exécutée aussi bien que possible, compte tenu des forces intellectuelles, volontaires et affectives dont chacun dispose.
Pliez-vous à la discipline.
3. Il ne suffit pas que vous compreniez cette méthode, il faut la pratiquer. votre intelligence l’a reconnue seule rationnelle, il reste que votre activité s’y conforme. Une véritable révolution doit s’accomplir dans votre vie : le Vieil Homme va faire place au nouveau.
Imposez-vous tout de suite des obligations strictes, un emploi du temps rigoureux.
Dressez sur un agenda, jour par jour, heure par heure, la liste de vos tâches.
Ne vous contentez pas de la ponctualité dans vos affaires, de l’exactitude aux rendez-vous qu’on vous propose : assignez-vous à vous-même, quand vous ne dépendez que de vous, exactitude et ponctualité.
L’effort ne produit tous les résultats dont il est capable que s’il reste aménagé et continu. S’il se dépense irrégulièrement, capricieusement ou au hasard, il n’aboutit pas à grand-chose et ne fonde rien qui dure.
Dans la mesure où vous êtes votre maître, soyez votre maître. Pour la plupart des gens, être son maître, c’est être son esclave, l’esclave de ses désirs, de ses caprices.
Seuls progressent, seuls atteignent leurs buts, ceux qui s’astreignent à une règle non pas seulement quand ils y sont forcés, mais en toute circonstance, volontairement, pendant leurs loisirs comme pendant l’accomplissement de leurs tâches professionnelles.
Si le naturel, que vous essayez de chasser, revient au galop, mettez-lui la bride et le mors. Il faut dompter cette cavale sauvage. la pire erreur serait de croire impossible cette domestication.
Vous apprivoiserez cette monture fougueuse qui est votre corps, votre tempérament, si vous l’avez décidé, et si vous maintenez votre décision. Vous connaissez les moyens de maîtriser l’inconscient (leçon XI).
Mais adaptez votre discipline à vos besoins.
4. Ne croyez pas que nous vous demandions des efforts ; surhumains, ni superflus. la règle qu’il faut vous imposer n’est point le sacrifice de votre personnalité, elle doit au contraire vous en assurer la réalisation.
L’expérience est faite : livré à votre fantaisie, ballotté par les circonstances extérieures, vous ne réussissez pas à réaliser votre personnalité. C’est pour y parvenir que vous adoptez notre méthode.
Ne protestez donc pas que vous allez vous mutiler, persuadez-vous plutôt que vous allez vous parfaire.
Certes, cultiver c’est, pour une grande part, élaguer, mais ce que vous rognez de votre vie, c’est justement ce qui déformait votre existence et dispersait votre sève. Avec l’armature de la discipline, vous pousserez plus haut et plus fort.
Elle seule, en effet, vous permettra d’assurer, de consolider les conquêtes que vous aurez successivement réalisées. Elles doivent former un bloc, car elles ne tiennent que les unes par rapport aux autres.
Dans le domaine de l’âme, qui constitue un tout, il n’y a d’amélioration durable que celle qui s’agrège à l’ensemble entier de notre personnalité.
Vous n’avez plus le droit de vivre sans règle, mais vous pouvez et devez approprier votre règle à vos besoins, à vos aspirations légitimes. Bien que nous reconnaissions tous, à l’intérieur de la société où nous vivons, la même morale « sociale », votre règle ne saurait être exactement la même que celle de votre voisin.
Quelqu’un qui lutte contre la paresse ne s’astreint pas aux mêmes obligations que celui qui combat en soi l’indécision. Pour faire son chemin dans les affaires, on ne procède pas comme un ouvrier ou un fonctionnaire.
Nous aurons à nous expliquer bientôt sur ces variétés du « Pelmanisme en action ».
D’ailleurs, vos besoins changent, vos buts se transforment. Vous avez le droit et le devoir de modifier à mesure votre discipline.
Ainsi, soyez, sauf cas d’impossibilité absolue, fidèle à votre emploi du temps, mais révisez-le périodiquement, pour l’adapter aux exigences nouvelles de votre existence, et même aux progrès que vous avez dû accomplir, et qui vous permettent maintenant d’en entreprendre d’autres.
Puisque nous vous avons persuadé, à propos de notre leçon ii, qu’il convenait de refaire trimestriellement l’examen de conscience, prenez la résolution de réviser, en chacune de ces circonstances, votre emploi du temps.
Il sera toujours aussi strict, mais vous le modifierez dans le sens des nouveaux progrès à préparer.
II. Les variétés de la discipline pelmaniste
5. Trois facteurs principaux différencient la discipline Pelmaniste : l’âge, le sexe, la fonction sociale. l’âge.
6. La règle qui convient à la maturité ne peut pas être celle que l’on prescrit à l’enfance.
La vieillesse ne saurait se comporter comme la jeunesse. Ce sont là des banalités, mais on n’en tire pas toujours les conséquences nécessaires, et beaucoup de crises douloureuses s’ensuivent.
Nombreux sont les hommes qui manquent d’initiative, de confiance en eux-mêmes, simplement parce qu’ils ont gardé, ineffaçables, les impressions d’une enfance qui fut comprimée.
Certes, il faut faire obéir les enfants, mais les parents dépassent souvent le but, par exemple s’ils traitent un garçon de quinze ans comme un gamin de huit ans : ils en font, alors, ou un révolté, ou un pusillanime. La plupart des timides portent le poids d’une éducation maladroite.
Nombreuses les femmes non mariées qui restent, à quarante ans, ce qu’elles étaient à dix-huit. Or, la réserve qui sied à une jeune fille choyée par ses parents devient faiblesse chez la même personne, qui, plus tard, seule dans la vie, doit faire face aux nécessités de l’existence.
Quant aux vieillards qui se comportent en jouvenceaux, la comédie se charge de railler leurs travers.
Il n’y a pas « d’âge critique » moralement parlant ; tous le sont, et qui de son âge n’a pas les mérites, de son âge a tout le malheur.
7. Vis-à-vis de l’enfance et de l’adolescence, le pelmanisme coïncide avec l’éducation.
Nous laissons à nos adeptes le soin d’adapter aux jeunes êtres qui leur sont chers les principes de notre méthode.
Pour mener à bien cette mission délicate, il faut savoir concilier, comme nous venons de vous y convier, la rigueur et la souplesse de la règle.
L’enfant changeant beaucoup plus vite que l’adulte, c’est à son égard, plus encore que vis-à-vis de nous-mêmes, qu’il importe d’approprier la discipline aux besoins.
Cette œuvre de longue haleine requiert à la fois de l’autorité et un grand respect de la personne de l’enfant. Élevez vos fils, vos filles, pour eux, non pour vous. rompez-les à une discipline, mais faites-leur confiance tout en les guidant, préparez-les à la liberté.
Donnez-leur le goût de l’initiative, mais aussi le sens de l’ordre. Pensez que pour leur faire tout le bien qu’ils attendent de vous, il importe que vous évitiez de leur causer beaucoup de préjudices, fût-ce avec la meilleure intention du monde.
Il vous faut infiniment de vigilance et de tact pour les doter de santé physique et morale, non seulement quand ils ont la faiblesse des premières années, mais pendant la crise de l’adolescence et en vue de leur établissement.
Un pelmaniste authentique sait que la personnalité ne s’impose pas du dehors.
L’enfant doit se développer moralement selon sa loi propre, et non point par la servile et exclusive imitation de ses parents.
8. La technique de l’hygiène morale et du développement spirituel à l’âge adulte est l’objet propre du Pelmanisme. Le cap difficile à franchir est le choix d’une profession.
Le sentiment ayant, comme nous le savons, une importance foncière dans notre existence, le choix d’une compagne ou d’un compagnon pour la vie, la fondation d’un foyer, voilà encore des sauts dans l’inconnu, des circonstances où le plus réfléchi, le plus désireux de liberté donne accès dans son avenir à une foule de hasards.
Dans tous ces cas, une mûre réflexion est nécessaire, mais ne saurait suffire : il faut prévoir jusqu’à l’imprévisible, accepter de bon cœur le risque de méprises et de mécomptes, non pas sacrifier les principes essentiels de la morale ou de l’autonomie personnelle, mais consentir à des compromis, acceptables s’ils ne sont pas des compromissions.
La vie est faite de concessions — non pas à l’honneur, mais à autrui et à nous-mêmes.
Dans la navigation incertaine sur cette mer mouvante, nos principes doivent être pour nous une boussole, ainsi qu’une carte marine.
9. La vieillesse encore est un âge difficile. la nature exige d’elle de mélancoliques renoncements, elle lui inflige de cruelles infirmités.
Il appartient à la technique psychologique de retarder le plus possible la décroissance des facultés : ici comme à l’égard du corps, un exercice méthodique conserve, prolonge les fonctions normales.
Souvent les personnes âgées tirent un excellent parti de notre méthode, car la vie s’est chargée de leur inculquer cette conviction, qu’il faut savoir profiter de l’expérience.
Le vieillard a la sagesse plus facile que l’homme jeune, mais il en a grand besoin pour supporter ses maux sans espoir et pour faire cependant non pas figure morose, mais visage souriant et serein.
La véritable justification de la vieillesse, son réconfort et son meilleur viatique, c’est l’utilité. Qui ne produit plus, ni ne crée, ni ne lutte, ne doit pas, pour autant, déserter le service d’autrui.
Le vieillard n’est aimable et, même, n’est supportable que s’il sait mettre activement son expérience à la disposition de ceux qui en ont besoin. Il ne s’agit pas ici de donner des conseils, qui ne seraient pas les bienvenus ou des leçons, que nul ne demanderait.
Il s’agit d’abord de s’intéresser aux autres avec sincérité, dévouement et compétence, afin de faire en temps utile et, au besoin, sans en avoir été prié, la démarche bienveillante ou le travail de coopération qui pourra les aider.
La pratique de la solidarité exige de l’initiative. Un pelmaniste n’en manquera pas.
Vieillesse n’est, d’ailleurs, pas du tout synonyme d’incapacité sans remède. Qui a su bien vivre pourra vieillir noblement.
Vieillir, dans le domaine de la conscience comme dans celui de l’énergie musculaire, c’est perdre sa souplesse, comme aussi son pouvoir de contraction en vue d’une décharge brusque. Ce n’est donc, en somme, qu’une chute de potentiel et de dynamisme.
On ne prétend plus guère à inventer, quand on est hors d’âge, ni à s’imposer. Mais ce n’est nullement là un motif pour refuser sa contribution, si diminuée qu’elle soit, à l’activité des jeunes gens. bien au contraire.
Le sexe.
10. La vie moderne rapproche femmes et hommes dans les mêmes emplois ou travaux ; et le Pelmanisme est bien en harmonie avec les exigences contemporaines, car il prétend adapter aussi bien un sexe que l’autre aux conditions du succès.
Travail, méthode, initiative à la fois prudente et hardie : voilà ce qui décide de la réussite pour tout individu humain.
Jeunes filles qui devez lutter pour conquérir une situation, il vous faut la plupart des qualités qu’on exige de vos frères ; et même davantage, car vous devez, bon gré mal gré, supporter le poids du préjugé qui fait encore accorder, si souvent, la préférence au travail masculin sur le travail féminin.
Ce n’est pas à dire que vous deviez calquer votre vie sur celle de l’homme. L’opinion comme la littérature ont fait justice de ce féminisme qui méconnaissait les fonctions propres, les capacités originales de la femme et sa permanente destination.
Le vrai droit de la femme, c’est de n’être ni méprisée, ni adulée, mais estimée, respectée, libre de posséder et d’agir à l’égal de l’homme.
Ceci ne compromet en rien la vocation sentimentale de son sexe, l’idéal esthétique dont il est l’objet, ni, ce qui importe le plus — quand les circonstances le permettent — la sublime fonction de la maternité.
11. Notre point de vue pelmaniste permet de surmonter le prétendu antagonisme des sexes. À travail équivalent rétribution égale.
Mais il y a des tâches où l’un des sexes se montre, en général, plus apte que l’autre ; c’est pour chacun, pour chacune de vous, votre véritable intérêt d’y viser.
Dans bien des cas d’organisation intérieure d’une maison de commerce comme d’une maison familiale — rien ne vaut le jugement féminin. Par une intuition sûre et prompte, les femmes se montrent souvent excellentes conseillères.
Voilà les fonctions qu’il leur faut ambitionner, celles aussi que des directeurs d’entreprise avisés gagneraient à leur confier — à celles, bien entendu qui ont acquis de l’expérience et une compétence technique.
Par contre, il est concevable que l’homme doive se réserver non seulement les besognes les plus dures, mais celles qui supposent à proprement parler, de la spéculation, autrement dit un calcul abstrait, une prévision à longue échéance — aptitudes intellectuelles généralement plus masculines que féminines.
Cette répartition des vocations n’entrave en rien les progrès que peut faire faire à chaque sexe une juste appréciation des mérites de l’autre.
Que les jeunes hommes acquièrent, dans la société féminine, plus de goût, des sentiments plus délicats, le désir d’une culture plus affinée.
À l’inverse, les camaraderies masculines enseigneront aux jeunes filles et jeunes femmes le prix de l’effort, la valeur de la lutte, l’attrait des coups d’audace qui ne doivent pas être des coups de tête, la puissance de la pondération — toutes qualités qui leur deviennent indispensables lorsqu’elles sont seules dans la vie.
Un pelmaniste respecte la femme et n’ignore pas qu’il ne saurait y avoir de vie complète et harmonieuse sans l’union en vue de la famille et du foyer.
Cet idéal détermine l’attitude que prendront nos étudiants vis-à-vis du prétendu problème de la prostitution. C’est là un vestige de la barbarie.
Nos adhérents s’efforceront de ne pas s’abaisser en se faisant les complices de la dégradation d’autres êtres humains. Le plus élémentaire souci de l’équité n’exigerait-il, d’ailleurs, pas que chacun des deux époux futurs se présentât au mariage dans un état symétrique de pureté ?
Et nous savons ce qu’il faut penser des sottises courantes sur la nécessité, pour l’homme, de « jeter sa gourme ». Voici quelques années les hommes se marient jeunes acceptant bravement responsabilités et difficultés.
La fonction sociale.
12. Les individus se différencient encore par le rôle qu’ils jouent dans la société. le pli professionnel s’imprime dans l’attitude physique, dans le caractère. « vous êtes orfèvre, m. josse ! ». nous trouvons le médecin apte à l’observation des symptômes extérieurs, l’ecclésiastique expert à l’examen de conscience ; mais ces capacités ont leur contrepartie : on a les défauts de ses qualités, naturelles ou acquises.
Il s’ensuit qu’un artiste a peu à apprendre de nos leçons iii et vii, un juriste de nos leçons vi et viii, un lettré de notre leçon x ; mais que chacun a intérêt à posséder quelque chose des aptitudes qui, professionnellement, lui feraient défaut.
Qui que vous soyez, devenez davantage ce que vous êtes, mais cultivez la curiosité de ce que vous n’êtes pas. Personne, à beaucoup près, ne saurait réaliser l’ensemble des aptitudes humaines.
La maturité a exigé de nous bien des sacrifices : nous avons dû faire taire maintes demi-vocations pour nous limiter à notre carrière définitive. Gardons du moins une sympathie intellectuelle pour ce que nous ne sommes pas et que nous aurions pu devenir.
Que le médecin, que l’homme d’affaires ne haïssent pas la poésie sous le prétexte qu’en eux le poète est mort jeune.
Que celui qui a perdu la foi n’y substitue pas un fanatisme de négation et d’intolérance.
Il n’y a d’ouverture d’esprit, donc de liberté, de puissance spirituelle que si — dans la mesure du possible — « rien d’humain ne nous est étranger ».
La plus grande différence entre les hommes, résultant de leur fonction sociale, tient au fait que les uns paraissent voués à l’obéissance, les autres au commandement. Certes, en toute entreprise ou organisation, il faut un chef, et de dociles travailleurs.
Mais n’en concluez pas que l’initiative convient uniquement à des privilégiés.
Le bon ouvrier ou employé est celui qui s’intéresse à sa tâche pour s’ingénier à la remplir de son mieux : qu’il ne craigne pas de donner au chef des suggestions, avec la déférence requise ; le chef s’honorera en récompensant une telle preuve de zèle intelligent.
Ne croyez pas, surtout, que personne soit voué par, fatalité, aux besognes inférieures.
Vous ne pouvez pas ignorer que bien des chefs sont sortis du rang, dans le monde du travail plus encore que dans l’armée.
Le pelmanisme permet justement à chacun de se donner l’étoffe d’un chef.
Aucune servitude irrémédiable ne pèse sur vos épaules : non seulement vous avez le droit d’espérer, car l’avenir n’est interdit à personne, — mais vous pouvez, dans une large mesure, décider de votre sort, en dotant votre volonté des mérites qui forcent le succès.
Ce n’est qu’un des chapitres de l’éducation consciente que nous devons nous donner à nous-même. Il y a une méthode pour développer et affermir notre action sur autrui et les résultats favorables en sont certains. Pourquoi nous en priverions-nous, le succès étant à ce prix ?
III. Les conflits a résoudre
13. Les plus graves difficultés de la vie ne sont pas les difficultés matérielles, ce sont des antinomies morales. si le pelmanisme ne nous aidait pas à les résoudre, il faillirait à sa mission.
Nous connaissons tous l’anxiété que fait naître un conflit de devoirs ; les stances du cid, celles de polyeucte chantent dans la mémoire des lettrés ; chaque personne louvoie pareillement entre des nécessités contraires, afin de concilier la multiplicité de ses buts.
Le roman, le théâtre nous montrent, en plus grandiose ou en plus abstrait, ce que nous trouvons à chaque moment dans nous-même : l’opposition entre le sentiment et l’intérêt, entre notre passé et notre avenir, entre nos moyens et nos ambitions, etc.
Envisageons d’abord les conflits résultant de notre vie en société.
Conflits sociaux.
1-L’individu et l’état.
14. Pour la même raison qu’une entreprise privée n’a pas de meilleurs collaborateurs que de vrais Pelmanistes, un Pelmaniste possède toutes les qualités du bon citoyen.
Que de fois nous vous avons dit : « Revendiquez votre droit, ni plus, ni moins. Faites respecter votre place au soleil, cela est légitime si vous respectez celle des autres ».
Apportez cet esprit en matière civile, politique, religieuse, économique. Vous avez intérêt à vous soumettre aux lois, car elles vous assurent la paix, la justice, à la condition que vous ne troubliez pas autrui dans la jouissance des mêmes droits.
N’écoutez pas ceux qui vous diront que vous n’avez que des devoirs. Votre désir de bien-être, de culture supérieure, est légitime et salutaire, puisqu’il vous incite à progresser.
Votre aspiration vers l’idéal est indispensable pour votre bonheur, puisqu’elle l’est pour l’épanouissement complet de votre personnalité.
Or, faute d’un robuste et imperturbable sentiment de bonheur, dont l’origine a pour condition l’accomplissement de ce que l’on doit aux autres et à soi-même vous ne seriez qu’un citoyen diminué.
Il vous faut un milieu social où nul ne puisse se permettre impunément de contrarier vos progrès. Cela revient à dire que vous avez des droits dans la mesure même où vous vous reconnaissez des devoirs.
Acquittez-vous donc toujours de vos obligations et nul ne pourra — honnêtement — contester vos droits.
Vous n’écouterez donc pas, non plus, ceux qui vous diront que vous n’avez que des droits. Droit et devoir sont la contrepartie l’un de l’autre : vos droits créent des devoirs chez autrui, à votre bénéfice, et réciproquement.
Vous ne profiterez des avantages de la civilisation que si vous vous accommodez aux légitimes besoins d’autrui. Nous sommes frères bon gré mal gré ; vous avez tout à gagner, si vous consentez de bon gré à cette fraternité humaine.
Au lieu que la vie en société vous soit à charge, elle vous facilitera la réalisation de vous-même.
Ne vous y trompez pas : personne ne saurait se suffire ; notre aisance matérielle, comme le développement de notre esprit, suppose cette organisation sociale qui assure l’ordre et qu’on appelle l’État.
Comportez-vous donc en personne libre, mais comprenez que la liberté n’est point l’anarchie. La liberté se définit par l’obéissance à la loi, et s’exerce grâce à sa protection.
Sans loi vous croyez peut-être tout pouvoir, mais vous seriez livré à vos seules forces, inopérantes parmi une meute déchaînée. Dans le cadre des lois, certes vous ne pouvez pas tout, mais vous avez droit à une zone de liberté qui vous est assurée.
Si donc l’état vous impose des charges, il consacre aussi vos droits et garantit votre liberté.
Ne le prenez ni pour un tyran, ni pour une providence, mais pour une institution, un moyen — toujours perfectible — d’ordre et de progrès.
15. De là résulte que notre leçon viii vous fournit une technique de la vie politique et sociale. l’impartialité que nous vous avons recommandée comme façon de dégager le vrai parmi la diversité des opinions, c’est l’esprit de justice et de tolérance.
Vivez fort de vos convictions, attaché à l’exercice de vos libertés. Mais sachez admettre que d’autres, et même vos adversaires, peuvent avoir raison de leur point de vue autant que vous du vôtre.
Efforcez-vous de ne pas dédaigner la parcelle de vérité qu’ils détiennent : vous y gagnerez. On est plus fort par l’impartialité, par l’équité, que par la violence.
Cela tient à ce que la vie en société exige un accord, donc une volonté d’harmonie entre les efforts de chacun des membres du groupe. L’antagonisme ou la simple mise à part de l’un d’eux crée le désordre et une perte d’énergie.
La variété des opinions ne nuit pas à l’effort : elle le féconderait plutôt. Tandis que la mauvaise volonté réciproque le stérilise immanquablement.
La tolérance n’est pas une marque de générosité gratuite : c’est une obligation. Nous nous devons de l’observer ; mais on nous doit de n’y pas commettre le moindre accroc vis-à-vis de nous.
Ne réclamez rien au-delà de ce qui vous est dû, mais exigez-le. (1) ne faites pas de victimes, mais ne soyez victime de personne. Que votre caractère ne soit ni effacé, ni intempérant.
N’admirez pas les personnalités fatales à la société : celle du conquérant qui sacrifie à son ambition les vies humaines, celle du don juan qui piétine les droits les plus sacrés pour satisfaire ses vices, celle de l’homme d’affaires sans honneur qui fonde sa fortune sur la ruine d’un grand nombre.
N’appelez pas certains de ces gens-là des surhommes : tenez-les pour des criminels.
L’ambition est légitime et salutaire, mais dans la limite des lois.
On commet d’ailleurs, sur ce point, de fâcheux contresens à propos de nietzsche. Son apologie du beau forfait n’est qu’une fantaisie paradoxale.
Le surhomme authentique, s’il existait, serait, selon lui, au moins aussi différent de la créature humaine, même supérieure, que cette créature peut être différente de l’animal le plus évolué.
C’est un détestable abus de confiance, selon nietzsche, que de comparer le héros à un assassin, à un tyran fondateur d’une mystique. Il s’agit d’une espèce nouvelle, qu’il nous reste à créer de toutes pièces.
Le surhomme n’est qu’une limite idéale à atteindre plus tard.
Soyez juste et bon, mais sans faiblesse. Il y a une sublimité du désintéressement, mais la pusillanimité est misérable. “être homme, dit goethe, c’est savoir combattre”.
Ne préjugez pas que vos intérêts et ceux de la collectivité sont normalement opposés.
Ils peuvent l’être, mais ne doivent pas l’être ; agissez en conséquence.
Par l’exemple, par l’action, un homme de bonne volonté, une femme de bien peuvent beaucoup pour l’harmonie sociale. L’entente est plus féconde que la haine.
Vous obtiendrez davantage d’autrui par une généreuse confiance que par la suspicion.
Ne perdez jamais de vue que ce ne sont pas là des conseils superflus : pour être vous-même, vous avez besoin d’être adapté à la société, de même que votre crédit, votre aisance supposent l’honnêteté, le bien-être dans le milieu qui vous entoure.
“Ce qui n’est pas utile à la ruche n’est pas non plus utile à l’abeille » (Marc-Aurèle).
(1) sans acrimonie cependant et sachez faire preuve d’esprit de conciliation.
2- Patrie et humanité.
16. Les conflits, souvent si aigus, entre le patriotisme et l’humanitarisme, doivent se résoudre, eux aussi, par cet esprit de justice pelmaniste.
Il y a quelque chose de vous-même partout où se répandent les intérêts nationaux ; quiconque a séjourné en terre étrangère a éprouvé ce sentiment doux et profond.
Plaignons ceux qui ne croient trouver là que chimère.
Ce ne sont pas seulement le soldat, le diplomate que la patrie exalte : c’est l’étudiant, le commerçant, l’industriel, l’ouvrier, le paysan.
Nous vivons, par la force des choses, dans une nation à laquelle nous attachent nos origines — qui ne se laissent pas désavouer, ainsi que nos intérêts, — qui ne se laissent pas prescrire.
Le prestige, la puissance du pays sont, pour chacun de nous, une noblesse et une force. Ne laissez se perdre ni l’une ni l’autre.
D’autre part, en chacun de nous se reflète l’humanité ; une grande partie de nos idéaux supérieurs : le vrai, l’art, le bien n’ont pas de patrie. Ils font, eux aussi, partie de notre personnalité ; ils sont, eux aussi, des forces.
Tout cela doit se concilier, dans la politique et devant le droit, puisque cela se concilie en fait dans nos personnalités.
Tenez pour malfaisants ceux qui opposent l’amour de la patrie au zèle pour l’humanité. La biographie d’un Pasteur — entre bien d’autres — montre comment on peut avec gloire travailler au bien de l’une et de l’autre tout ensemble.
3- Travail et capital.
17. Les agitateurs ont dangereusement envenimé les rapports entre ces deux puissances complémentaires : le capital et le travail. N’en soyez pas dupes.
Pelmaniste signifie travailleur zélé et méthodique. Or, par un tel labeur, on ne végète pas dans les emplois subalternes, mais inévitablement on s’élève.
L’initiative, les capacités permettent une amélioration progressive de la situation de l’ouvrier qui peut toujours, avec de la persévérance, de l’économie et un minimum de santé, s’élever à quelque bien-être en devenant contremaître ou patron.
Posséder un pécule, même un bien au soleil, c’est à quoi nulle part autant de gens ne parviennent qu’en france. Un pays où les gros capitalistes sont rarissimes, mais les petits très nombreux, paraît bien disposé à affronter sans aigreur ni violence inutile les conflits sociaux.
L’ouvrier qui se livre au sabotage parce qu’il considère son intérêt comme contraire à celui du patron, non seulement commet un acte antisocial, mais se méprend sur ses véritables intérêts ; il se bute en une attitude stérile et s’expose à n’engendrer que son propre malheur.
Inversement, le patron qui considère sa main-d’œuvre comme une simple force matérielle qu’il achèterait ici ou là, et non pas comme une force de coopération humaine, susceptible d’attachement et de fidélité, celui-là non seulement entend mal son véritable intérêt, mais ne sachant pas respecter la personnalité d’autrui, il se montre indigne d’être un chef tel que la vie moderne le comporte.
Qu’il aille donc au-devant des progrès nécessaires. Il obtiendrait un rendement supérieur en intéressant le personnel à la bonne marche de l’entreprise. Les sages employeurs font les employés dévoués, et ces deux facteurs sont nécessaires à la réussite.
Conflits moraux.
1- Le sentiment et l’intérêt.
18. »l’ avare qui ne voit dans la vie que des occasions de thésauriser, l’homme d’affaires qui n’y trouve que des énergies brutales régies par des chiffres, méconnaissent, sous prétexte d’assurer un sage rendement des choses, les plus essentielles raison de vivre.
On ne vit pas pour de l’argent, on ne vit pas pour l’industrie. L’argent, l’industrie, doivent être au service de l’esprit et de l’humanité.
Par contre, l’industriel dressé à la réflexion abstraite, mais inapte à la défense de ses intérêts, l’artiste qui rêve dans les nuages font trop fi des conditions matérielles de l’existence, et souvent il leur en coûte.
L’homme moyen doit gagner sa subsistance, mais sans méconnaître que les plus grandes valeurs sont d’ordre spirituel, d’où la nécessité de lui accorder dans toute la mesure du possible les loisirs dont il a besoin pour se cultiver.
19. Il n’y a, normalement, aucune confusion entre le point de vue du sentiment et celui de l’intérêt. le premier nous assigne nos buts et suscite en nous l’ardeur pour tendre vers eux. le second est un calcul des moyens à mettre en œuvre pour l’obtention de ces buts.
Mais, hélas ! la réalité n’est pas si simple. Dans certains cas, il faut, dans d’autres, il ne faut pas subordonner le sentiment à l’intérêt.
Qu’on abatte un pâté de maisons insalubres en vue de la santé d’une ville, mais qu’on laisse subsister, pour leur pittoresque, de vieux immeubles, s’ils ne constituent aucun danger.
Un jeune homme fait « des folies » si, pour des caprices de sentiment, il compromet son avenir ; il commet une mauvaise action, s’il rompt avec une fiancée dont les parents sont tout à coup ruinés. Il y a malhonnêteté non pas en raison du sentiment, mais de par les engagements pris, et qui sont violés.
En d’autres termes, le sentiment est justiciable de la morale, et il n’y a pas de moralité sans un contrôle de nos intentions et de nos actes par la raison, sans un devoir pour la raison de réprimer les excès de la sensibilité.
Le pelmanisme étant, non pas seulement une morale, mais une technique du rendement individuel en vue de la réussite pratique, nous nous contenterons d’indiquer ainsi que ces deux disciplines ont seulement ceci en commun, à leur frontière mutuelle : le dressage à la maîtrise de soi.
2- Notre passé et notre avenir.
20. Le plus grave conflit est le plus intime : celui du vieil et nouvel adam, l’antithèse entre ce que nous avons été et ce que nous voulons être.
Ne nous reprochons pas ce conflit comme une faiblesse : sans cette opposition, il n’y aurait aucune possibilité de progrès ; les âmes les plus tourmentées sont les plus délicates, les plus capables du bien c’est-à-dire du mieux.
L’état actuel de notre organisme, la structure de notre subconscient, la tournure de notre caractère : tout cela, c’est notre passé qui se survit et nous régit.
Notre esprit qui juge, c’est au nom d’expériences anciennes, sur des critères anciens qu’il décide.
Nos idées neuves sont des souvenirs ou des adaptations d’éléments périmés à des situations actuelles.
Comment pouvons-nous donc prétendre innover, nous amender, nous régénérer, ou simplement mieux faire ?
Nos défauts sont incrustés en nous, et nos qualités mêmes sont solidaires de ces défauts. M. X… est méticuleux à l’extrême, mais c’est pour la même raison qu’il se montre impeccable dans ses comptes.
Mlle y… Est douée d’un tact des plus délicats ; d’où un excès de réserve, qui lui fait tort.
Sommes-nous donc pour la vie ce que nous sommes, et devons-nous, comme tant de gens, grommeler : « Il est trop tard ! On ne se refait pas ! ».
Il n’y aurait pas de pire erreur.
Libérez-vous par des habitudes nouvelles et renouvelées.
21. Vous n’avez rien compris à ce cours, si vous n’en avez pas retenu que la même force — l’habitude — qui nous asservit, peut nous affranchir.
Puisque nous sommes ce que nous nous sommes fait, nous serons ce que nous nous ferons.
Ne méprisez pas l’habitude, comme simple routine : toute capacité est habitude, toute règle observée est habitude. Sans habitude, ni activité, ni discipline.
Mais révisez de temps en temps vos habitudes, modifiez-les en vue d’un rendement supérieur : à cela se réduit toute la sagesse pratique. Exemples : la paresse vaincue par l’habitude de l’effort ; l’indécision vaincue par l’habitude de vouloir.
22. Quoi de plus invétéré, en apparence, de plus irrémédiable que la paresse ? il manque justement cet « allant », cette initiative, condition de tout progrès.
Si le sujet se trouve entre les mains de quelqu’un qui a de l’influence sur lui, cette personne peut le tirer de sa torpeur, non en le heurtant, mais en l’encourageant.
Découvrez-lui, fût-ce au prix d’un subterfuge bienveillant, quelque mérite ou habileté : l’intérêt naîtra, l’activité s’ensuivra, et il faudra tout de suite la fixer en une habitude, qui rendra l’acte non seulement facile, mais nécessaire. Les premiers pas, les seuls qui coûtent vraiment, auront été franchis sans effort démesuré.
Si le sujet est abandonné à lui-même, et s’il n’adopte pas la solution la plus simple — s’en remettre à nous — qu’il comprenne, une bonne fois, que l’indolence c’est l’ennui, que se convertir au travail c’est s’assurer une vie pleine d’intérêt, donc agréable, et non se mettre douloureusement la corde au cou : c’est une apparence d’assujettissement, mais un véritable gage de liberté.
Habituez-vous à faire, chaque jour, un effort insignifiant, vous deviendrez, sans peine aucune, capable de prouesses.
23. Quoi de plus insidieux que l’inaptitude à vouloir, et comment s’en guérir, puisqu’il faudrait déjà de la volonté pour acquérir le vouloir ?
Nous ne vous demandons rien de surhumain. Si vous êtes simplement indolent, c’est le cas envisagé ci-dessus.
Êtes-vous foncièrement indécis ? ne pesez pas sans fin le pour et le contre, mieux vaudrait agir à l’aveuglette.
Jetez-vous tête baissée, dans une direction : même si vous faites fausse route, tout ce que vous risquez, c’est de vous instruire grâce à une expérience, et vous évitez le péril grave entre tous : enraciner plus encore votre penchant à l’indécision.
Répétez à maintes reprises cette façon de faire, et vous aurez bientôt non seulement surmonté l’irrésolution, mais pris du goût pour l’initiative.
A. Comte a dit avec profondeur : « on ne détruit que ce qu’on remplace ». si vous vous contentez de lutter contre vos défauts, vous risquez de vous épuiser dans une tâche négative, et souvent vous transformez un penchant en obsession. La vraie façon de s’amender consiste à prendre d’autres habitudes. Répétons-le : un clou chasse l’autre.
Les conflits affectifs
Tout ce que nous venons de dire sur les conflits suppose que le pelmaniste a compris
1) le caractère fréquent de ces crises de conscience ;
2) la méthode à suivre pour les résoudre ;
3) l’importance qui s’attache à ce qu’ils soient effectivement et définitivement résolus.
Sur ces trois points, qui touchent à des conditions essentielles en ce qui concerne la santé morale, nous allons maintenant apporter quelques compléments d’information.
Nos étudiants, s’ils y réfléchissent, se convaincront de ce que les conflits ne présentent aucun caractère exceptionnel.
Il convient de ne pas se borner à traiter ce problème d’une façon trop rationnelle ; cela pourrait avoir l’inconvénient de le fausser et de le simplifier artificiellement.
Raison et forces subconscientes
L’âme humaine ne se cloisonne pas en facultés nettement distinctes et capables de se mesurer mutuellement, de s’évaluer et de s’équilibrer. La raison n’est pas exclusivement ce qui conduit les débats du tribunal intérieur.
Surtout, il ne suffit nullement que le jugement soit rendu pour que la volonté, servante libre autant qu’obéissante, se charge du reste et passe à la réalisation. La volonté, à elle seule, ne saurait toujours se rendre maîtresse des conflits intérieurs.
Depuis les travaux ou les découvertes de charcot, de nietzsche, de pierre janet, de
Freud, de bergson, d’adler et de jung, l’idée que l’on se forme de la vie consciente s’est enrichie de données souvent discutables et énigmatiques que la pure réflexion théorique eût été impuissante à nous fournir.
L’âme nous apparaît comme un concert de forces en action, non plus comme un mécanisme donné, analysable en ses éléments statiques.
Si nous les avons, au cours des chapitres qui précèdent, séparées afin de les étudier chacune à son tour, ce n’était que pour la clarté de l’exposé ; mais nous avons eu soin d’indiquer qu’en réalité toutes les puissances dont la synthèse aboutit à la conscience collaborent à notre activité psychologique.
Nous savons que la créature humaine, c’est, avant tout, une combinaison plus ou moins réussie de tendances plus ou moins conscientes.
Les tendances.
Ces tendances se manifestent principalement à nous comme des poussées vers le mouvement. Elles produisent des représentations, des sentiments, des émotions, des désirs. Ainsi la faim est une des expressions de notre tendance à la conservation de notre propre personne.
La peur en est une autre. Mais ce serait une erreur que de croire à notre égoïsme fondamental. Nous ne vivons pas que pour nous. Nous tendons vers autrui, avec une intensité de passion éventuellement supérieure à celle que nous inspire l’envie de durer.
Contribuer à perpétuer l’espèce ne nous intéresse pas moins que de nous maintenir en résistant à toutes les forces qui conspirent dans le sens de notre destruction.
En d’autres termes, l’individu n’est pas seul à vouloir exister : le groupe biologique auquel il se rattache ne consent pas plus que lui à l’anéantissement.
Si le besoin de manger est à la base de notre motricité égocentriste, centripète (vers soi), l’appétit de la reproduction engendre et conditionne l’activité centrifuge vers l’extérieur, que nous consacrons à prolonger notre espèce.
Cette gravitation vers autrui, c’est ce que freud appelle tantôt liebe(1) (terme d’une acception plus ample que son inexact équivalent français, l’ amour) et tantôt sexualité.
La sexualité.
On a commis là-dessus les plus saugrenus contre-sens, accusant freud d’avilir et de calomnier l’homme, de le réduire à ses éléments les plus bas, les plus bestiaux. C’est qu’on n’a pas toujours donné au mot sexualité la signification qu’il a pour le maître de la psychanalyse.
La tendresse, la nostalgie, la pitié, le dévouement, l’esprit de sacrifice, voire la fidélité, autant de conséquences d’une poussée qui nous jette à la rencontre de notre prochain.
La plus vertueuse vieille fille peut être animée d’une authentique, d’une fervente sexualité, pourvu que celle-ci ait été dominée, épurée, « sublimée » par sa transposition sur le plan de l’idéal. (1) D’où, aussi, le terme Libido, désir, tendance à l’expression d’un besoin, ou à l’approbation d’un objet ou d’un être. l’attrait de l’idéal.
La réalité psychique pourtant n’est pas pauvre au point de se laisser ramener à une double faim, celle de l’individu et celle de l’espèce. L’homme n’est pas seulement propulsé, il est aussi attiré, aspiré.
Il conçoit, plus ou moins explicitement une fin vers laquelle, cahin-caha, il se dirige.
Il contemple son avenir en même temps qu’il se souvient de son passé. Il cherche à ressembler à ce qu’il voudrait être.
La volonté de puissance qu’exalte nietzsche, le désir de nous mettre en valeur, dont parle Adler, ne nous caractérisent pas moins que nos instincts animaux.
Adler, croyant innover par rapport à freud, a justement mis en relief l’importance que chacun de nous accorde aux actions et aux paroles par lesquelles il s’affirme lui-même et voudrait se confirmer dans le sentiment de sa supériorité.
Il y a dans notre nature beaucoup de traits en voie de “devenir” et qui se définissent en fonction d’un point d’aboutissement que nous nous sommes fixé.
La notion d’un certain but, qu’il s’agira d’atteindre, entre comme élément intégrant dans notre formule personnelle. Sans compter les préoccupations d’ordre moral, sur lesquelles JUNG a insisté.
Nous nous jugeons nous-même et nous entendons qu’on nous juge selon la manière dont nous arrivons à faire pénétrer, dans la trame de notre existence, le bien tel que nous le concevons.
Nous entendons être déjà ce que nous voudrions être, si nous arrivions à la perfection de notre formule propre.
Intelligence et subconscient.
Quelle place, dans cet ensemble de forces concurrentes ou antagonistes, pourra bien garder l’intelligence désintéressée, cet arbitre impartial auquel une psychologie étroitement rationaliste eût volontiers accordé la primauté lorsqu’il est question de résoudre un conflit ?
Ce n’est pas exactement le problème qui se pose ici. Constatons, cependant, qu’un trouble et puissant arrière-fond de passions, dont l’origine et même l’itinéraire peuvent rester obscurs pour qui les subit, va charger d’un coefficient actif nos idées.
Dès lors, prétendre que conservant une valeur universelle et objective, qu’elles traduisent des vérités indépendantes de nous, supérieures à nous, ce serait illusoire.
On ne peut guère regarder l’intelligence, réduite à ses seules ressources, guide suprême et le mieux qualifié de notre conduite. Elle devra tenir compte d’autres puissances, même si les effets de ces dernières ne lui apparaissent pas en pleine lumière.
Quant à la volonté, c’est une synthèse plus ou moins compréhensive, plus ou moins cohérente, mais très complexe, toujours, et remarquablement inégale puisqu’ayant à intégrer les uns par rapport aux autres des facteurs dont, pour la plupart, nous ne connaissons ni l’origine lointaine, ni l’orientation, ni la vigueur relative.
En fait, nous ne disposons pas exactement d’une volonté conçue comme une faculté indépendante et homogène, et capable de s’appliquer à n’importe quels états de conscience.
Des résolutions se font jour, correspondant à notre personnalité, dans la mesure seulement où nous avons su bâtir cette dernière.
En tant que témoignages de notre liberté — laquelle comporte des degrés, ces décisions volontaires valent ce que vaut notre cohérence intérieure.
Nous sommes libres et habilités à vouloir dans la mesure où nous avons créé notre vigueur psychique.
Les pelmanistes se rappelleront ici la notion des “soutiens et des ‘ supports’ de la volonté.
Théâtre de la conscience.
Substituons à l’image d’une cour de justice, comme décor imaginaire de nos débats de conscience, celle d’un théâtre.
Sur la scène paradent des personnages, qui sont les seuls que le public voie et les seuls aussi dont nous ayons, chacun en ce qui nous concerne, la représentation distincte.
Distincte, mais non pas nécessairement véridique. Car beaucoup de ces pantins sont des imposteurs.
En effet, dans les coulisses grouillent, se poussent, se disputent et s’empoignent quantité d’autres acteurs que dévore une furieuse envie de se présenter devant le public et de figurer dans le spectacle.
Ils symbolisent, ces impatients candidats aux feux de la rampe, certains d’entre nos états d’âme d’autrefois, souvenirs, humiliations, regrets, espoirs avortés, passions condamnées, etc.
En somme, un bric-à-brac d’éléments de conscience que nous avons cru devoir éliminer après un examen qui a pu n’être pas assez rigoureux ni assez approfondi ; quantité d’évènements aussi, dont nous avons préféré perdre le souvenir.
Mais aucun fait psychologique n’est jamais définitivement mort, tant que nous vivons et il n’arrive rien en nous de quelque importance qui ne s’efforce de surgir à nouveau dans la lumière ou dans le clair-obscur de la conscience.
Les censeurs et le préconscient.
D’où la nécessité, simplement pour que nous ne soyons pas envahis par nos souvenirs et embarrassés par un trop copieux passé, de faire monter la garde, entre les coulisses et la scène, par des ‘ censeurs’ qui défendront l’accès du plateau. intérieure sont loin de toujours remplir leurs fonctions. Plus d’un proscrit ou d’un interdit de séjour, échappant à leur surveillance, se faufilent malgré eux sur la scène à la faveur d’un déguisement.
Trois degrés de conscience.
Tout cela compose, au total, derrière notre conscience proprement dite, trois degrés de nuit progressive :
Il y a, d’abord, le préconscient, qui fait office de poste de garde et admet ou refuse les candidats à la parade sous les yeux du public ; il y a, plus éloigné, le subconscient, qui trouve encore moyen de se rappeler à nous de temps à autre ; il y a, enfin, l’ inconscient, qui semble ne plus pouvoir réussir à se placer dans le champ de notre perception interne.
En pratique, il n’est d’ailleurs pas nécessaire de chercher à établir une distinction trop précise.
Le terme de subconscient suffit à désigner ces états qui, la plupart du temps, échappent à la conscience claire, tout en persistant dans leurs efforts pour s’y intégrer dès que nous le leur permettrons.
Ces couches superposées d’ombre ou de pénombre ne correspondent point à un domaine d’oubli sans rappel possible. BERGSON a montré que le bloc de notre histoire ancienne influe d’une manière permanente sur chacun des moments de notre présent. Mais nous ne nous en rendons pas toujours compte.
Quoi de surprenant, cela étant donné, à ce que des conflits puissent se produire qui agitent notre vie intérieure ?
Les occasions de conflits naissent si nos tendances, dont chacune lutte pour la prédominance, n’ont pas été harmonisées, les unes par rapport aux autres ; si nous n’avons point appris à supputer leurs charges relatives en potentiel ; et si, (le plus souvent) nous ne nous assignons pas le but auquel elles visent, parfois par devoir.
Résoudre les conflits.
Ces conflits, lorsqu’ils nous gênent pour prendre une décision de quelque importance, il faut qu’ils soient résolus d’une manière aussi complète et satisfaisante que possible, sans quoi il y aurait menace de rupture d’équilibre, et, par conséquent, de crise trop prolongée.
Les trois exemples suivants le montreront.
Guérison d’un pseudo-rhumatisme.
Le docteur brill, dans une conférence à l’université de new york, analyse le cas d’une de ses clientes. Cette jeune fille s’était éprise d’un étudiant qui allait la voir souvent pendant les vacances et était reçu dans la maison familiale.
Ensuite, pendant l’hiver, des lettres très confiantes s’échangeaient. Chaque été, la jeune fille attendait avec espoir, puis, bientôt, avec angoisse, une demande en mariage qui ne se produisait jamais.
La situation devint tendue. Les parents s’irritaient. le frère aîné parlait de casser la figure au temporisateur.
Mais la jeune fille, avec une conviction inébranlable, plaidait la cause de son soupirant à retardement : ne terminait-il pas ses études ? Dès qu’il aurait obtenu une situation avantageuse et sûre, on le verrait changer d’attitude.
Une lettre vint enfin, qui parut la justification de cet optimisme : les diplômes avaient été conquis ; la position ambitionnée était en perspective ; le lauréat annonçait son arrivée.
Mais la vaine attente recommença. La veille du départ, dernière chance : promenade nocturne, qui se passa plutôt tendrement. Le jeune homme pressait contre lui le bras de sa compagne.
Toutefois, ce geste ne libérait nulle éloquence à thèmes matrimoniaux. Le visiteur prit congé, le lendemain, sans avoir abordé le chapitre des projets.
C’en était trop, vraiment. Les parents, exaspérés, interdirent à leur fille de continuer des relations si décevantes. il ne lui resta même plus permis de faire allusion à cette mésaventure ridicule.
Il fallut soigner la désabusée pour ce qui semblait être un rhumatisme du bras. Le mal loin de céder, ne fit qu’empirer. les médecins renoncèrent à le combattre.
Un psychanalyste, consulté pour autre chose, découvrit que la malade avait inventé cette tenace douleur musculaire par substitution et dérivation : n’ayant plus le droit de parler de son quasi fiancé, elle essayait de se consoler, vaille que vaille, en se plaignant de son bras, qui était celui, justement, qu’avait serré le timide soupirant la veille de sa désertion.
Ainsi expliquée, la fausse douleur rhumatismale disparut, comme il est de règle en pareil cas. Le psychologue américain ne dit pas si la pseudomalade, ainsi guérie de son faux rhumatisme, s’est trouvée consolée de ses fiançailles manquées.
Acte manqué
Il est vrai, cet exemple sort de l’ordinaire. En voici un second, emprunté à la vie courante.
Un homme appartenant à une de ces professions libérales qui ne réservent que déboires aux médiocres, gravit, avec sa femme, l’escalier conduisant à des salons où une vente de charité doit avoir lieu. Devant le couple, une mondaine de leurs relations, élégante et oisive.
Les coutures de ses bas sont placées de guingois. Le mari en fait la remarque à sa compagne qui constate, acquiesce et ajoute : ‘ Robe bien peu de circonstance.
Étonnant, de la part de mme x. Le modèle est d’il y a deux ans.’
Incontinent, le mari dépasse mme x. Lui présente ses hommages et lui glisse cet avis pour le moins inopportun : , ‘ Vous portez une robe démodée, Madame. Est-ce exprès ?’
Or, l’intention du gaffeur n’était aucunement de commettre une telle impertinence. Il se proposait de signaler le fait que la couture des bas n’avait pas été tirée selon l’axe des mollets.
Seulement, comme il détestait et enviait les femmes riches et inutiles, il avait involontairement saisi l’occasion de se rendre désagréable à celle-ci. Une antipathie inconsciente s’était exprimée, bousculant, pour un instant, prudence et bonne éducation.
C’est l’histoire du mauvais cabotin qui, enrageant d’avoir été confiné dans les coulisses fait irruption en scène, sans qu’on l’y appelle. Il n’a pas même, ici, pris la précaution de se masquer.
Tandis que, dans le cas précédent, celui du rhumatisme simulé, l’amour déçu, la vanité blessée avaient adopté un travesti.
Vain avertissement.
Une divorcée nous a conté ceci :
‘ je me figurais avoir contracté un mariage d’inclination, j’ai mis des années à découvrir combien je m’étais trompée. Que de temps gâché ! Et du temps que j’aurais aussi bien pu ne pas perdre, si seulement j’avais compris l’avertissement que je m’étais donné à moi-même.
Car, le jour de mes noces, sous le prétexte de visiter le parc, j’ai emmené une demoiselle d’honneur et nous nous sommes perdues dans la forêt attenante, mais littéralement perdues et pendant deux heures, j’en étais au comble de la joie : n’avais-je pas, grâce à cette équipée, réussi à oublier que j’étais en train de me marier contre mon gré ?
Le destin me faisait signe ; mais je n’y voyais goutte.
L’oubli intentionnel.
Nous nous arrangeons volontiers, et parfois avec obstination, pour oublier ce qui nous déplaît ; et c’est parfois tant mieux. Ruse dont le subconscient se rend complice, sans que nous nous en doutions.
C’est notre façon dans le secret de notre conscience, d’effacer nos erreurs, comme, dans un brouillon, nous passerions la gomme sur une phrase à corriger. Le malheur veut que biffer ne soit pas toujours réparer et que la gomme mal appliquée produise des taches.
Méthode de solution.
Comment conviendrait-il donc de procéder pour nous épargner, dans la mesure du possible, des accidents de ce genre, dont les suites sont plus ou moins graves, mais dont les causes restent analogues entre elles ?
Car il s’agit couramment, en somme, d’états qui, n’ayant pas été normalement assimilés par nous, intégrés dans notre vie psychique, tendent à une existence aberrante, désorbitée, à un automatisme désordonné que nous ne dominons plus, à un schisme qui peut annoncer puis déclencher la faillite de notre personnalité.
La recette salutaire tient en peu de mots ; mais n’oublions pas de l’appliquer : nous vous l’avons déjà présentée sous une autre forme dans notre Leçon 11.
Conscience et action.
Essentiellement, par rapport au milieu dans lequel nous nous trouvons en subsistance, nous ne sommes que des transformateurs d’énergie. À toute excitation émanant du monde extérieur, notre rôle est de répondre par du mouvement, par de l’action, habituelle, improvisée ou voulue et cela dans le sens d’une adaptation utile.
Aboutir à l’action.
Lorsque nous ne nous dérobons pas à l’exercice de cette fonction, lorsque notre personnalité, harmonieusement organisée, congrûment cohérente et forte, s’exprime sous la forme de modifications que nous imposons au monde extérieur.
Et lorsque notre personnalité entière a pu s’employer à imprimer sa marque sur ces changements déterminés par notre intervention, la situation est normale.
Le courant qui va des choses à nous retourne de nous aux choses. Nos centres nerveux, sur le parcours, se sont dûment acquittés de leur office, qui est de transformer la sensation en perception, puis de préparer et de décider la réponse que nous donnerons à l’excitation reçue.
En d’autres termes, si la comparaison avec une rivière paraît plus intelligible, l’affluent a suivi son trajet coutumier ; la masse d’eau considérée a grossi le fleuve ; elle n’a pas, entre temps, été détournée du lit pour aller se perdre dans des terrains improductifs.
Que faut-il faire pour qu’il en soit régulièrement ainsi ?
Réaliser la synthèse.
Les pelmanistes le savent, qui ont compris et appliqué nos préceptes relatifs à la synthèse psychique. Car c’est à quoi tout se ramène en l’occurrence : exécuter correctement et à fond l’opération dont il s’agit. Un conflit est résolu dès qu’une synthèse appropriée s’est produite.
Pour n’y point échouer, nous aurons soin, d’abord, de laisser mûrir les conflits. Une hâte inconsidérée n’aurait pour effet que de gauchir l’allure de notre vie intérieure.
Par exemple, nous nous croyons offensé et nous réagissons impulsivement, sous l’empire de la colère, sans nous être assuré des véritables intentions de notre interlocuteur.
Or nous aurions un intérêt majeur à ne pas empêcher de se manifester chacune de nos tendances qui aspirent à passer à l’acte.
Prenons donc notre temps ; évitons de nous précipiter vers une impasse sans un tour d’horizon qui nous renseignera sur la direction des routes praticables.
Choisir, a-t-on dit, c’est sacrifier. Veillons maintenant à ce que nos préférences les plus authentiques mettent ce que nous préférons au-dessus de ce que nous sacrifions.
Cela ne va pas de soi.
Les divers partis entre lesquels nous pouvons opter correspondent à des inclinations variées. Ces pentes qui conduisent de nous au monde, nous n’en apprécions pas exactement le pourcentage.
Charge émotionnelle des désirs.
Nos désirs, les uns par rapport aux autres, sont plus ou moins chargés d’émotions éventuelles. Mais cette charge émotionnelle n’est pas constante. L’âge, les circonstances, l’ambiance influent sur elle. En tout cas, la notion ne nous en est pas donnée immédiatement.
Nous devons nous rappeler comment notre sensibilité a joué dans des conditions analogues. Notre comportement antérieur nous édifiera souvent, sur le degré d’acuité de notre désir, mieux que son aiguillon actuel.
Cette deuxième démarche figure à notre programme : distinguer d’une façon suffisamment nuancée la vigueur de notre appétit. Ne soyons pas dupe de nous-mêmes et n’allons pas nous imaginer que nous tenons à ce dont nous nous passerions aisément.
La mauvaise littérature suggère quantité d’amours de tête. On les reconnaît trop tard, au sentiment de délivrance qu’on éprouve lorsqu’on s’en débarrasse. dans l’intervalle, on a commis des sottises qui compromettent l’avenir.
Synthèse personnelle.
Voir, dans son développement total, le panorama des partis possibles, apprécier, avec une justesse approximative, les nuances des différents désirs intéressés, ce ne sont là que démarches préliminaires.
Ensuite, doivent intervenir, en troisième instance, les exigences capitales de notre personnalité. Agir comme si on était, non pas soi-même, mais quelqu’un d’autre, voilà, au point de vue psychologique, le péché mortel, celui qui ouvre l’accès au purgatoire du regret.
Il n’y a plus de paix pour qui s’est laissé entraîner à vouloir et agir en sens inverse de son caractère et en contravention avec son idéal.
Progrès vers la liberté.
Considérée sous cet angle, notre existence signifie notre ascension vers la liberté.
Nous devons nous rendre, en chaque occasion, plus conforme à nous-mêmes et plus digne de ce que nous aspirons à devenir.
Ainsi prenons garde, dans le choix d’une profession, à ne pas nous laisser entraîner par un engouement passager ou par un exemple prestigieux. Le grand romancier Jack
London a failli s’engager dans une carrière de boxeur.
Un conflit ne saurait se résoudre que par la pleine intégration d’un acte à la formule de notre vie et à notre mouvement vers notre idéal. Encore faut-il avoir pris conscience de ces forces qui nous châtient quand nous les négligeons.
Nécessité du but.
C’est la raison pour laquelle, dès les premières leçons de ce cours, nous avons tant insisté sur le but à nous fixer, ainsi que sur l’indispensable pratique des examens de conscience.
L’étudiant pelmaniste sortira indemne des plus gênants débats intérieurs s’il a contracté, comme nous l’y avons dès l’origine invité, l’habitude, puis le besoin de se référer fidèlement à sa connaissance de lui-même et à sa notion du but.
Notre voyage se définit par son terme autant que par son point de départ.
Aucune étape ne s’y insérera légitimement, qui n’aboutisse pas à un gain dans la densité, la richesse et la vigueur de notre personnalité.
Appel de l’idéal.
Le troisième moment, dans la solution d’un conflit, c’est l’adoption du parti qui convient le mieux à l’idée que nous nous sommes faite et de nous-mêmes et de ce à quoi nous voulons servir.
Semblable résolution n’est saine et libre que dans la mesure où elle exprime notre nature dépouillée de tout élément provisoire, factice ou emprunté.
Appel de l’altruisme.
Reste un quatrième banc d’essai : l’épreuve de l’altruisme.
Nous appartenons à notre famille, à notre profession, à notre pays et à l’humanité. Ce terme d’appartenance n’a rien d’exagéré, puisqu’il arrive, lorsque le lien social nous paraît rompu, que la tentation du suicide l’emporte sur l’instinct de conservation.
Dans maintes circonstances, nous tenons au jugement que les autres portent sur nous plus qu’à la satisfaction de notre égoïsme.
Si nos tendances orientées vers la collectivité n’ont pas, dans l’équilibre de notre vie morale, plus de poids que la pure et simple recherche subjective du bonheur, c’est-à-dire l’égoïsme ; si nous n’assurons pas chacune de nos démarches essentielles en nous plaçant systématiquement au point de vue du devoir à accomplir, aucun de nos desseins d’action n’échappera sans inconvénient à cette censure préalable que doit exercer l’opinion publique, telle que nous nous la représentons.
Encore devrons-nous veiller à ce que l’idée que nous nous formons soit suffisamment impartiale et documentée.
Recherche des renseignements méthodiques
Cela revient à dire que nous ne craindrons pas, avant d’agir, d’aller aux sources et de nous renseigner auprès d’un directeur de conscience, d’un conseiller professionnel — ou, tout bonnement, amical — sur l’étendue exacte de nos obligations dans tel cas déterminé.
Ce ne sera point là faiblesse ni hésitation, mais sagesse avisée. Et nous nous repentirions d’avoir passé outre à cette précaution.
N’omettez jamais de vous renseigner avant de vous décider. Il pourrait vous en cuire.
N’oubliez pas l’existence du monde extérieur.
Consultations psychologiques.
Nous avons remarqué que, dans les conjonctures embarrassantes, on gagne parfois en assurance, en paix intérieure, à scruter, devant un conseiller impartial autant qu’expérimenté, les raisons d’une hésitation, les dessous d’un scrupule ou les sources cachées d’une impulsion.
Que nos lecteurs se le rappellent, lorsqu’ils déploreront de se trouver en proie à un de ces confits dont on ne voit pas, d’avance, comment on pourra sortir.
Nous l’avons constaté, il arrive que le fait d’exposer exactement une crise de conscience mette en relief l’argument décisif qui terminera le débat.
Résumé sur les conflits.
En résumé, quatre préceptes sont à observer si l’on veut obtenir l’heureuse solution d’un conflit de conscience.
1) Hâtez-vous lentement ou, selon l’expression d’Asquith, ‘ Wait and see’.
2) apprenez à évaluer les coefficients variables de chacune de vos tendances.
3) dans les circonstances cruciales, veillez à ce que votre décision exprime votre personnalité profonde.
4) la conscience individuelle est solidaire de la conscience collective au point que, souvent, elle en émane. Ne vous permettez pas de rien faire qui puisse la blesser. en dépit des apparences, vous n’êtes jamais seul.
‘ L’humanité, écrivait Auguste Comte, se compose de plus de morts que de vivants.’
Elle se double aussi d’une foule de témoins invisibles qui n’attendent que l’occasion de vous juger. Prenez donc les devants.
Soyez aussi informé que vos critiques éventuels touchant ce que l’impératif social et la loi morale exigent de vous.
Ne terminez jamais une délibération sans vous être interrogé à loisir sur votre devoir—et sans vous être répondu en complète connaissance de cause.
IV. Les facteurs de la réussite
24. Nous n’avons plus à vous apprendre que les clefs du succès sont :
La Connaissance du but et des moyens, l’ Intérêt pour ce but, la Volonté d’y atteindre, la Détermination d’une méthode, l’ Adoption d’une discipline. Les facteurs de la réussite sur lesquels nous retiendrons, en terminant, votre attention, ce seront des attitudes pratiques résultant de l’application de ces grands principes. Ils se réduisent à deux : confiance et ténacité.
La confiance.
25. La confiance en laquelle se résume la sagesse pelmaniste n’est point la pleine maîtrise de soi. Cette maîtrise ne saurait être parfaite, et si elle l’était, nous aurions envers nous-même certitude, non pas simplement foi.
Toute confiance implique possibilité d’erreur ou de défaillance, mais une telle éventualité est prévue, acceptée.
Consentez donc à courir le risque d’un échec : il ne sera pas très grave, si vous l’avez prévu : vous êtes paré.
Ayez confiance dans votre esprit. Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. (Descartes). Si vous meublez votre pensée par de l’observation et des lectures, si vous l’assouplissez par de la gymnastique mentale, vous pouvez vous fier à votre jugement.
Ayez confiance dans vos capacités. Fussent-elles minimes, elles existent et sont perfectibles. Vous devez avoir appris à les mettre en œuvre.
26. Ayez confiance en la réalité. il ne s’agit pas de compter sur une manne céleste pour vous nourrir : il faut que l’on s’aide pour que le ciel vous aide.
Mais vous ne vous tromperez guère en supposant qu’il vous appartient de forcer la destinée.
Par intelligence, par souplesse d’action, adaptez-vous aux évènements : vous pourrez mettre parmi vos chances l’évolution naturelle des choses.
“Rien ne réussit autant que le succès” ; “l’eau va toujours à la rivière”. S’il survient quelque accroc imprévu, l’exception confirme la règle : votre puissance sera proportionnelle à votre compréhension.
Faites confiance aux gens. Certes, vous n’ignorez point que nous sommes entourés d’embûches, de rivalités. Ne vous livrez qu’exceptionnellement, et jamais en entier.
Mais, en n’affichant pas de la méfiance, vous éviterez des hostilités, vous verrez plus clair dans le jeu d’autrui. La plus sûre manière de bien tenir un cheval en main n’est point de meurtrir sa mâchoire ou d’éperonner son flanc.
Beaucoup de bonne volonté avec, de temps à autre, une sévérité toujours juste : voilà comment on domine autrui, sans lui causer de tort, et même en faisant son bien.
La ténacité.
27. La patience qui force le succès n’est ni l’attente passive, ni le recommencement perpétuel des mêmes expériences. C’est la ténacité dans l’effort.
Combien de fois n’a-t-on pas répété, en d’angoissantes conjonctures, que pour gagner la victoire il faut “tenir” cinq minutes de plus que l’adversaire !
Assignez-vous des buts provisoires, dans l’attente du but principal. Non pas comme amusettes, pour “patienter”, mais comme moyens, en vue de la fin ambitionnée. Les succès provisoires vous encourageront.
Pas de précipitation ! “Faute d’un point, Martin perdit son âne”.
Aspirez à ces buts préjudiciels du même cœur qu’à l’objet de vos désirs suprêmes. Que l’effort modeste et journalier, au lieu de vous “impatienter ”, vous enchante.
À cet égard, mais à cet égard seulement, prenez pour modèle l’avare, que transporte d’aise la vue de toute piécette à enfouir dans le bas de laine. L’esprit d’économie vaut par la patience et la continuité du dessein.
28. Les heureux résultats de la ténacité proviennent de ce que vous coordonnez tous vos moyens d’action dans une tâche de longue haleine : vous vous adaptez de mieux en mieux à cette besogne, vous y accommodez de mieux en mieux la réalité, en la faisant servir à vos fins.
D’où une facilité croissante, qui s’accroît par le succès.
Voyez à l’œuvre l’homme d’affaires puissant : une entreprise lui donne accès à une autre, et la réussite fait boule de neige. Il attend qu’un fruit soit mûr pour le cueillir, mais il sait hâter la maturation après avoir semé en temps opportun.
Une ténacité ingénieuse, non seulement obtient ce que procure le travail, mais transforme les adversaires en auxiliaires. La résistance de l’obstacle fournit souvent un tremplin pour bondir en avant.
Honneur à l’homme “fils de ses œuvres”, s’il fut fort sans violer la morale, s’il est “parvenu ” sans désavouer la modestie de ses origines, si la lutte ne l’a pas rendu inaccessible à la pitié, si le souci de l’intérêt l’a laissé capable de désintéressement !
La civilisation se définit non par l’idolâtrie de la force matérielle et de l’argent, mais par l’aptitude à mettre ces puissances, qui mènent le monde, au service de la science, de l’art et de la charité !
29. Chacun de nous, dans sa sphère, peut faire en petit ce que de rares privilégiés réussissent en grand.
Qui donc ne rencontre sur sa route quelque bonne action à accomplir, quelque occasion de prouver sa justice, quelque tentative d’art à encourager ?
À côté de la poursuite du bien-être pour vous et les vôtres, qu’il vous arrive parfois d’accorder une place à ces buts désintéressés !